"Aux explorateurs de l’inconnu qui aiment apprendre en faisant un pas en arrière sur le chemin des ancêtres." Pascale Arguedas

Quignardise (3) : Sur la culpabilité paléolithique

Le fœtus mange sa mère.
Le chasseur mange le fauve.
La culpabilité paléolithique est un obscur sentiment de faute attaché à manger plus fort que soi et plus vivant que soi.
Les mains encore souillées du sang de la chasse on redoute la vengeance de la proie mise à mort.
On la mange : un « re-mords » s’ébauche pour chaque morsure qu’on fait dans le corps qui est autre.
Détrivorie, carnivorie, cannibalisme : l’homme mange du passé.
L’homme vole du passé au jadis.

(Abîmes, Dernier royaume III, Grasset, 2002)

101 Réponses

  1. Qu’est-ce c’est donc, quoi qu’est-ce : la culpabilité ne serait donc pas une invention judéo-chrétienne ?
    Ca vous amuse au PP, on dirait, de casser toutes nos idées reçues, hein ?

    mars 11, 2009 à 13 h 45 min

  2. Amélie

    La culpabilité est naturellement née de la conscience de l’autre, non ? Ce ne serait pas une façon sournoise de rentrer dans le thème de l’égoïsme par une autre porte, Vincent ??? hmmm ? 🙂

    mars 11, 2009 à 19 h 00 min

  3. 120

    Ecrit par André Comte-Sponville :

    CULPABILITE :
    Etre coupable, c’est être responsable d’une faute qu’on a accomplie non seulement volontairement mais délibérément, c’est-à-dire en sachant qu’elle était une faute. C’est en quoi la culpabilité suppose la liberté (on n’est responsable que de ce qu’on a fait librement) et semble l’attester. On remarquera pourtant qu’on ne choisit que ce qu’on fait, non ce qu’on est. Ainsi chacun est coupable de ses actions, et innocent de soi.

    (Dictionnaire philosophique, PUF, 2001)

    mars 12, 2009 à 0 h 25 min

  4. Isidore

    Cette définition de la culpabilité là qui appuie sur la simple responsabilité assumée d’une faute, ne rend pas compte d’un autre aspect beaucoup plus toxique de la question: celui de l’angoisse pétrifiante inhérente à la culpabilité dans son épanouissement morbide.

    Il me semble que cet aspect là mérite d’être étudié de plus près, d’autant plus qu’il touche, à mon avis, une question centrale de la modernité: celle de la (ou les) névrose(s).

    J’aurais tendance à penser que pour s’adapter à nos types de sociétés occidentales, la meilleure solution consiste à développer une organisation psychique de type névrotique avec, malheureusement toutes les pathologies plus ou moins viables qui vont avec, et surtout la terrifiante angoisse de culpabilité, fruit du dérèglement intérieur induit par ce type d’organisation psychique.

    mars 12, 2009 à 10 h 06 min

  5. Amélie

    Ca signifie qu’il faut faire la distinction entre « être coupable de », et « se sentir coupable de ». Le premier étant objectif et rejoignant la définition d’ACS, le second étant sans doute plus névrotique, en tout cas plus subjectif.

    mars 12, 2009 à 11 h 47 min

  6. Amélie

    Là où je rejoins ACS, c’est qu’on est TOUJOURS responsable de ce que l’on fait, dans la mesure où il est toujours question de choix.

    mars 12, 2009 à 11 h 49 min

  7. Amélie

    je dis ça tout en considérant simultanément qu’on n’est jamais vraiment libre…

    mars 12, 2009 à 11 h 50 min

  8. La question de la culpabilité se résoud pour moi assez simplement(sans doute trop) de prime abord :

    Se sent « coupable » celui qui est mu avant tout par l’envie et a plus ou moins sourdement conscience qu’il « prend » plus qu’il ne « donne ».

    mars 12, 2009 à 13 h 26 min

  9. Un chasseur (paléolithique ou contemporain) qui donne la mort se sentirait donc moins coupable qu’un autre qui prend la vie ?

    Mouais…

    mars 12, 2009 à 13 h 28 min

  10. Amélie

    Ouais je trouve ça très moyen aussi…
    C’est vraiment le genre de principe qui encourage la mauvaise foi.

    mars 12, 2009 à 13 h 30 min

  11. Après (vu sous un autre angle, plus réfléchi), je suis convaincu qu’une certaine culpabilité est inhérente à l’espèce humaine (au-delà de toute considération sur le « judéo-christianisme » etc.). Elle vient tout simplement du fait que nous sommes une espèce qui — pour des raisons qui restent à déterminer — est sorti de son conditionnement initial en modifiant notamment son régime alimentaire initial.

    La « liberté » sur laquelle on base notre dignité me semble avoir comme revers plus ou moins conscient un sentiment de transgression « anti-nature », forcément culpabilisant.

    Reste ensuite à assumer ou non cet état. Bref, à culpabiliser ou non de cette culpabilité.

    mars 12, 2009 à 13 h 41 min

  12. La « culpabilité de la culpabilité » maintenant.
    A tous les coups, 120 va nsurenchérir en citant du Edgar Morin (le spécialiste des concepts redondants : la nature de la nature, l’histoire de l’histoire, la vie de la vie, etc.)

    mars 12, 2009 à 13 h 43 min

  13. Amélie

    je ne comprends pas bien ce que tu dis

    mars 12, 2009 à 13 h 43 min

  14. Le « judéo-christianisme » n’a pas inventé la culpabilité. Il a juste donné une forme nouvelle sur un sentiment de « péché originel » toujours déjà là.

