"Aux explorateurs de l’inconnu qui aiment apprendre en faisant un pas en arrière sur le chemin des ancêtres." Pascale Arguedas

Moderne… vous avez dit moderne ?

« Dans son usage courant, le concept de « modernité » est marqué d’une ambiguïté fondamentale. Il s’applique, en effet, aussi bien au nouvel imaginaire politique et culturel né dans le cadre de la révolution galiléenne qu’à l’ensemble des sociétés réellement existantes que cet imaginaire travaille à des degrés divers. Or si nous admettons que l’idéal d’un monde entièrement reconfiguré par la Raison et ses applications techniques (une société-machine) constitue une utopie, il est évident qu’il ne saurait exister aucune société intégralement moderne, c’est-à-dire aucune société entièrement adéquate à son programme initial. En d’autres termes, si les sociétés dites « modernes » peuvent encore tenir, c’est précisément dans la mesure où elles prennent toujours appui (consciemment ou non) sur des conditions anthropologiques et écologiques qui n’ont pas été modernisées. En ce sens, leur « modernité » est toujours relative.

Mais le concept de « modernité » — quand il est utilisé de façon aussi globale et indifférencié — présente un autre inconvénient. Il invite, en effet, à dissoudre la spécifiité historique des différentes civilisations « pré-modernes » dans l’unité d’une mythique « société traditionnelle » — supposée « close », étangère à toute rationalité, hostile à la moindre innovation et, pour tout dire, foncièrement inhumaine. Il s’agit là, naturellement, d’un fantasme idéologique — élaboré en grande partie dans le cadre des idéologies évolutionnistes du XIXe siècle. En réalité, aucune société humaine (pas même celles qu’on nomme « primitives ») n’a ignoré la dimension du changement et de l’innovation (quels qu’en soient, par ailleurs, la nature, le rythme et les causes). C’est, avant tout, sur le sens et la valeur qu’elles accordaient à ces changements (et donc sur la manière de les assimiler) que la différence peut éventuellement être faite.

On obtiendra donc une définition déjà plus opérationnelle de la modernité si nous posons qu’une société, pour être considérée comme « moderne » doit satisfaire à deux conditions : d’une part, avoir une conscience suffisamment nette des transformations historiques qui tendent à l’opposer à son propre passé (que ces transformations soient politiques, techniques, culturelles ou autres) ; de l’autre, valoriser officiellement ces tansformations, c’est-à-dire les percevoir et les vivre comme un « progrès » (même relatif) par rapport aux manières attribuées aux « Anciens ». De ce point de vue, toute modernité est donc nécessairement « autoréflexive ». Une société moderne c’est d’abord une société qui a le sentiment d’être moderne !

Si nous nous en tenons à cette définition minimale, il faut alors reconnaître que l’humanité a connu de nombreuses « modernités » — ce qui, en soi, n’a évidemment rien de choquant. Il y aurait effectivement bien des raisons de ranger sous une telle catégorie historique la cité démocratique grecque (c’est ce que faisait d’ailleurs Castoriadis) ou la Chine des Song — tout comme de parler de la « Renaissance » du XIIe siècle, voire de la « Renaissance carolingienne ».

Jean-Claude Michéa

(extrait de : La double pensée, Retour sur la question libérale, Flammarion, 2008)

49 Réponses

  1. 120

    Ecrit par Jacques Le Goff :

    C’est du sentiment de rupture avec le passé que naît la conscience de modernité.

    (Histoire et Mémoire, Gallimard, 1988)

    octobre 13, 2008 à 12 h 34 min

  2. Vincent

    Le héros « moderne » par excellence : le self made man, désencombré de tout sentiment de gratitude.

    octobre 13, 2008 à 12 h 37 min

  3. Vincent

    …et son organe symbolique : le nombril (cicatrice — dans laquelle il finit par se noyer — marquant justement la trace de cette rupture)

    octobre 13, 2008 à 12 h 41 min

  4. Isidore

    Tu démarres fort, là. Jamais donc de répit ?… Mais bon, tu as raison, en fait, avec la crise majeure qui nous pend au nez, il est urgent de penser et de penser encore (sans oublier de s’amuser quand même!)

    octobre 13, 2008 à 16 h 20 min

  5. Amélie

    Oups, ‘tendez ! vous parlez de crise ? :

    LE MONDE.FR : Dernière minute
    lundi 13 octobre 2008

    La Bourse de New York ouvre en forte hausse

    La Bourse de New York a ouvert en forte hausse lundi 13 octobre, après les interventions massives des gouvernements européens et américain ce week-end destinées à enrayer la crise financière. A l’ouverture, le Dow Jones gagnait 4,39 % et le Nasdaq 5,35 %. (AFP)

    bon, peut-être n’est-ce qu’un répit de court terme, mais je vous garde informés…

    octobre 13, 2008 à 16 h 22 min

  6. Isidore

    Non, non, je parlais seulement de la crise majeure chez nous, en Europe quoi! Ben oui, pour payer la faillite des banques américaines, il va bien falloir que l’Europe débourse, non ? Et c’est qui qui va payer ?

    octobre 13, 2008 à 17 h 47 min

  7. Vincent

    Qui qui va payer ?
    Ben… d’abord ceux qui ont de l’argent, non ?

    Disons, ceux qui en ont un peu (placé en banque ou en bourse) et/ou ceux qui vont en emprunter (pour acheter une voiture, une maison ou je ne sais quoi), bref ceux qui — à leur niveau — spéculent tout autant que les « grands méchants loups » ?
    Plus tard, sans doute, ceux qui en gagnent assez pour payer des impôts.
    Sans doute aussi — indirectement — ceux qui risquent de perdre leur emploi (donc leur salaire) suite à la possible « récession ».

    Peut-être est-ce tout bêtement (« nombrilistiquement » ?) parce que je ne fais partie d’aucune de ces catégories, mais elle ne m’angoisse vraiment pas plus que ça cette pseudo-crise. Et vous ?

