"Aux explorateurs de l’inconnu qui aiment apprendre en faisant un pas en arrière sur le chemin des ancêtres." Pascale Arguedas

Chronique de Craô (3) : Subversifs vide-greniers

Les Vide-Greniers pullulent en cette saison et leur succès — spectaculaire — semble non seulement se confirmer d’année en année mais même s’accroître sans cesse davantage.

Pour interpréter ce phénomène, on insiste généralement sur la baisse du pouvoir d’achat des ménages français. Cela doit jouer, sans nul doute, aussi bien du côté des vendeurs (qui saisissent là une occasion facile de renflouer leurs caisses) que des acheteurs (qui viennent chercher des prix défiant toute concurrence.)

A un autre niveau, cependant, plus rarement évoqué, se situent peut-être aussi d’autres enjeux qui rejoignent quelque part des débats déjà engagés au PP :

– Une suprême ironie, tout d’abord. Tous ces objets hétéroclytes — plus ou moins invendables — qui s’exposent chaque année plus nombreux sur les stands, ne sont-ils pas la marque d’une société sursaturée de consommation qui arrive au stade où elle finit par se vomir elle-même ? Les vendeurs ne cherchent-ils pas davantage à se désencombrer qu’à s’enrichir ?

– une véritable subversion, enfin. Ces nouvelles cérémonies — toujours joyeuses, voire carrément festives — ne sont-elles pas avant tout de ces bulles qui naissent un peu partout et permettent d’échapper au règne déshumanisant de la valeur (rationnelle) marchande ? Pas de prix objectif, en effet, rien que du subjectif. Pas de marchandise, rien que du marchandage !

7 Réponses

  1. barbarella

    si c’est une subversion, elle est bien douce. Les vide-greniers n’ont pas encore atteint leur véritable objectif, je crois, qui serait d’arriver au troc pur. Là, on serait complètement PP !!!
    Mais on y ets presque. C’ets encore une pratique un peu marginale, mais qui se généralise peu à peu.
    Autre chose, les vide-greniers, avec leurs caractères festifs, ressemblent aux rassemblements annuels des clans. Tout le monde converge avec ses richesses, sur une place. IL y a de l’échange, on y danse, on y boit, et on rit beaucoup (en tous cas, au vide grenier de Battant, j’avoue ne pas en fréquenter beaucoup d’autres).

    juin 10, 2008 à 16 h 12 min

  2. Vincent

    Attention, barbarella, à ne pas cautionner l’idée que les premiers échanges se faisaient sous forme de troc (plus ou moins « pur »).

    Je vais essayer de retrouver mes sources mais il me semble bien qu’il est désormais avéré que le « troc » n’a en réalité jamais existé. Ce n’est qu’une projection (triviale) de notre idéologie moderne actuelle dans un passé fantasmé. C’est — plus ou moins consciemment — laisser croire que l’idée même d’échange (avec la notion d’équivalence qui va avec) est une donnée universelle et invariante de l’humanité.

    A creuser donc…

    En tout cas (ce sera du coup sans doute l’occasion d’en causer), le système de circulation d’objets non pas sous forme de « troc » mais de « potlach » — décrit par Marcel Mauss dans les peuplades améridiennes — me paraît beaucoup plus pertinent, stimulant… et du coup PPesque.

    juin 10, 2008 à 16 h 50 min

  3. Barbarella

    Ah… je sens que 120 va redébouler avec Baudrillard… 😉

    juin 10, 2008 à 17 h 05 min

  4. Potlach ?
    on veut plus en savoir, Vincent !!

    juin 10, 2008 à 17 h 07 min

  5. Vincent

    En deux mots (de mémoire), une sorte de rituel — ou plutôt de défi — qui oblige celui qui reçoit des présents d’en donner en retour davantage pour ne pas perdre la face.

    C’est apparemment selon ce genre de modalités que circulaient les « objets » (tout comme les « esclaves ») dans les systèmes archaïques. Un système de « don/contre-don » en quelque sorte — toujours actif en nous en plein d’occasion, même si on ne sait plus le voir — dont le terme (indépassable) est évidemment celui de la vie (d’où les ombreux sacrifices humains)

    juin 10, 2008 à 17 h 20 min

  6. 120

    Ecrit par Marcel Mauss :

    Il ne semble pas qu’il ait jamais existé, ni jusqu’à une époque assez rapprochée de nous, ni dans les sociétés qu’on confond fort mal sous le nom de primitives ou inférieures, rien qui ressemblât à ce qu’on appelle l’Economie naturelle. (…)

    Dans les économies et dans les droits qui pont précédé les nôtres, on en constate pour ainsi dire jamais de simples échanges de biens, de richesses et de produits au cours d’un marché passé entre les individus. D’abord, ce ne sont pas des individus, ce sont des collectivités qui s’obligent mutuellement, échangent et contractent ; les personnes présentes au contrat sont des personnes morales : clans, tribus, familles, qui s’affrontent et s’opposent soit en groupes se faisant face sur le terrain même, soit par l’intermédiaire de leurs chefs, soit de ces deux façons à la fois. De plus, ce qu’ils échangent, ce n’est pas exclusivement des biens et des richesses, des meubles et des immeubles, des choses utiles économiquement. Ce sont avant tout des politesses, des festins, des rites, des services militaires, des femmes, des enfants, des danses, des fêtes, des foires dont le marché n’est qu’un des moments et où la circulation des richesses n’est qu’un des termes d’un contrat beaucoup plus général et beaucoup plus permanent. Enfin, ces prestations et contre-prestations s’engagent sous une forme plutôt volontaire, par des présents, des cadeaux, bien qu’elles soient au fond rigoureusement obligatoires, à peine de guerre privée ou publique. Nous avons proposé d’appeler tout ceci le système des prestations totales.

    (Essai sur le don, 1924-1925)

    juin 10, 2008 à 22 h 01 min

  7. 120

    Ecrit par Alain Caillé :

    Le point essentiel, c’est probablement le fait que la fable du troc n’est justement qu’une fable. L’apport central de Marcel Mauss à l’anthropologie est d’avoir montré que, dans toutes les sociétés sauvages et archaïques — c’est nous qui généralisons, au-delà de la prudence de Mauss –, les échanges économiques s’opèrent sous la forme de dons et contre-dons. Il est d’ailleurs sans doute doublement abusif de parler, à ce propos, d’échange et d’économique. La plus grande partie des biens échangés, note Mauss en effet, ne revêt pas une dimension économique prépondérante. Les biens qui circulent sont généralement dénués de toute utilité économique, et lorsqu’ils jouxtent à l’utile, dans le potlatch ou la kula par exemple, c’est à titre de biens luxueux et rares. Par ailleurs, le mot même d’échange est peut-être inapproprié. Ce qui est donné l’est souvent à l’occasion d’obligations rituelles et a fortement tendance à faire retour, plussieurs générations plus tard parfois. C’est que les biens utilisés dans la circulation générale ne sont pas des biens économiques mais des biens personnels. Ils appartiennent à des clans, à des lignages, et en conservent la trace originelle à tout jamais. Ce qui ne signifie pas qu’il soit impossible de gagner dans l’échange. Tout le monde au contraire s’y évertue. Mais le gain prend des allures, paradoxales à nos yeux, de qui perd gagne, puisqu’il est d’abord gain en prestige qui va à qui donne plus que ses partenaires. La règle du jeu implique de savoir attendre, de supporter l’état dangereux d’endetté pour rendre plus et plus tard.

    (Critique de la raison utilitaire, Manifeste du M.A.U.S.S., La Découverte, 2003)

    juin 10, 2008 à 22 h 24 min

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