    La question n’est donc pas pour moi : est-on ou non coupable ? mais : comment vivre sereinement ce « sentiment de culpabilité » qui nous tenaille tous plus ou moins sourdement ?

    mars 12, 2009 à 13 h 51 min

  15. Isidore

    Bien vu, Vincent, je partage ton point de vue sur la question.

    mars 12, 2009 à 13 h 52 min

  16. Amélie

    Ah oui mais la question du judéo christianisme on l’avait déjà évacuée depuis le début.
    Mais qu’est-ce qui fait naître le sentiment de culpabilité ?

    mars 12, 2009 à 13 h 57 min

  17. Amélie

    Vous ne croyez pas que c’est tout simplement né du moment où on a considéré l’autre comme un autre détaché avec une valeur au moins égale à soi ? Et que donc, on n’a plus pu être désinvoltes dans ses actes (comme prendre le seul morceau de nourriture par exemple), sans ressentir la culpabilité ?

    mars 12, 2009 à 13 h 59 min

  18. Amélie

    Il m’est souvent arrivé de penser que certaines formes d’autismes (celles où on s’extrait du monde), étaient dues à un sentiment de culpabilité ingérable.

    mars 12, 2009 à 14 h 02 min

  19. Isidore

    D’accord avec toi Amélie sur le fait qu’on est toujours responsable de ses actes… même dans le cas où on obéit aux ordres de sa hiérarchie (quoique dans ce cas particulier, il est d’usage d’alléger sa part de responsabilité personnelle dans la mesure où le jeu de la hiérarchie et du pouvoir implique l’obéissance presque inconditionnelle… mais ça reste à discuter, à mon avis).

    Cependant la question reste de savoir dans quelle mesure on est vraiment capable de les assumer et de les regarder en face sans céder à la facilité de ne pas voir. Et c’est là, à mon sens que la culpabilité intervient. Plus ce sentiment de culpabilité est développé moins la personne sera capable de cette lucidité … et la tentation du déni sera toujours la plus forte. C’est pourquoi on devient d’autant plus responsable et fiable quant à ses actes au fur et à mesure qu’on se libère de cette foutue culpabilité.

    mars 12, 2009 à 14 h 04 min

  20. Amélie

    ah c’est drôle j’aurais dit exactement l’inverse ! :-))

    mars 12, 2009 à 14 h 06 min

  21. Amélie

    J’aurais plutôt tendance à dire qu’il faut reconnaître la part de liberté qu’on a tjs dans ses actes pour en assumer pleinement sa part de responsabilité, donc de culpabilité.

    mars 12, 2009 à 14 h 07 min

  22. La vérité est peut-être (comme d’hab’) peut-être juste à l’inverse du lieu commun :

    Le péché originel n’est pas d’avoir croqué la pomme sous l’impulsion du serpent mais… mangé le serpent !

    L’humain est en effet un primate initialement fructivore devenu progressivement charognard puis carnivore (pour des raisons qu’il reste à éclaicir).

    mars 12, 2009 à 14 h 09 min

  23. Isidore

    Ce n’est pas forcément contradictoire.

    mars 12, 2009 à 14 h 09 min

  24. Faut-il chercher loin les raisons ?
    C’était un vrai chieur, ce serpent persiffleur. En revanche, quel fumet !!!!

    mars 12, 2009 à 14 h 11 min

  25. Isidore

    Je précise: ce n’est pas forcément contradictoire, Amélie.

    mars 12, 2009 à 14 h 11 min

  26. Crâo

    Surtout avec des petits oignons et une branche de persil dans le c..

    mars 12, 2009 à 14 h 13 min

  27. Ourko

    Tu parles de qui, Crâo ?

    mars 12, 2009 à 14 h 15 min

  28. Crâo

    Du serpent, hé, banane !

    mars 12, 2009 à 14 h 18 min

  29. Amélie à Isidore parce qu'Ourko et Craö foutent un de ces souks !

    ah tu veux peut-être parler de la culpabilité névrotique qui ternit le jugement ?

    mars 12, 2009 à 14 h 19 min

  30. Amélie à Vincent quand même

    Si l’homme n’avait pas mangé de la viande, il n’aurait pas pu se redresser et se muscler autant. reste à savoir s’il a ressenti le besoin de se muscler et a donc commencé à manger de la viande, ou s’il a commencé à manger de la viande pour d’autres raisons et s’est conséquemment musclé.

    mars 12, 2009 à 14 h 21 min

  31. Isidore

    Oui, tout à fait, Amélie. Non seulement elle ternit le jugement mais elle suscite la pire des mauvaises foi, celle qui est capable de dénier la plus simple évidence.

    mars 12, 2009 à 14 h 27 min

  32. Amélie à isidore

    Pour moi la pire des mauvaises foi (si on peut véritablement établir une hiérarchie ce dont je doute), c’est plutôt celle qui cherche constamment à se déculpabiliser…

    mars 12, 2009 à 14 h 42 min

  33. Amélie

    A propos de culpabilité :
    c’est bientôt la semaine du développement durable (je n’ai pas vérifié si la bisontine de décroissance l’annonce). Le thème 2009 « Consommer durable »…
    fin de la parenthèse

    mars 12, 2009 à 17 h 03 min

  34. Pour répondre juste au dernier commentaire : peu de chance que la Bisontine de Décroissance (du moins dans sa forme actuelle) fasse la promo du « développement durable ». A sa simple évocation, faut voir comment elle saute au plafond !
    😉

    mars 12, 2009 à 18 h 46 min

  35. Pour ce qui est du reste : deux discussions se sont un peu croisées, du coup c’est compliqué d’enchaîner… d’autant plus que la question de ma « naissance de l’Autre », avancée au commentaire 17, est également intéressante à creuser (et ouvre un 3e débat).

    mars 12, 2009 à 18 h 49 min

  36. J’veux bien, de mon côté, reprendre la piste de l’espèce humaine « transgressive » (changeant de régime alimentaire, donc de « natuire »), plus tard, dans un autre article spécifiquement consacré au sujet.
    La question de l’Autre pourait également être mise, un temps, de côté.
    Revenons donc à la mauvaise foi.

    mars 12, 2009 à 18 h 52 min

  37. Isidore

    La mauvaise foi désignait plus précisément le déni de réalité inhérent aux névroses de culpabilité telles qu’on peut les voir se développer comme symptômes du mal-être de la modernité. J’avais envie de soutenir l’idée de la culpabilité névrotique comme pathologie centrale de la modernité occidentale, et en même temps comme disposition psychique la plus adaptée à la perpétuation du système constitutif de production-consommation. Et donc aussi l’idée qu’une post-modernité devra forcément dépasser cette problématique en se libérant de la culpabilité névrotique.

    mars 12, 2009 à 20 h 57 min

  38. Crâo

    Si vous n’avez rien compris à ses élucubrations, surtout ne vous culpabilisez pas, Isi fait de la névrose congestive du cerveau; et il s’en sert pour chauffer sa maison durant l’hiver… Donc, pas de souci, OK.

    mars 12, 2009 à 21 h 03 min

  39. Vincent

    Je me demande si le sentiment sourd de culpabilité qui nous hante un peu tous ne viendrait pas du sentiment de ne rien avoir à « rendre » qui soit à la hauteur du monde qui nous a été « donné » en venant à lui.