    N’est-ce pas en effet là — malgré tout le foin qu’on nous déploie — le simple fonctionnement chaotique habituel du système ?

    octobre 13, 2008 à 21 h 32 min

  8. 120

    Ecrit par Jean Baudrillard (sur le krach de 1987) :

    ELOGE D’UN KRACH VIRTUEL

    Ce qui est intéressant, dans la tragi-comédie boursière des derniers mois, c’est l’incertitude quant à la catastrophe. Y a-t-il eu, y aura-t-il une « véritable » catastrophe ? La réponse est : la catastrophe est virtuelle, et il n’y aura pas de catastrophe réelle parce que nous vivons sous le signe de la catastrophe virtuelle. Et ceci est lié à un état de choses qui est apparu à cette occasion d’une façon éclatante : la distorion entre l’économie fictive et l’économie réelle : c’est elle, cette distorsion qui nous protège d’une catastrophe réelle des économies productives. Ets-ce un bien, est-ce un mal ? C’est tout à fait la même chose que la distorsion entre la guerre orbitale et les guerres territoriales. Celles-ci se poursuivent partout, mais la guerre nucléaire, elle, n’éclate pas. S’il n’y avait pas déconnection entre les deux, il y a longtemps que le clash atomique aurait eu lieu. Nous sommes dominés par des bombes, des catastrophes virtuelles qui n’éclatent pas : le krach boursier et financier international (il n’a pas vraiment éclaté, et il n’éclatera pas), le clash atomique, la bombe de la dette du tiers monde, voire la bombe démographique. Bien sûr, on peut dire que tout cela explosera inéluctablement un jour, comme on a toujours prédit à coup sûr, dans les cinquante ans qui viennent, le glissement sismique de la Californie dans la Pacifique. Mais les faits sont là : nous sommes dans la situation où ça n’éclate pas, dans une situation de catastrophe virtuelle, et éternellement virtuelle. Pour nous, c’est ça l’état des choses, la seule réalité à laquelle nous ayons objectivement affaire : une ronde orbitale effrénée des capitaux qui, lorsqu’elle craque, n’entraîne pas de déséquilibre substantiel dans les économies réelles (au contraire de la crise de 1929, où la déconnexion de l’économie fictive et de l’économie réelle était loin d’être aussi achevée, et où donc la catastrophe de l’une retentit sur l’autre), soit parce que les économies réelles sont elles-mêmes tellement flottantes qu’elles absorbent plus facilement aujourd’hui ce qu’elles ne pouvaient absorber en 1929, soit parce que la sphère des capitaux virtuels est tellement autonomisée, orbitalisée qu’elle peut éventuellement proliférer ou se dévorer elle-même sans laisser de traces. Elle laisse pourtant au moins une trace catastrophique : le krach n’est pas tellement dans l’économie, que dans la théorie économique, complètement désarmée devant cet éclatement de son objet.

    […] L’économie politique prend fin sous nos yeux, en se muant d’elle-même en une transéconomie de la spéculation, qui bafoue sa propre logique (la loi de la valeur, les lois du marché, la production, la plus-value, la logique même du capital) et qui n’a donc plus rien d’économique ni de politique. Un jeu pur aux règles flottantes et arbitraires, un jeu de catastrophe. L’économie politique aura pris ainsi pris fin, mais pas du tout comme on s’y attendait, et d’une façon bien singulière : en s’exarcebant jusqu’à la parodie. La spéculation n’est plus de la plus-value, c’est de la plus-que-valeur, c’est l’extase de la valeur, sans référence à la production ni à ses conditions réelles. C’est la forme pure (et vide), la forme expurgée de la valeur, qui ne joue plus que sur sa propre révolution (sa propre circulation orbitale). C’est en se déstabilisant elle-même monstrueusement, ironiquement en quelque sorte, que l’économie politique coupe court du même coup à toute alternative. Car que peut-on opposer à une telle surenchère, qui récupère à sa façon toute l’énergie symbolique du potlach, du poker, du défi à elle-même, à sa propre logique, qui constitue en quelque sorte le passage à la phase esthétique et délirante de l’économie politique — ce qui est bien la façon la plus inattendue d’y mettre fin, bien plus originale au fond que nos utopies politiques ? Devant ce saut périlleux, la théorie peut-elle accomplir un double saut périlleux pour garder l’avantage ?

    (Ecran total, Galilée, 1997)

    octobre 13, 2008 à 22 h 33 min

  9. Vincent

    Pour revenir au sujet initial, le dernier ouvrage d’Elisabeth Badinter est — à mon sens — une très belle fable illustrant l’utopie « moderne » (et le retour possible, notamment, de ce qu’elle refoule).

    L’infant de Parme (Fayard, 2008) raconte en effet l’histoire édifiante du petit Ferdinand, infant de Parme, qui fut l’objet, au milieu du XVIIIe siècle, d’une expérience sans précédent. Sa mère (fille de Louis XV) lui donna en effet pour instituteurs l’élite des philosophes français (Condillac, etc…) afin d’en faire un prince « moderne » (éclairé) modèle. Portant sur ses épaules les espoirs de la nouvelle philosohie, toute l’Europe des Lumières avait les yeux tournés vers lui. Il se passa alors une chose étrange : à mesure que ses connaissances et son esprit critique augmentaient, il développa une religiosité superstitieuse totalement infantile et irrationnelle. Il devint une sorte de monstre aux contradictions intenables. Bref, l’expérience échoua.

    Ne sommes-nous pas tous, quelque part, des « infants de Parme » ?

    octobre 13, 2008 à 22 h 56 min

  10. Isidore

    Je serais assez d’accord avec toi s’il n’y avait quand même quelques précédents sinistres et hyperboliques dans le sens du chaos. Je pense à la crise de 1929 et ses conséquences désastreuses. A quel moment peut juger qu’une crise dépasse les bornes de sa « normalité » pour entrer dans quelque chose de totalement inédit qui perturbe et bouleverse tout le connu? Malheureusement on ne peut guère prédire à coup sûr l’évènement et ce n’est qu’à postériori qu’on constate tout ce qu’on aurait pu et dû prévoir. Mais il est alors trop tard. Je pense que c’est cette conscience qui nous amène à anticiper des tas d’horreurs qui heureusement se produisent rarement comme on l’avait imaginé. Mais est-ce une raison pour ne pas le faire ? Parce que parfois, il en advient des pires.

    Ceci dit, la question de l’argent, de sa valeur, des échanges, de la fonction des banques dans ces échanges, tout ceci n’est pas aussi simple qu’il voudrait y paraître. La valeur des choses est tellement relative, et en fonction de critères si multiples que je ne vois pas comment en faire une science plus exacte que l’est celle des prévisions météo, par exemple.

    Le système du crédit, par exemple, permet l’investissement préalable à ce qui va rendre possible une création de richesses effectives. Si on attend de disposer des fonds nécessaires pour investir dans les outils permettant de mettre en œuvre notre projet, il y a de fortes chances pour qu’en définitive rien ne se passe et que tout s’abîme dans du rien du tout. Et qui dit crédit dit banque et donc, peu à peu, tout ce système qui aboutit à la spéculation, à la fabrication d’argent sans rapport avec aucune richesse réelle. Mais peut-on aussi évaluer exactement toute la richesse produite? Quand je pense à toute l’activité non rémunérée? N’est-elle pas également créatrice de richesses? Mais elles n’entrent pas dans le calcul du PIB. Existe t’il un lien objectif entre l’argent et les richesses créées ? Personnellement, j’aurais tendance à considérer l’argent comme la simple reconnaissance et le signe de toute richesse créée (ou service rendu). Donc quand on me dit: il n’y a pas d’argent pour payer votre travail, et bien j’ai envie de répondre: il n’y a qu’à le fabriquer puisque le travail je l’ai réalisé de toute façon, et ce n’est pas parce qu’il est bénévole qu’il perd un gramme de sa valeur réelle. Bref, j’ai beau tourner l’affaire dans tous les sens, je ne parviens pas à comprendre quoique ce soit d’un peu sensé. Tout finit dans une confusion indescriptible que je serais vraiment curieux de parvenir à clarifier.

