"Aux explorateurs de l’inconnu qui aiment apprendre en faisant un pas en arrière sur le chemin des ancêtres." Pascale Arguedas

Joann Sfar : La Vallée des Merveilles (tome 1), Chasseur-Cueilleur

On va beaucoup entendre parler de Joann Sfar dans les jours qui viennent : son premier film (Gainsbourg, vie héroïque) semble en effet attendu.

Joann Sfar est toutefois avant tout un auteur de BD. On ne peut pas dire qu’il dessine bien (disons qu’il opte pour un trait simple et énergique) mais sait créer un univers singulier, familier et envoûtant et a déjà publié, si j’en crois sa bibliographie, plus d’une centaine ouvrages .

Je suis tombé récemment et par hasard sur le premier tome « Chasseur-Cueilleur » d’une nouvelle série prometteuse : La Vallée des Merveilles.

En voici le résumé (extrait d’ici) :

« Pot de Miel, sa famille et ses copains vivent dans un décor de rêve au bord de la Méditerranée — sans les touristes, vu que nous sommes en pleine Préhistoire. Il fait beau, la vie est belle, mais Nuit des Câlins en a marre du poisson-manioc. Donc, Pot de Miel et son copain Grand Nez Qui Déniche partent à la chasse. Ce qui leur vaut un tas de rencontres palpitantes : quelques dragons et dinosaures d’époque (ou à peu près), L’Oracle (un condensé de pessimisme), un clan de «civilisés» occupés à sacrifier d’autres «civilisés», un guerrier professionnel qui tient à trucider le monde pour expier ses très grandes fautes et, enfin, des cultivateurs de courgettes. Si bien qu’ils reviendront à la grotte familiale avec des graines et la recette des « petits farcis » (courgettes-opossum) — ce qui constitue un sérieux progrès pour la gastronomie préhistorique. »

Bien entendu, rien n’est réaliste. « C’est le contraire d’un livre éducatif, dit l’auteur dans l’excellent bonus des dernières pages, on n’en sort pas plus intelligent mais j’espère qu’on se marre bien ». C’est toutefois moins drôle que Silex and the city ou du moins ce n’est pas le même humour (basé sur l’anachronisme potache). Cela ressemble davantage à une grande rêverie où l’auteur s’imagine avec sa famille vivant en « préhisto » comme dans un « Heroic Fantasy ».

La dédicace est la suivante : « Merci à madame Klein, ma maîtresse d’école de CP et de CM2, de nous avoir si souvent emmenés au musée de paléontologie de Terra Amata, à Nice. Grâce à elle et à Conan le Barbare j’ai appris très tôt à me comporter comme un sauvage. »

Si ça ne vous donne pas envie d’aller y jeter un oeil…

13 Réponses

  1. 120

    Ecrit par Yves Coppens :

    Deux chasseurs rencontrant dans une même vallée d’étranges dinosaures d’avant, en train de paître, et de bizarres humains d’après, en train de cultiver, ne pouvaient être inventés que par quelqu’un de votre liberté, Joann Sfar. Merci de votre audace mais aussi de votre talent et merci de permettre à la science d’appréhender ainsi, sur vos ailes, la poésie de son propre univers.

    (cité en 4e de couverture de l’ouvrage)

    janvier 10, 2010 à 12 h 40 min

  2. 120

    Ecrit par Cédric Klapisch :

    J’assiste en ce moment avec délectation au renouveau de la Bande Dessinée française. Joann Sfar est certainement un des représentants les plus actifs de ce big bang dessiné. La Vallée des Merveilles, sous son apparente naïveté, crée un langage radicalement moderne. Son style, simple, imagé et poétique, fait pétiller les neurones.

    (cité en 4e de couverture de l’ouvrage)

    janvier 10, 2010 à 12 h 44 min

  3. 120

    Ecrit par Daniel Pennac :

    — J’ai lu La Vallée des Merveilles, le dernier roman de Sfar. Formidable !
    — C’est pas un roman, c’est une bédé.
    — Oui, et c’est un essai aussi. Et un conte. Et un récit. Et un journal intime. Et un rêve. C’est bien ce que je dis : FORMIDABLE !

    (cité en 4e de couverture de l’ouvrage)

    janvier 10, 2010 à 12 h 49 min

  4. 120

    Ecrit par Alain Chabat :

    Comment Sfar construit-il ses histoires ? Il se lance et improvise en se laissant porter par l’aventure et les personnages ? Il a tout le découpage case par case et il sait exactement ce qu’il fait ? Je ne sais pas et ça m’est égal. Je préfère me laisser emporter par ses récits peuplés de dragons belliqueux, de rites absurdes et cruels, de quotidien préhistorique, d’enfants turbulents et de jolies filles. Merci pour ce voyage. Je serai là pour L’Ami des gorilles.

    (cité en 4e de couverture de l’ouvrage)

    janvier 10, 2010 à 12 h 57 min

  5. Pour info : L’Ami des gorilles est le tome 2 annoncé de la série.

    janvier 10, 2010 à 12 h 57 min

  6. Oulah… Je m’apprêtais à aller y voir, mais si ça a plu à Coppens, Klapisch, Pennac et Chabat, glurp! j’vais peut-être m’abstenir. 😉