    D’où peut-être (soit dit en passant) les pulsions qui nous incitent soit à le détruire, soit à en construire un « double » meilleur qui lui.

    mars 16, 2009 à 13 h 39 min

  40. Amélie

    Ca y est ! J’ai compris pourquoi je ne te suis pas depuis le début : tu es parti du principe qu’on était tous hantés d’un sentiment de culpabilité. Qui t’a dit ça ??? Tu n’aurais pas u peu rapidement généralisé un sentiment personnel ?

    mars 16, 2009 à 14 h 02 min

  41. En pointant là le « péché originel » de ma réflexion, ne serais-tu pas — malgré toi — en train de confirmer ce que j’avançais ?
    (A savoir que la culpabilité — ou son simple sentiment — est « toujours déjà là »)

    mars 19, 2009 à 13 h 21 min

  42. Dans la suite du texte de Quignard dont est extrait ce que j’ai cité, c’était plutôt le langage qui était visé : ce serait en parlant, en pensant le monde avec des mots — donc en devenant en quelque sorte — pleinement humain, que se nicherait le « péché originel » qui nous a banni de l’Eden initial.

    Je partagerais volontiers cette hypothèse.

    mars 19, 2009 à 13 h 27 min

  43. Amélie

    heu…
    décidément…

    mars 19, 2009 à 16 h 28 min

  44. Vincent

    🙂

    mars 19, 2009 à 18 h 30 min

  45. 120

    Ecrit par Jean Baudrillard :

    Au fond, on pourrait le prendre (la technique, la simulation, le virtuel) comme un défi à la perfection naturelle du monde donné — un défi à Dieu qui nous l’a donné si l’on veut. Pour reprendre par cette métaphore la règle symbolique fondamentale qui veut que le don unilatéral est insupportable, et que tout ce qui est donné doit être rendu. Il n’y a donc pas d’innocence originelle, et le monde tel qu’il est n’est pas innocent. C’est un cadeau empoisonné, et nous ne pouvons pas l’accepter comme cela. Nous ne pouvons pas non plus en prendre la responsabilité, parce que la dette serait trop lourde. C’est bien pourtant la stratégie de Dieu que de nous rendre responsables, ou de racheter la dette (ou de faire semblant, par le sacrifice de son fils), ce qui nous rend encore plus débiteurs et nous accable encore plus. Donc, il faut conjurer ce monde naturel, et répondre par un monde fait de nos mains, un monde voulu et conçu par nous. La vraie réponse est dans le défi, pas du tout dans l’idée d’être « libre » ou « responsable ». C’est dans le défi que la responsabilité est totale, et qu’elle est résolue. Dans ce sens, l’entreprise de susbtituer un monde fait de nos mains à un monde donné est bien un défi métaphysique et qui répond quelque part à la règle symbolique (il faut toujours penser à cela dans l’évaluation critique de la technique).

    (Les Exilés du dialogue, Galilée, 2005)

    mars 25, 2009 à 10 h 19 min

  46. « L’entreprise de susbtituer un monde fait de nos mains à un monde donné est bien un défi métaphysique ».

    Ce texte de Baudrillard pourrait tout autant illustrer l’article sur Le petit Eden des Holzer.
    😉

    mars 25, 2009 à 10 h 27 min

  47. Isidore

    C’est aussi un point de vue séduisant, en effet… Mais concevoir l’aventure humaine comme un défi à Dieu et à la nature en créant un monde rien qu’humain et à notre fantaisie me semble donner beaucoup de pouvoir à ce Dieu et cette nature puisqu’il s’agit alors d’inventer un autre monde à notre mesure comme seul moyen de nous libérer de cette encombrante tutelle. Je ne suis pas certain que cette proposition offre beaucoup plus d’avantages et puisse nourrir une illusion vraiment plus passionnante.

    mars 25, 2009 à 10 h 48 min

  48. Isidore

    J’aurais même tendance à considérer que cette attitude s’appuie sur une conception très ancien testament de « Dieu le père » qu’il faut défier pour se libérer de son autorité alors que (si on reste dans le modèle chrétien qui semble l’influencer), le nouveau testament et sa conception d’un Jésus christ fils de dieu et fils de l’homme, nous ouvre déjà depuis plus de deux mille ans l’idée d’une collaboration créatrice entre l’homme et son origine. Il n’y a plus rien ni personne à défier puisque ainsi Dieu nous avoue lui même que sans notre libre collaboration il ne peut plus faire grand chose. Nous sommes donc bien les créateurs de notre monde terrestre et je ne vois pas bien l’intérêt ni de remettre en question les outils et les lois de son fonctionnement préalable, ni de vouloir les défier ou en inventer d’autres alors qu’il y a tant à faire pour créer à partir de ce dont nous disposons.

    mars 25, 2009 à 11 h 05 min

  49. Isidore

    Et donc, plutôt que de vouloir défier toutes les lois de la nature et d’inventer coûte que coûte un monde antithétique qui s’effondrera forcément tôt ou tard à force de refuser les règles qui la régissent, l’attitude qui cherche avant tout à observer attentivement ces lois et à rechercher une disposition de collaboration harmonieuse me paraît beaucoup plus sensée et féconde pour le présent et l’avenir.

    En ce sens l’effort de ce couple d’agriculteurs me semble beaucoup plus prometteur que celui de tous ces apprentis sorciers qui nous fabriquent cet enfer vert où nous nous enlisons inexorablement.

    Mais j’ai l’impression que de la même façon qu’un seul Tchernobyl n’ayant apparemment pas suffi pour éveiller la conscience générale, il nous faudra pas mal de désastres écologiques mortels pour qu’on cesse enfin cette irresponsabilité collective quant à la « gestion » (quel horrible mot) de la nature.