    octobre 13, 2008 à 23 h 03 min

  11. Isidore

    Mon commentaire arrive un peu tard, (il suivait le 7), et l’intervention de Baudrillard me semble aller tout à fait dans le sens d’un éclaircissement souhaité. Je me souviens avoir été interpelé par sa vision des choses à ce sujet et, effectivement, je continue de penser qu’il y a matière à réflexion… et à espoir pour l’avenir. Parce que franchement si on écoutait vraiment tout ce qu’il se dit, on deviendrait vite complètement cinglé. Heureusement que la vie réelle est plus riche, plus joyeuse et plus inventive que ce qu’on en entend dire !

    octobre 13, 2008 à 23 h 16 min

  12. eheh ! complètement à l’ouest, ce pauvre Baudrillard 🙂

    Mon côté libéral serait tenté de dire qu’on y va bien à la catastrophe 🙂

    Effectivement se joue en ce moment un jeu un peu stupide de restauration de la confiance à coup d’annonce d’injection de 1700 milliard par l’europe dans son système bancaire.

    J’ai bien dit annonce pour effet d’annonce, mais enfin dans deux ans, on y retourne comme en 40 😉 nos banquiers/tradeurs auront à nouveau oublié les règles du jeu. avec le drame de n’avoir pas eu de retour de manivelle dans l’effet d’une bonne consolidation… la recession n’est pas loin, on en reparle dans deux ans ? 😉

    octobre 14, 2008 à 1 h 20 min

  13. Isidore

    Et ces 1700 milliards, on les prend où et comment ? Lorsqu’on sait de surcroît l’incommensurable dette qui plane au dessus de nous. Mais au fait, dette à l’égard de qui et de quoi ? Si le monde entier est en dette, ça ne peut être finalement qu’à l’égard des banques et du système bancaire… ce n’est donc pas si grave, objectivement, car ça signifie seulement, dans le réel, que la valeur donnée à l’argent (au symbole de la richesse) est bien supérieure que celle donnée aux richesses réelles. Mais tout ceci est de l’ordre de la croyance avant tout. Pourtant les conséquences réelles sont bien là aussi, avec cette pression insoutenable exercée sur les « pays émergents. Mais n’est-ce pas simplement la forme « moderne » de la domination qui s’exerce par la guerre économique plus que par la guerre militaire ? On a donc créé un système confus à souhait pour manipuler tous les esprits et les rendre incapables de percevoir la réalité qui s’agite derrière. Bref, tout ceci me laisse bien dubitatif. Est-on même seulement capable d’avoir une petite idée de ce que représente 1700 milliards d’euros (ou de dollars… ou même de n’importe quoi, tiens au hasard: des pommes ? 1700 milliards de pommes ? Ça occupe quel volume par exemple ? Si le volume d’une pomme correspond approximativement à piR3 (R étant le rayon donc, au pif 3cm), ça nous donne
    3,14×81=254,34cm3 (254cm3). Donc 1700 milliards de pommes occupent (1700×254) 431 800 milliards de cm3. En m3, ça donnerait: (1m3=1 000 000cm3) environ 432 millions de m3… Bref, pas plus avancé ! Quand on sait qu’une grosse camionnette de déménagement fait 30m3 (avec la cabine), ça nous ferait donc (432/30) environ 14 millions de camionnettes entassées les unes sur les autres. C’est joli comme œuvre d’art mais ça ne me dit toujours pas grand-chose. Bref on est bien dans de l’inconcevable. Donc je n’y comprends toujours rien de rien.

    octobre 14, 2008 à 8 h 02 min

  14. En fait, Isi, les 1700 milliards, on les prend nulle part. L’état français par exemple donne comme garantie sa capacité à investir dans une banque à hauteur de 340 milliard. C’est juste un effet d’annonce pour éviter la chute des cours. vision court-terme à mon avis, car si ca devait s’écrouler (et c’est sur que ca doit s’écrouler, la bulle spéculative a fait monter les marchés à des seuils non raisonnables), et bien ca se ré-écroulera tôt ou tard , il faut nécessairement une consolidation …
    Et pour la dette française, je trouve ca aussi scandaleux qu’on en fasse pas grand cas… Et non, tous les pays ne sont pas comme ca. Les USA, la France, beaucoup de grandes puissances sont très endettées au profit de pays comme la Chine ou d’autres asiatiques qui achètent des parts de cette dette et gagnent en stock de change.

    Le côté alarmiste dirait que le jour où ils ferment les tuyaux, on sera bien dedans 🙂

    Le côté cynique dirait que c’est la productivité de ces pays qui paient nos excès (la colonisation du 21 ième siècle ?).

    octobre 14, 2008 à 8 h 40 min

  15. En réalité, on est vraiment dans le merveilleux. Le bluff, le coup de poker, le casino: la surenchère du « j’te fais passer des vessies pour des lanternes ». Je pense que je vais également agir davantage de cette manière . Remarque il y a vraiment quelque chose de génial dans tout ceci puisque on arrive à se persuader tout seul, et même à persuader ceux qui veulent bien l’être, que malgré une dette colossale, on peut venir,au secours, juré craché, de moins endetté que soi mais en peu plus dans le bousin… Et en plus ça fonctionne ! Vous n’allez pas me dire qu’on ne marche pas sur la tête et que tout ceci est vraiment sérieux ? A moins d’admettre une fois pour toute que tout échange procède du jeu et du pur défi… ce qui se conçoit en réalité assez bien, finalement. Mais là on rejoint Baudrillard , il me semble, Yatsé, et on renonce à toute utopie de justice sociale en s’en remettant totalement au hasard et à la démerde: chacun pour soi et dieu pour tous dans le grand casino de la vie.

    octobre 14, 2008 à 10 h 49 min

  16. Barbarella

    T’es malade Yatsé ! Tu insultes Baudrillard !!!???! Sur ce blog ??!!!! Espèce de Kamikaze !!!!

    octobre 14, 2008 à 12 h 16 min

  17. Vincent

    Une autre petite fable, illustrant assez bien la « modernité », est l’histoire édifiante de Roland Barthes choisie par Finkielkraut, pour introduire la réflexion qu’il développe sur le sujet dans son ouvrage Nous autres, modernes (ellipses, 2005). Je cite :

    « Le 13 août 1977, Roland Barthes note dans son journal : « Tout d’un coup, il m’est devenu indifférent de ne pas être moderne. » Phrase stupéfiante si l’on y réfléchit bien. A cette date, en effet, il était fortement recommandé, sinon vital, d’être moderne et, dans le domaine esthétique, c’est Barthes lui-même qui apposait le précieux label. L’auteur du Degré zéro de l’écritude était alors de ceux, très peu nombreux, triés sur le volet, qui faisaient la pluie et le beau temps en matière de modernité. Il était l’un des sélectionneurs de l’équipe. Entre l’ancien et l enouveau, Bathes souverainement tranchait. Il ne cessait de séparer l’actuel du caduc, le contemporain du périmé.