    janvier 10, 2010 à 13 h 00 min

  7. 120

    Ecrit par Joann Sfar

    Persistance de la barbarie

    Un des plus immenses coups de bol de mon enfance, c’est la bienveillance de mon grand-père vis-à-vis des barbares. Bien qu’il fût féru de littérature russe, germanique, anglaise, latine, il partageait ma passion pour les héros à moitié à poil qui filent des mandales. Pour justifier nos collections de bandes dessinées, ils racontait que c’était instructif parce que Rahan faisait des expériences scientifiques et qu’il luttait pour un monde plus juste. La vérité, c’est qu’on préférait Conan le Barbare. J’avais un peu espéré que cette fascination enfantine passerait en grandissant, mais heureusement ça reste. Malheureusement, les tribus de bikers qui publient des histoires de barbares ces jours-ci n’atteignent jamais la simplicité excitante et brutale qu’on trouvait chez R.E. Howard, chez Buscema, chez John Milius, chez Corben. Dès que ça commence avec les bonhommes aux oreilles pointues et les univers compliqués, on quitte la barbarie. Un barbare, c’est comme l’ours Baloo dans Kipling : il a sa petite vie, avec son territoire de chasse et surtout : il aime pas les problèmes compliqués. Il sait pas ce qu’il va manger demain. Il a peur des magiciens. Il se tracasse pas. Moi je dessine des barbares avec une famille […]

    Un vrai barbare, ça ferme sa gueule

    Voui, ce qui me fait cruellement défaut, c’est le laconisme inhérent à toute chronique sauvage. L’Inspecteur Harry ou Conan, quand ils se trouvent face à des gens qui discutent, ils disent bien vite « assez causé » et ils tirent dans le tas. Moi, il faut que ça palabre. Le point commun entre Spider-Man et les Niçois, c’est qu’ils causent même au milieu des batailles. Le point commun entre Thorgal et Astérix, « Un homme nommé Cheval » et beaucoup d’histoires de primitifs, c’est l’Autosatisfaction. On nous présente un village, une tribu ou une famille qui vit bien tranquille, à l’ancienne. Parfois, le monde extérieur vient troubler leur organisation ; alors, ils tapent tout le monde et ensuite ça va mieux. Les héros du récit de barbare ne remettent jamais en question leur mode de vie. Tarzan a beau voir New York, il préfère la jungle. De même, la force physique du héros et ses ruses de chasseur lui permettent de triompher de toutes les épreuves sans jamais entamer de réelles négociations avec l’ennemi. Le barbare n’est pas un homme de compromis. D’un point de vue strictement politique, il n’est pas recommandé de confier de lourdes responsabilités au barbare.

    A titre personnel, oser ce type de récit constitue une révolution copernicienne. Dans tous les albums que j’ai écrits depuis douze ans, les héros doutent sans cesse. Ils se prennent les pieds dans le tapis. Chaque événement les amène à un niveau supérieur de panique et d’anxiété. Or malgré ce goût pour les tragi-comédies, malgré mon assiduité chez Lubitsch, Wilder et Risi et Woody Allen je continue à lire Batman, Hellboy et Conan le Barbare. Ca fait quoi si une fois je m’autorise un récit de pure joie ? Un truc où c’est pas « Oh, soyons réalistes, si le héros fait ça, ça va pas marcher » mais plutôt « oh, si j’étais un héros, je rêverais de pouvoir faire ça ». Reiser a écrit un jour que les petits garçons de 10 ans sont des cons de droite. C’est exactement ça. Faire le cow-boy et pas réfléchir ! Au soleil ! Je ne prône pas ça, hein. Je dis juste que parfois, ça repose. A ce sujet j’ai remarqué que lorsque mes héros sont des amoureux, j’essaie de les montrer le plus fragiles possible. En revanche, quand c’est des papas, il me semble que c’est mieux s’ils son indestructibles. Je me souviens comment ça me fascinait, quand j’avais 4 ou 5 ans, la force extraordinaire de mon père. Moi, je lui arrivais juste au nombril et lui il était tellement grand qu’il atteignait même le plus haut bouton de l’ascenseur.

    (extrait du bonus de La Vallée des Merveilles, Chasseur-Cueilleur, Dargaud, 2006)

    janvier 10, 2010 à 20 h 18 min

  8. 120

    Ecrit par Joann Sfar :

    Précisions au sujet de nos amis les dinosaures :

    Je sais qu’il n’y en avait plus depuis belle lurette à l’époque des hommes préhistoriques, mais ça n’est pas une raison pour me priver d’en dessiner. A ce titre, « La Vallée des Merveilles » est plus proche de la fantasy préhistorique à la E.R. Burrough ou Flash Gordon que le « La Guerre du feu ». En gros je raconte n’importe quoi mais ce n’importe quoi se réclame d’une longue tradition de récits populaires qui prennet prétexte de la préhistoire pour inventer toute sortes de fantasmagories. Attendez-vous à croiser dans cetet série autant de zozos qu’on pouvait en voir dans les pages du « Tarzan » de Burne Hogarth.

    (extrait du bons de La Vallée des Merveilles, Chasseur-Cueilleur, Dargaud, 2006)

    janvier 13, 2010 à 0 h 13 min

  9. Ah bon ? La Guerre du feu n’est pas tout autant un « récit qui prend prétexte de la préhistoire pour inventer toute sorte de fantasagories » ?

    janvier 13, 2010 à 0 h 16 min

  10. alain poncet

    oui très belle BD, vraiment à lire

    janvier 21, 2010 à 18 h 25 min

  11. Un peu barge, tout de même, non ?

    janvier 21, 2010 à 18 h 45 min

  12. bah je trouve que c’est le genre de bd qu’on pourrait écrire en une soirée (longue), avec des copains potaches et un kilo de shit…

    janvier 22, 2010 à 9 h 51 min

  13. autrement dit : d’autant plus drôle qu’on s’entend soi-même l’écrire en gloussant…

    janvier 22, 2010 à 9 h 52 min

Répondre à Vincent Annuler la réponse.