    Parce qu’on ne me fera pas croire qu’un paysage de désert humain et de machines saccageant la terre, massacrant la faune et la flore tel je peux l’observer chaque jour par ma fenêtre, peut constituer une proposition viable et intéressante de l’agriculture et du projet humain qui va avec. J’y vois tout bonnement quelque chose de monstrueux qui affiche de surcroît un goût immodéré pour une conception monolithique et totalitaire des sociétés humaines, loin de cette diversité qui préside à tout enchantement, toute réalité poétique dont nous rêvons tous et dont la nature nous offre pourtant si généreusement l’exemple quotidiennement. Sans doute sommes nous encore trop bêtes et révoltés contre je ne sais qui et je ne sais quoi pour refuser d’agir avec un peu plus de sagesse.

    mars 25, 2009 à 11 h 47 min

  50. Isidore

    On va me dire sans doute que pour nourrir tous les humains que nous sommes, il faut bien cette mécanisation à outrance et cette conception industrielle de l’agriculture.

    Certes, certes…. sauf que je pense aussi qu’il existe certainement une autre façon beaucoup plus raisonnable de faire usage de ces merveilleuses machines, quitte même à les utiliser en collaboration avec les animaux, et seulement lorsqu’elles s’avèrent irremplaçables.

    Je préfèrerais largement voir par ma fenêtre et vivre parmi une large et abondante population de cultivateurs ayant soin de leur lopin et de leurs bêtes, étant attentifs à la nature sauvage environnante, plutôt que de vivre dans ce désert rural sans voir ni rien ni personne d’autres que ces quelques malheureux ouvriers agricoles surexploités au volant de leurs monstrueuses machines… Et en prime, un peu plus loin, dans la ville toute proche, cette file misérable de chômeurs en quête d’un non moins misérable emploi.

    On ne va pas me faire croire qu’on n’a pas les moyens de travailler intelligemment et avec moins d’effort qu’au temps jadis grâce aux bienfaits de toute cette technique, et qu’on ne peut pas imaginer une forme de société un peu plus attentive aux êtres humains qui la constituent.

    Toute cette science et cette technique mises véritablement au service d’une conception beaucoup plus ouverte à la diversité et à la complémentarité, et aussi capable de résister davantage à l’illusion de la toute puissance, me paraît tout à fait capable de nourrir aisément et beaucoup mieux que ne sait le faire l’agriculture industrielle actuelle (qui consomme plus d’énergie qu’elle n’en restitue) toute la population planétaire.

    mars 25, 2009 à 12 h 23 min

  51. Le « défi » que pointe Baudrillard n’est pas du ressort de la décision volontaire, libre et raisonnable, qu’il exposerait comme un « projet de société » mais un acte réflexe, suivant la règle symbolique immémoriale du don/contre don, dont il ne fait que constater, à la suite de Marcel Mauss, le fonctionnement.

    Il serait pour le coup tout autant présent dans le geste des Holzer qui semblent avoir tout refait de leur main comme un défi contre le monde agricole tel qu’il s’offrait à eux (c’était le sens de mon commentaire 46).

    mars 25, 2009 à 13 h 14 min

  52. Baudrillard parle de « monde donné » mais il laisse entendre qu’il ne s’agit pas simplement de celui qu’on trouve en arrivant et que les hommes ont transformé sans cesse , mais de celui que Dieu a créé, que la nature a créé: « donc, il faut conjurer ce monde naturel, et répondre par un monde fait de nos mains, un monde voulu et conçu par nous » (et non par Dieu).

    Il y a là une nuance de taille que tu me sembles éluder dans ton commentaire.

    Les Holzer se mettent bien au défi de transformer le monde, mais d’abord celui fabriqué par l’industrie agricole en se basant plutôt sur celui fabriqué par « Dieu ». Et ce n’est pas dans ce sens là que parle Baudrillard.

    mars 25, 2009 à 13 h 29 min

  53. Amélie

    Indépendamment de l’explication de texte, je pense que le naturel est conçu de sorte à nous déculpabiliser justement, puisque nous rendons tout ce qui nous a été donné à nos enfants, et en plus, sublimé par l’amour infini qu’on déverse sur eux.
    Bien sûr, tout le monde n’a pas d’enfants, mais la logique « naturelle » veut qu’on en ait, et l’attitude « naturelle » nous pousse à tout leur rendre sans compter, en donnant toujours plus, et en s’oubliant soi-même.
    Je ne crois pas à cette idée de culpabilité originelle.

    mars 25, 2009 à 15 h 33 min

  54. Amélie

    C’est encore une opinion très subjective, mais à mon sens, les malaises, les sentiments d’inadéquation, l’inconfort, surgissent justement quand on bloque les flux naturels.
    La culpabilité, le sentiment d’être coupablement redevable, ne sont pas naturels. Ils naissent du non respect du flux du don, tel qu’il était conçu pour exister. Et le don n’existe pas hors de l’amour.Ca rejoint l’idée de paradis-enfer évoquée hier avec Vincent : on vit un enfer de culpabilité quand on est incapable d’aimer.
    subjectif et catégorique, je l’admets.:-)

    mars 25, 2009 à 15 h 43 min

  55. Amélie

    je crois que cette idée de don omniprésent et d’amour était sous-jacente à tes derniers commentaires, isidore, d’une certaine façon, puisque le monde que tu décries et celui du moimoimoimoimoimoimoi, celui qui nous fait oublier les autres et casser ce flux naturel de don, de transmission, d’échange et d’amour au sens large.

    mars 25, 2009 à 15 h 59 min

  56. une ptite question terre à terre :
    ils font comment pour choper les seaux de graines de toutes variétés qu’ils montrent dans le film ?

    mars 25, 2009 à 19 h 06 min

  57. ah flute je me suis trompé d’endroit 🙂

    mars 25, 2009 à 19 h 06 min

  58. quand on donne à qqun qu’on aime pas, c’est forcément calculé ?

    mars 25, 2009 à 19 h 08 min

  59. on peut donner aussi parce qu’on aime pas prêter, non ?

    mars 25, 2009 à 19 h 09 min

  60. 120

    Ecrit par Jean Baudrillard :

    Autre hypothèse : le monde nous est donné. Or, selon la règle symbolique, ce qui est donné, il faut pouvoir le rendre.

    Jadis, on pouvait rendre grâce d’une façon ou d’une autre, à Dieu ou à une instance quelconque, répondre au don par le sacrifice.

    Désormais, nous n’avons plus personne à qui rendre grâce, dès lors que toute transcendance a disparu. Et si nous ne pouvons rien donner en échange de ce monde, il est inacceptable.