    […] Quelques semaines avant le congé donné sans préavis au surmoi moderne, Barthes note dans son journal : « Je vois la mort de l’être cher, m’en affole etc. » L’être cher, c’est sa mère agonisante. Et il y a un lien entre cet affolement et ce limogeage. Barthes a cessé de se dire moderne et de faire la navette entre ses critères et ses goûts lorsqu’il a vu mourir sa mère. « Tout d’un coup, il m’est devenu indifférent de ne pas être moderne » : son changement d’attitude provient non d’une réflexion doctrinale, mais d’un événement. Evénement intime et infime au regard des valeurs indissolublement politiques et artistiques en jeu dans son adhésion à la modernité. C’est un deuil privé qui a conduit Barthes à dénoncer son image publique. C’est un chagrin, qui n’est même pas un chagrin d’amour, c’est une douleur affreuse mais tellement inscrite dans l’ordre des choses qu’on s’excuserait presque de l’éprouver, qui a eu raison des précautions de Barthes et de son conformisme. Pourquoi ? Parce que le deuil a fait de lui un survivant et qu’on ne peut être à la fois survivant et intégralement moderne. Parce qu’il y a dans le simple fait de survivre à ceux qu’on aime un démenti à la représentation du temps que véhicule l’idée même de moderne.

    Le Moderne, c’est celui à qui le passé pèse. Le survivant, c’est celui à qui le passé manque. Le Moderne voit dans le présent un champ de bataille entre la vie et la mort, un passé étouffant et un futur libérateur. Pace qu’il aime un mort, l’élan du survivant vers le futur est cassé. Le Moderne, c’est celui qui court plus vite que le vieux monde parce qu’il a peur d’être rattrapé par lui — « Cours, Camarade, le Vieux Monde est derrière toi » disait un des plus fameux slogans de 68 –, le survivant court après le vieux monde, en sachant qu’il n’a aucune chance de le rattraper. Le Moderne se réjouit de dépasser le passé, le survivant en est inconsolable. […] Le Moderne va de l’avant, le survivant regarde vers l’arrière. L’un est projet ; l’autre, regret. […] »

    octobre 14, 2008 à 12 h 35 min

  18. Vincent

    En même temps, à bien y réfléchir, ce genre de « révolution » — de volonté de table rase personnelle — même au nom du rejet de la Modernité, ça reste une attitude complètement… moderne.

    (Que la poursuite de ma méditation sur la Modernité ne vous empêche pas de continuer de discuter sur l’économie et la finance, surtout)

    octobre 14, 2008 à 12 h 53 min

  19. On peut aussi reconnaître et aimer tout ce qui du passé nous a construits et fait de nous ce que nous sommes aujourd’hui, une sorte de fidélité amicale à ceux qui nous ont précédés en quelque sorte, tout en se projetant dans l’avenir, en se réjouissant des temps qui viennent et de l’inconnu qu’ils vont enfanter. Je ne vois pas d’opposition irrémédiable entre être moderne et rester un survivant du passé.

    Ceci va en contradiction, je l’entends bien pourtant, avec l’idée d’une rupture nécessaire, d’un abandon pur et simple des figures du passé pour pouvoir entrer dans la modernité, telle qu’évoquée précédemment. Je ne sais qu’en dire mais n’en reste pas moins peu convaincu.

    Qui peut se prétendre « moderne », en sachant de plus que toute modernité reste une image sinon même un fantasme d’avenir ? Les « survivants du passé » ne sont-ils pas des acteurs aussi importants de l’accouchement de la modernité, au même titre que les « modernes », malgré la place peu valorisante qu’ils occupent et le procès de ringardise qui leur est bien souvent fait ? Ceci dit gardons nous bien de leur laisser revendiquer haut et fort une quelconque appartenance à cette modernité car ils seraient bien capables de vouloir tout figer définitivement dans leur cher passé révolu.

    octobre 14, 2008 à 13 h 00 min

  20. Pascale à Barbarella

    C’est qui ce Baudrillard 😉 ?

    octobre 14, 2008 à 14 h 13 min

  21. Ourko (en écho au commentaire 13)

    Wahou, Isi, t’es trop fort en calcul !!!!

    octobre 14, 2008 à 14 h 35 min

  22. Craô

    Oui mais si tu avais choisi des pamplemousses au lieu des pommes, ça aurait fait combien de m3 de camionnettes?

    octobre 14, 2008 à 14 h 46 min

  23. Barbarella à Pascale

    un des meilleurs potes de 120…

    octobre 14, 2008 à 14 h 48 min

  24. Barbarella à Isi

    Je crois qu’à 14h30, Ourko a décidé d’utiliser ton exemple de problème pour une classe de CM1…. 🙂

    octobre 14, 2008 à 14 h 49 min

  25. Vincent

    La Modernité — à mon sens — fait désormais partie de notre passé (nous sommes passés ou en train de passer à autre chose, que l’on qualifie généralement de « post-moderne » à défaut de lui avoir trouvé son nom propre). Ce serait justement être encore « moderne » que de vouloir la renier, rompre brutalement avec elle.

    Se réconcilier (enfin !) avec son passé, c’est aussi se réconcilier avec elle. Mais cela ne veut pas dire pour autant (comme peut le laisser croire Finkielkraut dans l’extrait cité) se « figer dans ce cher passé révolu ». Juste continuer d’avancer (comment faire autrement ) mais avec un peu moins de forfanterie et d’ingratitude.

    Il ne me semble cependant pas que cela nécessite beaucoup d’efforts. Ca se fait même tout seul…

    octobre 14, 2008 à 17 h 36 min

  26. Vincent

    Yatsé, sinon, peux-tu expliquer davantage comment le côté libéral de ta force peut être aussi inquiet et scandalisé qu’il semble l’être face à ce qui est en train de se passer. N’est-ce pas du pain béni, pour la logique libérale, que cette crise… et les moyens mis en oeuvre pour la contrer (à tel point qu’on peut se demander si ce n’est pas « fait exprès ») ? N’en ressort-elle pas plutôt renforcée ?

    octobre 14, 2008 à 17 h 42 min

  27. Isidore

    Tu peux développer un peu plus, Vincent, ton propos sur la post-modernité, en rapport (ou pas) avec la modernité ? Ça me semble bien intéressant et je suis curieux d’en savoir un peu plus. J’aime bien aussi ta formule « …avec un peu moins de forfanterie et d’ingratitude. »

    octobre 14, 2008 à 18 h 03 min

  28. Vincent

    Je dirais juste, Isidore, que la Modernité est à mon sens finie tout simplement parce que plus personne n’y croit plus (même ses plus fervents défenseurs ne me semblent s’y accrocher qu’à défaut d’autre chose, sans y croire vraiment et que leur ferveur zêlée n’est que la contepartie de leur doute foncier).