    C’est ainsi qu’il va falloir liquider le monde naturel, et lui substituer un monde artificiel — un monde construit de toutes pièces, pour lequel nous n’aurons de comptes à rendre à personne.

    D’où cette gigantesque enteprise technique d’élimination du monde naturel sous toutes ses formes. Tout ce qui est naturel sera nié, à plus ou moins long terme, en vertu de cette substitution forcée. Le Virtuel apparaît comme solution finale à l’échange impossible du monde.

    Mais l’affaire n’est pas réglée pour autant. Car nous n’échapperons pas à cette nouvelle dette, contactée cette fois envers nous-mêmes. Comment nous absoudre de ce monde technique et de cette toute-puissance artificielle ?

    Il nous faut donc, là aussi, à défaut de pouvoir l’échanger (contre quoi ?), détruire ce monde ou le nier. D’où, en même temps que nous avançons dans l’édification de cet univers artificiel, l’immense contre-transfert négatif envers cette Réalité Intégrale que nous nous sommes forgée.

    Dénégation en profondeur aujourd’hui partout présente — et dont nous ne savons laquelle l’emportera, de cette entreprise irrésistible ou de cette abraction violente.

    (Le Pacte de lucidité ou l’intelligence du Mal, Galilée, 2004)

    mars 26, 2009 à 19 h 12 min

  61. Est-ce que l’hypothèse (à mon sens, on ne peut plus pertinente) de Baudrillard est plus claire dans ce texte là, Isidore ?

    Les Holzer vont certes dans l’autre sens, mais seraient tout de même mus en quelque sorte par le même moteur.

    mars 26, 2009 à 19 h 17 min

  62. Isidore

    Je trouve effectivement l’hypothèse de Baudrillard claire et toujours aussi séduisante intellectuellement… sans qu’elle parvienne toutefois à m’entraîner dans son sillage (ou sa logique).

    En effet j’avoue pour ma part, ne pas vraiment me sentir dans une dette infinie à l’égard de tout ce qui m’est donné par le monde, ni d’avoir à en créer un totalement artificiel pour me libérer de cette insupportable dette.

    C’est aussi peut-être parce que Baudrillard postule la disparition de toute transcendance et que j’éprouve exactement le contraire. Et ce n’est même pas par esprit de contradiction.

    Je me sens dans un rapport d’échange équilibré avec le monde qui se fonde non pas sur un calcul rationnel de donnant-donnant, mais sur un sentiment d’équilibre intérieur qui sait reconnaître infailliblement ses moindres perturbations dans un sens ou dans l’autre. Je m’efforce alors de rétablir cet équilibre chaque fois que je le sens défaillant et je me sens satisfait en général lorsque j’y parviens… et ça s’arrête là.

    mars 26, 2009 à 23 h 07 min

  63. Amélie

    Moi aussi, à la lecture de l’extrait de Baudrillard, c’est « séduisant » qui m’est venu à l’esprit comme mot. Mais rien de plus. C’est séduisant et ça me fait sourire. Mais ça n’a rien à voir avec ce que je ressens. Ni même avec ce que je pense ! Comme Isidore, je suis plutôt réglée sur mon équilibre ou déséquilibre intérieur (ce que je voyais sous forme de flux) . Rt encore une fois cette idée de dette originelle m’est parfaitement étrangère… Et toi Isidore ?

    mars 27, 2009 à 11 h 12 min

  64. Isidore

    Oui, cette idée de « dette originelle » ne me parle pas beaucoup non plus.

    mars 27, 2009 à 13 h 48 min

  65. Je ne me permettrais pas de porter un jugement sur votre apprécation, mais peut-être pourrait-il être utile au débat (éventuel) que je précise ce qu’il en est pour moi de la question.

    Il me semble que le malentendu (ou du moins la différence de perception) porte non pas sur cette question de « dette originelle » mais de « règle symbolique ». Car toute la pertinence de cette hypothèse de Baudrillard est basée sur ce fondement anthropologique qui est tout sauf le « calcul rationnel donnant-donnant » évoqué par Isidore.

    Il va falloir qu’on cause un jour en détail de l’Essai sur le don de Marcel Mauss car ce qui a été déniché-là me semble non seulement hyper « préhisto » mais, au-delà, d’une importance capitale pour la compréhension de l’humain. En tout cas, pour ma part, je ne cesse depuis de constater un peu partout le fonctionnement (sourd) de cette « règle symbolique » du potlach. J’apprends même à l’utiliser, m’appuyer dessus (aussi bien dans mon boulot que dans l’association de quartier à laquelle je participe). Autant dire que ce « fondement » ne fait plus trop de doute pour moi (mais je veux bien admettre que je me leurre ou du moins que d’autres ne partagent pas cette position).

    Baudrillard, à ce que je crois en percevoir, part lui aussi de cette « règle symbolique » découverte et décrite par Mauss. Toute son travail, ensuite, n’a été qu’une recherche des conséquences (théoriques) qu’on peut en tirer.

    Ce qu’il fait là (dans les deux extraits cités), dans ses tout derniers ouvrages, est une tentative d’application de cette règle (dont on est loin d’avoir percé tous les mystères) au niveau carrément « métaphysique ». C’est osé, déroutant, hallucinant. Séduisant, même, si vous voulez. Mais c’est ouvertement une simple « hypothèse ». Pour pouvoir en juger définitivement, il faut, me semble-t-il, prendre le temps de pénétrer davantage dans les obscurités de nos fonctionnements instinctifs (où agit cette fameuse et encore mystérieuse « régle symbolique »). Cela ma paraît un long processus.

    Pour ma part, donc, je préfère garder l’hypothèse ouverte (basée sur un fondement anthropologique authentique, elle est certes déroutante mais loin d’être absurde)… et continuer de creuser le sujet.

    mars 29, 2009 à 13 h 44 min

  66. Isidore

    Avec ce nouvel éclairage, la question prend effectivement un autre aspect, et j’ai bien envie d’y réfléchir…

    mars 29, 2009 à 15 h 35 min

  67. Amélie

    il me semble, mais je l’ai déjà dit, que le seul malentendu, en tous cas en ce qui me concerne, repose sur le postulat de base. La suite, me convient tout à fait; d’ailleurs elle est difficilement discutable…

    mars 29, 2009 à 19 h 06 min

  68. Le postulat de base de la « règle symbolique » ou de la « dette originelle » ?

    mars 29, 2009 à 23 h 08 min

  69. Isidore

    Il est vrai qu’une approche trop équilibrée, trop objective des échanges (du style donnant-donnant) ne rend pas compte de leur réalité telle que je peux les vivre. De la même manière, avec la vie elle-même, il y a un côté « jeu », « défi » qui en constitue un fondement et sans lequel elle perd toute sa saveur et son mystère. Trop d’équilibre abolit finalement le mouvement. Tout ceci irait bien dans le sens de ce que tu exprimes là, effectivement.

    Mais j’aurais tendance à vivre ce processus de « surenchère » non pas dans le sens d’une dette infinie impossible à acquitter (d’où la culpabilité primordiale, sujet initial de cet article), mais plutôt sur un mode joyeux et ludique de défi à l’existence qui me donne à la fois la mesure de ma liberté d’action et le sens d’une dignité en rapport avec la posture responsable d’affirmer ainsi être acteur de mon propre destin.

    Et j’ai l’impression que c’est la posture elle-même du défi à la vie qui rend possible la prétention ainsi affichée d’être créateur de mon propre destin. Que je parvienne ou pas à réaliser ce que je projette a moins d’importance que de le faire quand même, comme un défi vraisemblablement impossible et illusoire, mais capable néanmoins de tisser avec la vie une relation particulière qui me la rend désirable et mystérieuse. C’est comme si créer, ou même vivre tout simplement, était un pari impossible, un défi absurde objectivement parlant, qui trouve justement sa force d’être et de se réaliser dans cette fanfaronnade magistrale.

    Et j’ai aussi l’impression que pour le vivre joyeusement et sans trop d’angoisse il vaut mieux être débarrassé du sentiment de dette infinie à l’égard de la vie (et de la culpabilité qui va avec).

    Tout cela est sans doute bien présomptueux et mal exprimé mais ce n’est qu’un défi supplémentaire à votre inénarrable patience. 😉

    mars 30, 2009 à 8 h 40 min

  70. Amélie à Vincent

    Celui de la dette originelle. Mais je le dis depuis le début.

    mars 30, 2009 à 10 h 30 min

  71. Amélie

    Je me rapproche de ton point de vue, Isidore, notamment dans l’idée de mouvement et d’actes gratuits. Je crois que c’est le cynisme qui empêche de voir le don autrement que dans l’échange. Il y a sans doute des gens qui vivent dans le principe de l’échange pur (qu’il y ait surenchère dans le « don retour » ou non – il me semble que c’est bien ça, le jeu du potlasch, non ?), et puis d’autres dont le don est un mouvement suffisant à lui-même, indépendamment d’un quelconque retour.

    mars 30, 2009 à 10 h 35 min

  72. Amélie

    Peut-être qu’Isidore et moi sommes plutôt de la deuxième catégorie, et que c’est pour ça que la sourde culpabilité d’une sombre dette originelle nous est étrangère ?

    mars 30, 2009 à 10 h 37 min

  73. Amélie

    Tout ça est bien sûr à modérer : si je ne crois pas à l’échange parfait, le don gratuit a ses limites aussi : trop de don sans jamais de retour peut conduire à un ras le bol et un sentiment d’amertume… qui pourrait être rééquilibré par plus d’échange !! 🙂

    mars 30, 2009 à 10 h 59 min

  74. Le « jeu du potlach » (à ce que j’en comprends) est un défi symbolique — à base d’agressivité animale, oserais-je avancer — où mourir est moins grave que « perdre la face ».

    Toute la culture, la civilisation — et notamment le système d’échange rationnel — sont des tentatives pour écarter la puissance de ce moteur archaïque.

    Mais tout cela est assez peu efficace : chassez le naturel par la porte, il revient en effet, comme tout refoulé, par les fenêtres !

    Dans cette logique (que je partage), le « don gratuit » n’existe pas.
    Tu y verras sans doute du « cynisme », Amélie. Je péfère nommer ça « réalisme ».

    mars 30, 2009 à 12 h 26 min

  75. Amélie

    forcément…

    mars 30, 2009 à 13 h 26 min

  76. Amélie

    Dommage Yatsé que tu ne développes le sujet que sur msn… comme d’habitude tu fais la troisième voie… 🙂

    mars 30, 2009 à 13 h 39 min

  77. Je n’ai pas trop d’illusion quant à la notion de « don gratuit ». Si je l’entends en terme de don qui n’attend pas de réciprocité directe, je peux l’admettre à la nuance près qu’il me semble tout à fait clair que cette gratuité n’est pas si désintéressée que ça.

    Soit elle se satisfait de la position vertueuse affichée souvent ostensiblement, soit elle reconnait simplement tous les dons reçus qui n’ont pas fait non plus l’objet d’un quelconque retour. Le sensation d’échanges équilibrés est capable de se maintenir en dehors d’une arithmétique rigoureuse entre partenaires du don réciproque.

    J’ai l’impression que le seul don gratuit dont on est véritablement capable est celui qu’on ignore complètement avoir pu réaliser. Dès qu’une lueur de conscience tente de s’en emparer pour le révéler à lui-même, il perd aussitôt l’innocence de cette gratuité et devient carrément suspect s’il s’obstine à vouloir s’identifier de la sorte.

    mars 30, 2009 à 14 h 26 min

  78. Amélie

    Tu as raison. Mais je persiste à y croire, au moins dans la relation parent-enfant…

    mars 30, 2009 à 14 h 27 min

  79. Amélie

    Quant à ce que j’identifie comme don gratuit dans la vie ordinaire, c’est celui qui naît spontanément, sans calcul préalable de retour sur investissement.

    mars 30, 2009 à 14 h 29 min

  80. Amélie

    Ou même un truc très courant : j’ai une copine qui n’a pas le moral, je lui offre u petit bouquet de fleurs. C’est bien un don gratuit, non ? Qu’est-ce que j’y gagne ? son sourire ? la satisfaction d’avoir momentanément soulagé son chagrin ? tu crois vraiment que ça constitue un échange, ça ?
    (j’ai choisi un exemple très courant entre copines)

    mars 30, 2009 à 14 h 45 min

  81. C’est un don gratuit qui se satisfait néanmoins du plaisir personnel d’avoir fait un petit geste pour remonter le moral de la copine. Ca n’enlève d’ailleurs rien à la valeur, l’efficacité et à la beauté du geste, mais j’aurais tendance à dire que l’échange se fait quand même à travers l’intensité avec laquelle sont accueillies ces petites fleurs.