    On y a tous cru un moment (je veux dire nos ancêtres) — et sincèrement à l’utopie moderne. On aurait tous bien voulu que la Raison — et le Bien — finalement l’emportent. Mais après trois guerres mondiales, le constat de la situation écologique, économique et sociale du monde, etc. tout le monde voit bien désormais (même si certains refusent encore de l’admettre ou de s’y résigner) que non seulement on ne réalisera jamais le projet mais qu’il comporte intrinsèquement même de tels effets pervers qu’on ne peut que s’en féliciter secrètement.

    Bref on est déjà passé à autre chose : une relation plus désinvolte, ironique — peut-être aussi cynique ou fataliste — avec notamment le monde des idéologies. Quelque chose de plus « oriental ». On n’a peut-être pas perdu notre orgueil (est-ce simplement possible ?) mais on a la sagesse d’afficher un peu moins de « prétention », je trouve.

    Non ?

    octobre 14, 2008 à 18 h 25 min

  29. Et dans le projet postmoderne, qu’y vois tu ? Pourrais tu donner d’autres précisions affinant celles de ton dernier commentaire ?

    octobre 14, 2008 à 20 h 20 min

  30. Vincent

    On peut résumer la post-Modernité par le remplacement du dieu tutélaire Prométhée par Dionysos.

    Difficile, sinon, de présenter le « projet post-moderne » (à supposer que ces deux termes ne soient pas antinomiques) en un commentaire.

    Le plus simple est peut-être de renvoyer, dans un premier temps aux discussions qui ont fait suite à cet ancien article : http://www.partiprehistorique.fr/2008/02/17/prehistorique-certes-mais-surtout-postmoderne/

    …comme à tout le travail de Michel Maffesoli (qui depuis des années s’évertue justement à développer — à mon sens brillamment — la réponse à cette question)

    octobre 14, 2008 à 21 h 58 min

  31. 120

    Ecrit par Michel Maffesoli :

    […] Il suffit de voir ce qui s’offre à nous de nos jours pour comprendre qu’un changement d’importance, de paradigme diront certains, est en train de s’opérer.

    Multiplication des restaurants chinois, japonais, musiques du monde, haute couture ou stylisme orientaux, prêt-à-porter aux coupes déstructurées, multiplication des centres de méditation, cercles de divers bouddhismes, restructuration des bureaux selon les principes d’un paysagisme venu de fort loin. La liste est infinie de phénomènes montrant bien que les manières d’être, de penser, de s’organiser ne correspondent plus (ou plus tout à fait) aux critères ayant prévalu dans ce petit canton du monde, l’Europe, qui fut le laboratoire de la Modernité. En effet, ce qui s’achève là, c’est la prévalence du paradigme occidental. Celui de la raison souveraine, et de la via recta, cete voie droite que celle-ci avait réussi à imposer comme seul modèle d’interprétation et d’action sur l’environnement social : organisation de la société. Et sur l’environnement naturel : domination à outrance de la nature.

    La mutation profonde dont on peut observer de nombreux indices un peu partout de par le monde est, donc, à mettre en relation avec la saturation de la mythologie des Lumières.

    Il peut paraître paradoxal d’accoler ces deux termes. Et pourtant, la réduction de toutes choses à leur simple dimension rationnelle fut un combat de longue haleine, mobilisant la totalité des énergies de tous les protagonistes qui s’y consacrèrent. Il y eut des faits d’armes marquants, où Voltaire, Rousseau, Diderot s’illustrèrent. Il y eut des martyrs. Un culte fut même rendu à la déesse Raison.

    Il ne s’agit pas seulement de souligner ce qui pourrait paraître comme autant de mômeries rationalistes, mais aussi de rendre attentif à ce que la spécificité de la tradition occidentale est une constante recherche de salut.

    Cela, on ne le soulignera jamais assez. Il faut, en effet, rappeler que la sotériologie (la recherche d’un salut individuel) est une exception culturelle et/ou religieuse. Elle fut la source indéniable de ce qui, après, d’une manière ou d’une manière plus profane, va devenir la quête du bonheur, pour aboutir à cette société sans risques, modèle achevé de la modernité occidentale.

    Salut, bonheur, sécurisation de l’existence, voilà bien la trinité de la mythologie moderne, ou occidentale, ce qui revient au même. Toutes choses reposant sur une conception de l’Histoire que l’on peut maîtriser. Et ce, bien sûr, que ce soit l’histoire individuelle ou l’Histoire universelle. Là encore, c’est l’Histoire du salut, judéo-chrétienne sémitique, origine de la philosophie de l’Histoire, qui, dans la foulée hégéliano-marxiste, sert de fondement inconscient à toutes les constructions étatiques ou institutionnelles du contrat social occidental.

    C’est ce modèle qui s’est imposé. C’est ce modèle qui a imposé la suprématie de l’Occident. Ce qui devient tout à fait évident à la fin du dix-neuvième siècle. On peut repérer l’orbe de cette domination au travers de deux dates symboliques : 1868, l’ère Meiji au Japon, où l’empereur ouvre les portes aux navires occidentaux, et consulte des juristes européens pour la Constitution du pays. Et au Brésil, en 1888, lorsque le pays inscrit sur son drapeau la formule d’Auguste Comte : Ordre et Progrès.

    Voilà bien le résumé de ce que Gilbert Durand nomme la « symphonie héroïque du Progrès ». Mais celle-ci a quelques hoquets. Cet héroïsme ne fait plus recette. Et pour dire bref, la saturation de la mythologie des Lumières va de pair avec le déclin de l’Occident, avec la montée de cet Orient dont on avait cru évacuer les valeurs.

    Ce dont il est question, ce sont, bien sûr, des orients mythiques. J’entends par là ce qui ne se réduit pas au matérialisme, au positivisme, au rationalisme propre à la mythologie moderne. […]

    (Iconologies, Nos idol@tries postmodernes, Albin Michel, 2008)

    octobre 14, 2008 à 22 h 33 min

  32. Isidore

    Fort intéressant… et qui demande réflexion. Autant le constat des faits me semble pertinent, autant l’interprétation qu’il en tire me pose questions.

    Je me demande si cette proposition postmoderne ne s’inscrit pas encore dans l’évolution naturelle de cette fameuse modernité et ne devient en fait que la modernité d’aujourd’hui, sans qu’on puisse établir une telle rupture (ou alors la même que toute époque revendique pour s’émanciper de son passé).

    « Salut, bonheur, sécurisation de l’existence, voilà bien la trinité de la mythologie moderne, ou occidentale… » Peut on dire que ces préoccupations actuelles caractérisent la modernité occidentale dans tout son développement ? Je ne pense pas que lorsqu’elle était avant tout conquérante et initiatrice de l’industrie et de tout son mythe du progrès, elle fut si en quête de sécurité, bien au contraire. La phase sécuritaire correspond à son embourgeoisement « naturel », lorsqu’elle commence à manifester ainsi sa fatigue et son vieillissement.

    Il est alors tout aussi naturel que des peuples plus vigoureux et moins fatigués de cet effort conquérant colossal, prennent le relais… en modifiant la tonalité générale forcément du fait de leurs couleurs particulières.

    Mais je ne suis pas certain qu’un changement qualitatif fondamental soit ainsi introduit qui puisse nous faire dire qu’une rupture soit en train de se produire.

    Je pense plutôt que cette rupture se prépare dans les laboratoires de la marginalité, et que la modernité toujours à l’œuvre dans son mythe du progrès récupère tant bien que mal tous les apports de cette quête marginale en les dénaturant forcément (je pense à l’écologie en particulier).

    Et je pense aussi qu’on est encore loin de modifier d’un petit iota nos réflexes acquis déjà depuis pas mal de temps de penser « moderne », et donc que cette rupture que suggère la postmodernité passe d’abord par un sacré conflit intérieur à résoudre entre des habitudes de pensée et une « intuition d’autre chose » qui travaille au corps et qui pousse à aller explorer des chemins inconnus et quelque part peut être inconciliables avec cette modernité instituée.

    En tout cas j’ai le sentiment que ce qui est facile en la matière appartient en réalité toujours à la même logique moderne et ne relève pas de cette postmodernité que l’on pressent malgré tout. Je ne pense pas que ça puisse se faire sans conflit, et d’abord un conflit intérieur, le plus intéressant.

    Mais j’avoue là ne pas avoir réfléchi suffisamment à la question.

    octobre 15, 2008 à 7 h 53 min

  33. Vincent

    Tes remarques et réserves sont judicieuses. Je vais les faire à mon tour décanter. En attendant, je te livre « à chaud » ma réponse :

    Le conflit intérieur que tu évoques existe d’autant plus que l’individu « post-moderne » — contrairement au « moderne » — se caractérise justement par l’éclatement, la perte de l’utopie « unitaire ».

    Mais je ne crois pas à l’importance de ce conflit. L’air du temps me paraît, en effet, davantage celui des tribus qui coexistent de manière plutôt pacifique que celui du combat et de l’affrontement idéologique.

    octobre 15, 2008 à 11 h 39 min

  34. 120

    Ecrit par Michel Maffesoli :

    Engagez-vous ! Telle pourrait être la grande injonction moderne. Engagement politique, social, économique. C’est bien ce qui a prévalu, sur la longue durée et dans tous les domaines, depuis le dix-huitième siècle. Mais l’on voit se profiler un autre rapport à la nature et aux autres. Et dans le sabir contemporain, « Cool mec » traduirait bien cette nouvelle attitude. Celle d’une disponibilité au monde, d’une sorte de désinvolture vis-à-vis de soi, mais également des autres, bien sûr.

    […] Etre maître de soi, l’être de l’univers, voilà bien ce qui est au fondement de l’éducation moderne. Ce qui va servir de moteur à l’élaboration du contrat socvial, à l’économie qui en est la cause et l’effet. C’est également sur cette base que s’élèvera le projet politique. Quel qu’il soit d’ailleurs. Dans chacun de ces cas, l’activisme est le maître mot. Sésame permettant d’ouvrir les portes de l’avenir. Levier méthodologique pour préparer l’avenir radieux d’une humanité nouvelle.

    C’est bien tout cela qui tend à laisser la place à l’active passivité postmoderne. Sa temporalité est le présent, et une posture corporelle spécifique en témoigne.

    (Iconologies, Nos idol@tries postmodernes, Albin Michel, 2008)

    octobre 15, 2008 à 11 h 51 min

  35. Vincent

    Là où je te suis, en revanche, c’est dans l’idée que cette évolution ne concerne qu’une civilisation (atteignant sont stade de fatigue) : le bâton de la Modernité agissante est simplement passé dans d’autres mains (plus jeunes).

    octobre 15, 2008 à 11 h 54 min

  36. Isidore

    Malheureusement j’ai bien peur que pour les civilisations il n’existe guère de maison de retraite, et que sitôt fatiguées elles soient vouées à disparaître tout bonnement sous la pression des civilisations montantes et plus vitales. Moralité : s’adapter ou mourir. C’est pas gai mais j’ai bien peur que les rêves de lendemains harmonieux et plus paisibles, d’un « avenir radieux d’une humanité nouvelle » ne soient pas encore à l’ordre du jour. Mais ce n’est pas pour donner le bourdon, au contraire, il s’agit d’ouvrir ses oreilles joyeusement à ce qui arrive à grand pas et qui risque de bouleverser brutalement un confort chèrement acquis et des certitudes un peu trop sûres d’elles mêmes. Une cure de jeunesse en quelque sorte. Ce sera sans doute le véritable visage de la postmodernité… mais sans conflits ? j’ai quelques doutes à ce sujet, malheureusement.

    octobre 15, 2008 à 13 h 07 min

  37. Vincent

    Un petit film (enfin, pas si petit : 52 min) qui répondra peut-être au besoin de clarification évoqué par Isidore au commentaire 10 :
    http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=1274

    octobre 18, 2008 à 21 h 57 min

  38. Vincent

    Dans ce film, on rappelle que les religions ont toujours interdit l’usure (la possibilité de faire de l’argent avec de l’argent).

    Cela se connecte étrangement avec ce que Jean-Claude Michéa pointe dans son minutieux travail d’archéologie du capitalisme. Ce système — axiologiquement neutre — trouve selon lui sa source dans les Guerres de religion du XVIe siècle, leur horreur et la volonté de « Plus jamais ça ! » qu’elles ont suscitée. Le capitalisme est ainsi né de la sécularisation du système des échanges, du souci d’en retirer toute morale et idéologie (potentiellement source de conflit) pour en faire un système rationnel et scientifique.

    Bref, en écartant la religion (et son étonnante « sagesse » en matière d’usure), en livrant la sphère économique à ses seules lois internes, on a en quelque sorte ouvert la boîte de Pandore.

    On peut aussi — sous un autre angle — en déduire qu’en voulant de bonne foi refouler la Guerre par la porte, on a tout bonnement créé les possibilités de son retour anarchique par les fenêtres.

    octobre 19, 2008 à 18 h 39 min

  39. Isidore

    Intéressant, ce petit film. Je suis toutefois gêné par cette idée du complot qui plane derrière tout le propos car je sens l’idéologie en action plutôt que la pensée à l’œuvre. Mais qu’importe, ceci apporte des éléments qui stimulent la réflexion quand même.