    Quant à la relation parent-enfant, je ne doute pas de l’intensité du don gratuit possible. Mais je pense aussi qu’il est à la mesure (pas toujours certes) de celui qui a été aussi vécu lorsque le parent était enfant.

    Mais je me méfie aussi du chantage qu’on peut faire aux enfants avec cette idée de sacrifice des parents. L’excès de don peut enfermer l’autre dans une dette infinie qu’il ne pourra jamais acquitter et qui assure une domination éternelle de celui qui l’exerce. Dans ce cas là, le vrai donneur c’est celui qui supporte l’excès de don… jusqu’au moment où il a le courage d’envoyer valser son « bienfaiteur ».

    Je reste convaincu que ce qu’on donne réellement c’est ce qu’on ignore donner. Là on peut peut-être parler de don gratuit. j’ai même l’impression que ce qu’on a de meilleur à donner on n’a surtout pas envie de le donner et qu’il faut nous l’arracher manu-militari.

    mars 30, 2009 à 15 h 14 min

  82. Amélie

    Le don gratuit est donc bien une réalité… 🙂

    mars 30, 2009 à 15 h 17 min

  83. Amélie

    tu vas un peu vite sur le sacrifice parental… On peut donner sans retenue et sans calcul à ses enfants sans qu’il s’agisse d’un sacrifice…D’ailleurs je considère qu’on leur DOIT tout.

    mars 30, 2009 à 15 h 22 min

  84. Ah bon! Tout, vraiment ? Je ne suis pas certain que ça ne soit pas la meilleure manière de les mettre dans une dette infinie qu’il ne pourront jamais acquitter et qui les mettra en état de dépendance toute leur vie. Il vaut mieux aussi qu’ils connaissent aussi ce en quoi on a besoin d’eux et ce qu’ils nous donnent… en refusant aussi de leur donner ce qui n’appartient pas aux parents de leur donner… Mais je peux me tromper et mal interpréter ce « don infini » dont tu parles en tant que mère aimante.

    mars 30, 2009 à 15 h 41 min

  85. Amélie

    Je ne crois pas, je trouve que c’est simple et que ça va de soi. On m’avait fait la remarque pur ma fille quand elle était bébé. On disait que je lui donnais trop. Apparemment on s’est trompé. Je pensee que s’agissant d’enfants, le manque est bien plus dangereux que la satiété.
    Mais on dévie…

    mars 30, 2009 à 16 h 04 min

  86. Amélie

    Je pense que plutôt qu’être dans une dette infini, ils seront capables de donner à leur tour, sans retenue ni calcul… c’est déjà ce qu’ils font, à leur échelle de petits enfants…

    mars 30, 2009 à 16 h 09 min

  87. Tu remarqueras tout de même, Amélie, qu’on donne plus facilement tout à « ses » enfants (donc à soi-même, par procuration) beaucoup plus qu’à ceux des autres (là seul où pourrait se définir un « don gratuit »), non ?

    mars 30, 2009 à 16 h 23 min

  88. Amélie

    Si c’était le cas, il n’y aurait pas autant d’enfants maltraités, abandonnés etc… Effectivement je trouve ça facile. Qui a dit que la gratuité ne valait que si elle était difficile ?

    mars 30, 2009 à 16 h 31 min

  89. Amélie

    Si ce que tu donnes à tes enfants est dupliqué par le nombre d’enfants qui donnent à leur tour à leurs enfants… ça fait du don exponentiel ! 🙂

    mars 30, 2009 à 16 h 33 min

  90. D’accord avec Isi : un « don » s’il existe ne peut être qualifié de « don », même en le qualifiant de « gratuit ».

    Autre chose : le jeu du don/contredon de la règle symbolique ne peut être assimilée totalement à un « échange » (même si on parle parfois abusivement d’ « échange symbolique » à propos du potlach). Elle ressort plutôt d’une sorte de duel ou de défi (pas forcément conscient), ce qui n’est pas du tout le même registre.

    Enfin (en rebond sur le commentaire 85 d’Amélie) : selon la règle symbolique, effectivement, plus tu « donnes » à ta fille, plus elle sera contrainte de « donner » en retour. Cette règle symbolique, que tu juges « cynique » au premier abord, est en fait beaucoup plus vertueuse qu’il n’y paraît (et ce n’est sans doute pas un hasard si des millions d’années d’évolution l’ont conservée)

    mars 30, 2009 à 16 h 33 min

  91. Amélie

    le simple fait d’associer « don » et « contrainte »… me semble surréaliste…

    mars 30, 2009 à 16 h 38 min

  92. Vincent

    Ne me fais pas croire que tu es insensible à cette logique du « défi » (ou la réponse — instinctive — est au-delà, ou en-deça, de tout jugement moral), Amélie. Pas toi !

    mars 30, 2009 à 16 h 53 min

  93. Amélie

    Je suis profondément attristée par cette discussion et ce qu’elle fait entrevoir.

    mars 30, 2009 à 16 h 55 min

  94. Au contraire, je pense vraiment que certains dons peuvent être vécus comme une véritable contrainte, même s’ils sont choisis en pleine connaissance de cause et qu’ils sont faits «  »par amour ». S’occuper par exemple de ses vieux parents impotents avec qui se perpétuent les difficultés relationnelles d’une vie entière, et préférer ce choix là à toute forme d’abandon. On peut appeler ça du devoir mais on peut aussi appeler ça du don… difficile, douloureux et contraignant.

    mars 30, 2009 à 17 h 01 min

  95. Vincent

    Ah bon ? Carrément « attristant » ?

    Le mouvement de « dés-idéalisation » est certes parfois un peu déstabilisant mais le nouveau sol sur lequel danser ensuite devient vite, du moins me semble-t-il, assez jubilatoire. Non ?