    Concernant cette faramineuse dette qui plane sur le monde, j’aurais plutôt envie de considérer qu’elle signifie, en réalité, que dans notre système de croyance relative à l’argent, nous donnons en fait plus de valeur à l’argent qu’aux richesses réelles et que par conséquent la somme totale de l’argent en circulation dépasse astronomiquement la valeur totale des richesses réelles. Ceci dit nous sommes dans l’ordre de la croyance et la réalité sera toujours de l’ordre des richesses objectives. Il suffit que la valeur de l’argent soit ré-étalonnée en fonction de la richesse réelle pour que la dette disparaisse. Mais ceci n’est évidemment pas sans conséquence, puisque cela signifie immédiatement un réajustement dans l’ordre du contrat d’échange et il ne devient alors plus aussi facile de voler son prochain. Il est certain que si un sou vaut un sou, il ne me sera plus possible d’échanger une perceuse contre 30 malheureux euros, par exemple… et que le niveau de vie des nantis que nous sommes risque de dégringoler à toute vitesse.

    Par contre, je pense aussi que ce n’est pas si simple dans la mesure où tout repose sur quelque chose de bien peu objectif: la croyance et la convention tacite qui définit le contrat d’échange. Comment établir une objectivité dans l’échange autre que le contrat de confiance et la croyance concernant son équité convenue ?

    D’autre part le calcul des richesses réelles et de leur valeur globale me semble aussi bien difficile dans la mesure où n’apparaît comme valeur que ce qui est monnayable et participe à un échange à l’intérieur de ce système d’argent. Et tout ce qui n’y participe pas mais qui, dans la vie réelle peut être tout à fait reconnu comme richesse (le bénévolat, par exemple, ou alors tout ce qui relève de la production privée (jardinage, auto-construction etc…), comment en tenir compte dans ce calcul ?

    D’autre part encore je m’interroge aussi sur la fécondité particulière d’un système qui permet en réalité, d’échanger un quignon de pain contre une tronçonneuse, par exemple, et des possibilités qu’il donne en réalité à un nombre réduit d’individus forcément, de fabriquer, de disposer et d’utiliser des machines capable de réaliser et de produire des richesses comme personne n’aurait jamais su ni pu faire dans un système plus équitable. C’est tout le mystère et la fécondité particulière du système industriel qui caractérise notre époque. Aurait-il pu voir le jour sans ce système financier incroyablement inéquitable ? Et ne devons nous voir qu’un « mal » dans ce système aujourd’hui où nous commençons à mieux percevoir ses limites et les mensonges nécessaires qui ont permis son existence ? Ces outils incroyables nés de ce développement industriels ne peuvent-ils pas aussi nous apporter des solutions pour résoudre les problèmes gigantesques que cette orientation de la civilisation nous fait découvrir aujourd’hui ?

    octobre 20, 2008 à 12 h 33 min

  40. Isidore

    J’ai oublié d’ajouter que rétablir la vérité de la correspondance argent-richesses réelle, c’est aussi et surtout porter atteinte au talon d’Achille du pouvoir de la finance et de la domination par la guerre économique. Il n’y a donc pas lieu d’imaginer que ceci peut se faire aisément, et surtout pas par la bonne volonté des castes dominantes et dirigeantes. Comment vont-elles s’adapter aux risques d’effondrement qui planent sur tout le système ?

    octobre 20, 2008 à 13 h 38 min

  41. Vincent

    J’apprécie beaucoup ton analyse, Isidore, notamment cette idée que l’on croit davantage à la valeur de l’argent qu’à celle des richesses réelles.

    octobre 20, 2008 à 18 h 55 min

  42. Vincent

    C’est peut-être le moment d’en causer ici (on aura sans doute l’occasion d’y revenir tant le lien avec le PP est à mon sens évident), mais s’il y a bien, à mon sens, un courant de pensée qui — depuis plus de vingt ans — développe une véritable et féconde pensée sortant de la « logique de l’échange général » (donc de l’économisme moderne) autour duquel on tourne depuis plusieurs commentaires c’est celui du M.A.U.S.S. (Muvement Anti-Utilitariste en Sciences Sociales).

    La référence au grand Marcel Mauss est un hommage on ne peut plus clair à l’initiateur de l’étude de la logique — archaïque — du don qui ouvre des horizons que l’on n’a pas fini d’explorer.

    Pour ceux qui veulent avoir un aperçu (honnêtement, ça vaut vraiment le coup), voilà le site de leur revue :
    http://www.revuedumauss.com/

    octobre 20, 2008 à 19 h 11 min

  43. Isidore

    Merci pour l’info, Vincent.

    octobre 20, 2008 à 20 h 43 min

  44. Ourko

    Moi j’dis que c’est un coup monté (sûrement par Abel), cette référence à la revue du MAUSS. Cherchez donc un peu qui est en tête du Conseil de publication, et vous comprendrez…

    octobre 21, 2008 à 15 h 44 min

  45. 120

    Ecrit par Pascal Quignard :

    La modernité

    La notion de modernitas apparut au XIe siècle.
    Les Moderni s’opposèrent aux Antiqui comme les Chrétiens aux Romains.
    Considérant la durée de chaque vie humaine comme un stage de douleur entre Eden et Paradis, la vraie vie fut transportée dans le troisième monde. Après les Vieux de l’origine et de la faute, les Actuels représentaient un âge moyen, un Moyen Âge, media aetas, avant que renaissent les Renaissants dans la vie future éternelle.
    Trois étapes temporelles progressistes, progressivement lumineuses, exterminatrices de tout jadis, définirent alors l’histoire humaine des Chrétiens.
    D’abord ténèbre païenne des Antiqui.
    Clarté incertaine de la vie terrestre des pécheurs tous tentés, à peu près tous relaps, la plupart damnés.
    Peine lumière du paradis céleste pour les saufs.

    *

    Au cours du XIIe siècle, pour la première fois au cours de l’histoire sociale, une distance historique fut ressentie comme abyssale entre les aïeux et les descendants : On avait ramené des mondes byzantins et arabes les manuscrits que les Chrétiens avaient brûlés. Un abîme s’ouvrit entre soi et autre, entre antiques et modernes ; cet abîme sidéra.
    Un siècle plus tard, Pétrarque détourna violemment la notion de media aetas, l’engouffrant dans cet abîme. Le temps moyen devint décadence obscure, vandale, gothique, chaotique, belliqueuse, hostile auquel il opposa l’origine et sa plus fraîche et plus pure lumière. A la ligne progressiste chrétienne (ténèbres païennes, pénombres terrestre, splendeur paradisiaque) se substitua un cycle : enfance, vieillissement, nouvelle enfance.
    Origine, décadence, réenfantement.
    Antiquité, Moyen Âge, Renaissance.