    (Comte-Sponville a assez bien montré, dans ses premiers ouvrages, comment la béatitude était « derrière » le désespoir)

    mars 30, 2009 à 17 h 01 min

  96. Pourquoi es tu attristée, Amélie ? ça me rend triste.

    mars 30, 2009 à 17 h 04 min

  97. Amélie

    Oui Isidore, tu as raison.

    mars 30, 2009 à 17 h 06 min

  98. Vincent

    Pour ce qui est de la « dette originelle » :

    Même à l’égard de vos parents, Amélie et Isidore, qui vous ont mis au monde, puis, sinon éduqués, du moins permis de vivre jusqu’aujourd’hui, vous n’en ressentez donc pas ?

    Ni pour toutes les générations qui nous ont précédés et légués, plus ou moins consciemment, un si précieux héritage ?

    Suis-je vraiment le seul « zombi » à ne pas me prendre pour un self made man ne devant rien de ce que je suis à personne ?

    mars 31, 2009 à 17 h 51 min

  99. Isidore

    Tu as tout à fait raison de faire apparaître cet aspect là de la « dette originelle ». Mais c’est vrai que cette dette là, que je vis pleinement autant à l’égard de ma famille au sens large, que de tous ceux qui m’ont permis de me construire, y compris notre bonne vieille république française, c’est une dette libératrice, qui me donne le sentiment vivifiant d’appartenir à une histoire humaine et qui me stimule énormément. Elle ne me pèse jamais comme pourrait le faire une dette abstraite et infinie à l’égard de la « Vie » ou de « Dieu », comme j’avais perçu à priori le sujet de cette dette originelle évoquée dans l’article. Il est tout aussi intéressant d’aborder le sujet sous cet aspect là effectivement.

    De toute façon il est certain que vu sous cet angle, cette dette qui me paraît incontestable, ne suscite jamais de sentiment de culpabilité. Elle est aussi sans doute le moteur de ce qu’exprime Amélie lorsqu’elle dit qu’on doit tout à ses propres enfants (ayant tout reçu de nos propres parents). mais ce don là, je ne l’ai jamais trouvé pesant car c’est un don qui enrichit de toute façon celui qui donne car c’est vraiment le mouvement de la vie qui s’anime elle-même en animant tous ceux qui s’y abandonnent en donnant ou en recevant ses bienfaits.

    mars 31, 2009 à 21 h 27 min

  100. Isidore

    Ce dernier développement me fait prendre conscience d’un aspect de la question qui ne m’était pas encore venu à l’esprit lors de la conversation. Il s’agit de la divergence profonde existant entre notre conception de l’économie des échanges tels qu’on les pratique dans nos sociétés où un sou est un sou dans un mode d’échange arithmétiquement donnant-donnant, et celle qu’on peut observer dans le fonctionnement de la nature où tout procède par excès et surenchère dans un mouvement d’échange d’énergie vitale qui semble inépuisable.

    Ce n’est surtout pas le principe du rendement tel que nous le concevons, qui préside à ces échanges. Il suffit de songer à la quantité de graines reproductrices fabriquées pour la conception d’un seul individu par exemple pour illustrer ce propos.

    Il m’apparaît alors qu’il existe un mouvement de la vie où les échanges procèdent par surenchère d’abondance, où celui qui donne s’enrichit autant que celui qui reçoit, où savoir accueillir le don de l’autre est aussi important que de savoir donner. Et tout ceci pour favoriser et stimuler un processus d’échange qui ne fait que croître hyperboliquement dans une abondance inépuisable. C’est comme si finalement plus on donne et on reçoit, plus on a à donner et à recevoir. Et ça, c’est la vie dans son déploiement exponentiel normal.

    A l’inverse, dans un processus qui veut se déployer en dehors de cette conception des choses, notre vision économique des échanges a tendance à considérer que les richesses sont épuisables et que nous ne disposons que d’une quantité limitée de matière et d’énergie à échanger. Dans ce cas là, le riche est celui qui s’accapare le plus de matière et d’énergie possible et qui distribue au compte goutte son butin, en se limitant au rôle apparent de donneur et de puissant qui semble plus valorisant.

    En agissant ainsi on entre en réalité dans un phénomène de paupérisation générale dans la mesure où c’est la dynamique même du processus vivant des échanges qui est entravé. En bloquant par principe de captation et d’accumulation les richesses matérielles qui ne sont que la forme matérielle d’un mouvement en marche, on empêche le processus vivant de se déployer librement et on s’enferme peu à peu dans une économie comptable de restriction et de pauvreté, tout à fait contraire au mouvement naturel du vivant.

    Et j’ai l’impression que pour retrouver cette faculté de participer à l’abondance des échanges lorsqu’ils sont animés par le souffle inépuisable du vivant, renoncer à la position valorisante du donneur pour s’initier à celle du receveur est nécessaire. Il est un art de savoir accueillir ce qui est offert mais trop souvent j’ai l’impression qu’on préfère donner et que faute de savoir recevoir on finit par appauvrir les échanges. Dans un processus vivant des échanges, donner et recevoir appartiennent tous deux à un processus d’enrichissement mutuel, sans véritable distinction.

    Et ce n’est que lorsqu’on rentre dans une conception comptable des échanges qu’on parvient à sortir de cette abondance partagée et qu’on entre dans un processus de paupérisation collective, à tous les niveaux.

    Depuis que j’ai renoncé à « gagner ma croûte » (et ça commence à faire un bail), estimant qu’il y avait mieux à faire durant cette vie que de me focaliser sur cette croyance absurde et de participer à ce processus d’appauvrissement collectif matériel et spirituel, je n’ai jamais manqué de rien et les situations s’arrangent d’une façon souvent très surprenantes et même parfois miraculeuses tant que je parviens à rester centré sur ce qui m’a toujours apparu essentiel: les échanges humains.

    avril 1, 2009 à 8 h 17 min

  101. L’idée de « dette originelle », telle que je la conçois, est assez proche de celle d’accueil préalable nécessaire que tu développes ici.

    Quant au concept d’excès au fondement des échanges du vivant, si j epeux me permettre, je ne saurais trop te renvoyer à celui de « part maudite » de Bataille qui creuse, affine et développe, me semble-t-il, cette intuition.

    Sinon, pour la vision économique de l’échange tentant de s’opposer (et n’y parvenant guère) au « potlach » originel, évidemment : Baudrillard.

    avril 1, 2009 à 10 h 24 min

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