    *

    La Renaissance fut une conspiration païenne, républicaine, lettrée, livresque. Transmission non plus orale et puérile, mais écrite et légendaire, par exhumation auprès des Arabes et des Byzantins de ce qui avait réchappé à un anéantissement volontaire et millénaire de la part des Chrétiens.
    La Renaissance italienne au XVe siècle constitua le plus bel instant de cette métamorphose antityrannique et antichrétienne.
    Mais la plus grande époque de la Renaissance aura été la fin du XXe siècle. Le monde se trouva accru au début du XXIe siècle d’une durée, d’un abîme, d’un vertige, d’un savoir, d’un héritage animal, biologique, naturel, céleste à proprement parler inimaginable dans tous les temps historiques.
    Le propre du XXe siècle fut la passassion du passé infini.
    L’infinitisation du passé dans les inventions de la préhistoire, de l’ethnologie, de la psychiatrie, de la biologie s’étendit à l’ensemble du site (la terre en ruine).
    La traduction de presque toutes les langues.
    La synopsie et le transport de toutes les images disponibles.
    La thésaurisation de toutes les expériences sociales encore inventoriables.
    En un siècle, dans toutes les sociétés de la terre ayant survécu dans leurs descedants et dans leurs langues, elles-mêmes plus ou moins synchronisées au travers des media par lesquells elles communiquent entre elles, le temps de la généalogie privée, le temps de l’histoire humaine, le temps de la chronologie de la nature, le temps de l’évolution de la vie, le temps de la matière, le temps de la terre, le temps des étoiles, le temps de l’univers ne forment plus qu’un seul bond.

    *

    Antériorité immense qui aborda pour la première fois depuis l’origine l’expérience humaine interne à partir du post-diluvien.

    *

    Pourquoi le passé sera-t-il toujours plus grand que l’avenir ? La symétrie de l’autre monde s’ajoute à la chaîne dynamique des actes et y joint encore les anneaux mythiques mais spontanés du préoriginaire. Le monde humain (qui n’a que l’enfant pour avenir) installe l’autre monde (le généalogique, le social, le naturel, l’animal, l’originaire, le stellaire, le mythique) en amont de la naissance.
    La naissance est la seule dimension archaïque du temps. La seule date par laquelle l’après coup déchirant du temps surgit, opposant au sein du langage le passé invisible (le mort) et l’avenir sans langage (l’enfant). Il n’est d’avenir que re-naissant.

    (Abîmes, Dernier royaume III, Grasset, 2002)

    octobre 26, 2008 à 13 h 16 min

  46. Ourko

    Hein ? Quoi ? Keskidi ?

    octobre 26, 2008 à 13 h 22 min

  47. Vincent

    Ne sois pas trop pressé, Ourko, prends un peu le temps de lire… ou de relire. Tu verras, c’est — ma foi — fort intéressant. Tu y trouveras même peut-être une autre façon de définir, décrire et analyser la… post-modernité (évoquée plus haut).

    octobre 26, 2008 à 13 h 24 min

  48. Vincent

    Si vous ne savez pas quoi faire de l’heure d’hiver que vous venez de « gagner », pourquoi ne pas visionner cette émission d’@rrêt sur images (désormais cantonnée au Net) débattant sur le film (L’argent-dette) mis en lien au commentaire 37.

    En gros, la première demi-heure est consacrée à la crise, les deux dernières seulement au film (notamment aux critiques qu’on peut lui faire).
    C’est un peu long, mais ça vaut le coup, je trouve.

    octobre 27, 2008 à 11 h 42 min

  49. 120

    Ecrit par Kenneth White :

    La Modernité, selon mon point de vue, commence en fait avec Descartes, ou plutôt le cartésianisme. Le paradigme n’est plus Créateur-créature comme au Moyen Âge, mais sujet-objet, et le projet de l’homme moderne est précis: devenir maître et possesseur de la nature. Descartes inaugure une conception du sujet qui n’est pas celle du citoyen grec ou d’un membre d’une tribu primitive. Au fur et à mesure que progressent la modernité et le modernisme, cette conception va s’affermir et s’affirmer de plus en plus. Le sujet va devenir en quelque sorte de plus en plus subjectivisé, renfermé sur sa personne et enfermé dans son cinéma mental (jusqu’à finir sur le divan du psychanalyste) et l’objet de plus en plus objectivisé. Il s’ensuit une séparation totale de l’être humain et de la terre, une terre qui n’est plus considérée que comme matière utile, à exploiter. L’homme moderne ne voit plus la forêt, mais la considère comme autant de planches futures. Avec son sens borné de l’utilité, non seulement il passe à côté de bien des richesses que prodigue la nature, mais encore finit par scier la branche sur laquelle il est assis. L’homme moderne en est arrivé, aujourd’hui (fin de la Modernité?), à vivre d’une manière complètement traumatisante, dans une ambiance stérile, voire cauchemardesque.

    Pourtant, dès la fin du XVIIIe siècle, avec le Romantisme, des réactions, des protestations, sans doute fort subjectives, se produisent. Le sujet prend conscience qu’il est privé de tout. Nous assistons à des tentatives sentimentales et mythiques de retrouvailles avec la nature. Pendant longtemps, on n’en retiendra que les aspects les plus superficiels, voire les plus caricaturaux, comme la sentimentalité excessive, l’être éperdu qui sombre dans la folie, se suicide ou qui, pour mieux se protéger, s’enferme dans sa rêverie médiévale.

    À mon avis, on néglige un peu trop d’autres aspects comme les tentatives de sortir des cadres étroits des sciences séparées par l’invention de nouvelles sciences (biophysique, biopsychophysique…) ou la recherche de nouveaux moyens d’expression (comme chez Novalis). Beaucoup de ces tentatives n’aboutiront pas, le romantisme laissant, lui aussi, un terrain riche mais mal défriché. Seulement, tentatives il y a eu, et certaines faillites, de grands échecs sont parfois plus intéressants que de petites réussites.

    Ensuite – et c’est vraiment le partage des eaux – vient Hegel, le dernier philosophe monumental. Pour Hegel, qui reprend toute la philosophie occidentale, l’«Idée» n’est plus «au ciel», en dehors de la caverne, elle est dans l’Histoire – la Raison est en marche dans le temps. On ne lira donc plus de poèmes, on lira avant tout le journal quotidien: la plus haute fonction de l’esprit n’est plus l’art, c’est la faculté de conceptualiser les événements. Le Progrès, avec un P majuscule, est né. L’Histoire va quelque part: selon les idéologies, vers un super-État (le projet prussien), ou vers le bonheur du plus grand nombre (le projet libéral), ou encore vers un État qui conduira à la disparition de l’État (le projet marxiste). Ce progressisme va marquer tout le XIXe siècle et une grande partie du XXe siècle. C’est seulement depuis quelques temps que plus personne n’y croit. Les pays marxistes de l’Est veulent prendre un nouveau tournant. Les progressistes de l’Occident ne claironnent plus aussi bruyamment. À l’Est, on se raccroche à des identités ethniques ou religieuses, on se convertit au capitalisme sous ses formes les plus brutes. À l’Ouest, sur fond de désespoir tranquille, règne une médiocratie triomphante et démagogique.

    (La suite sur http://www.geopoetique.net/archipel_fr/institut/introgeopoetique/textes_fond_geopoetiques3.html)

    novembre 4, 2008 à 14 h 05 min

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