"Aux explorateurs de l’inconnu qui aiment apprendre en faisant un pas en arrière sur le chemin des ancêtres." Pascale Arguedas

Frère Cerf

Son brame, sorti du fond des âges, retentit en cette période en nos bois. Occasion de rendre une nouvelle fois hommage à celui qui sans nul doute fascina nos ancêtres.

Beaucoup de choses ont déjà été dites ici… mais il reste tant encore à dire sur le sujet !

47 Réponses

  1. « Tant encore à dire »… ou à taire 😉

    septembre 29, 2010 à 13 h 32 min

  2. Une pierre deux coups, ce soir : parti pour écouter/voir les cerfs, je reviens avec le souvenir de ces trois biches passées tout près de moi et… un sac rempli de trompettes de la mort. Yeah !

    septembre 29, 2010 à 22 h 09 min

  3. Quand on pense que nos ancêtres avaient affaire au Mégacéros :

    Plus d’info ici :
    http://www.pratique.fr/disparition-cerf-geant.html

    octobre 1, 2010 à 20 h 48 min

  4. Isidore, tu ne peux pas nous trouver une origine mythique « à ta façon » de ce drôle de truc (un arbre ? un feu figé ? une antenne parabolique ? une main ouverte ?…) qu’ont les cerfs sur la tête ?

    octobre 2, 2010 à 8 h 20 min

  5. Quelques éléments supplémentaires glanés sur le Net :

    « […] Un signe net de l’importance du cerf dans la symbolique celtique est la fréquence relative de son apparition dans l’iconographie ou la légende. Une divinité gauloise porte le nom de Cernunnos, « celui qui a le sommet du crâne comme un cerf ». Elle est représentée sur le chaudron d’argent de Gundestrup, assise dans la posture bouddhique, tenant d’une main un torque et de l’autre un serpent, entourée d’animaux les plus divers, et notamment d’un cerf et d’un serpent. Peut-être faut-il voir dans ces bois de cerf surmontant la tête du dieu un rayonnement de lumière céleste. Un autre monument remarquable est celui de Reims où Cernunnos est représenté en dieu de l’abondance. On en connaît plusieurs autres. Cependant, il semble bien que le dieu doive être compris comme le maître des animaux. En Irlande, le fils du grand héros du cycle ossianique, Find, s’appelle Oisin (« faon »), tandis que Saint Patrick se métamorphose et métamorphose ses compagnons en cerfs (ou en « daims ») pour échapper aux embûches du roi païen Loegaire : il agit ainsi en vertu de l’incantation ou procédé magique appelé feth fiada, lequel procurait normalement l’invisibilité.

    Le symbolisme du cerf dans le monde celtique est donc très vaste et il a trait certainement aux états primordiaux. Faute d’une étude d’ensemble, on doit provisoirement se borner à relever le symbolisme de longévité et d’abondance. Les gaulois employaient de nombreux talismans, en bois de cerf, et on a noté, en Suisse, dans des tombes alémanes des ensevelissements de cerfs à côté de chevaux et d’hommes. On a rapproché le fait des masques de cerf dont étaient munis des chevaux sacrifiés dans des kourganes de l’Altaï aux Ve et VIe siècles avant notre ère. En Bretagne armoricaine, Saint Edern est représenté chevauchant un cerf. Comme le renne, le chevreuil, le cerf semble avoir joué un rôle de psychopompe (qui conduit les âmes des morts) dans certaines traditions européennes, notamment chez les Celtes : le Morholt d’Irlande, oncle d’Yseult, occis par Tristan en un combat singulier, est dépeint gisant mort cousu dans une peau de cerf.

    La chasse à la biche, dans la tradition mystique des Celtes, symbolise la poursuite de la sagesse qui ne se trouve que sous un pommier, l’arbre de la connaissance. Les légendes celtiques racontent que Sapv, la mère d’Ossian (poète guerrier du IIIe siècle après J.C.) fut transformée en biche par un druide. On raconte aussi que Dahud, la reine d’Ys, traquée en vain par le roi Marc’h, aime courir les bois sous la forme d’une biche blanche. […] »

    (http://www.jrrvf.com/hisweloke/site3/articles.php?lng=fr&pg=65)

    octobre 2, 2010 à 11 h 08 min

  6. LA RAMURE DU CERF (conte)

    Il était une fois un lieutenant de cavalerie très célèbre non pour ses faits d’armes mais pour son goût immodéré pour l’alcool et en particulier pour l’alcool de châtaignes, très prisé par sa
    corporation, comme chacun sait. Il était alors capable des pires extravagances, surtout lorsqu’une belle demoiselle se laissait séduire par ses cabotinages invétérés.

    Or, un jour, tandis qu’il s’adonnait à sa funeste passion, une demoiselle particulièrement belle et appétissante traversa fortuitement et sans rien demander à personne le champ brouillé de son regard aviné et déclencha chez le malheureux une crise mystique comme personne n’avait jamais eu l’occasion de pouvoir l’observer.

    Il se roula par terre, mangea de la terre et les vers qui allaient avec, il s’arracha les vêtements jusqu’à se retrouver quasi-nu devant les spectateurs fascinés et terrorisés, il brisa quelques chaises et une table de vrai chêne, et enfin tomba inanimé à la renverse en se cognant violemment la tête contre l’angle d’un poteau de soutien.

    Lorsqu’il se réveilla il n’était plus le même homme et d’étranges phénomènes commencèrent à se produire dans la région. Un jour, par exemple, on découvrit un amoncellement de cadavres de cervidés à l’orée de la forêt où l’on avait coutume de cueillir les châtaignes. Un autre jour l’eau de la fontaine devenait rouge comme du sang durant quelques heures, ou alors sans prévenir, toutes les demoiselles de la région se rassemblaient et se mettaient à chanter ensemble d’anciennes mélopées mélancoliques toute une journée durant.

    Et à chaque fois le lieutenant apparaissait, vêtu d’une peau de cerf, en déclamant de puissantes paroles en une langue tout à fait inconnue…
    (à suivre)

    octobre 6, 2010 à 18 h 18 min

  7. Vincent

    Yeaaaaaah !

    octobre 6, 2010 à 19 h 04 min

  8. Après Jacques (qui voit les esprits invisibles) chaman, je pense que personne ne s’opposera à ce qu’Isidore devienne notre barde-conteur.

    octobre 6, 2010 à 21 h 49 min

  9. Jacques chaman, Jacques chaman… J’me demande s’il ne serait pas mieux en guerrier : défendant vaillamment l’intégrité de la tribu contre les invasions barbares 😉

    octobre 6, 2010 à 21 h 51 min

  10. Chut, vous deux… Isidore n’a pas fini son histoire !

    octobre 6, 2010 à 21 h 53 min

  11. Isidore

    LA RAMURE DU CERF

    À cette époque les cerfs ne disposaient pas de cette majestueuse ramure qui les rend si triomphants de nos jours. Ils n’exhibaient que deux misérables proéminences fourchues, plus maigrelettes encore que celles des chevreuils. Mais néanmoins ceci ne les empêchaient nullement de se battre férocement à l’époque du rut, sans toutefois que l’on puisse jamais assister au pitoyable spectacle de la lente agonie de deux cerfs emprisonnés dans leurs bois entremêlés tel qu’il se produit malheureusement parfois de nos jours.

    La ravissante demoiselle n’était pas réapparue et l’on comprit peu à peu que le « vieux fou »- c’est ainsi qu’on dénommait désormais notre lieutenant aviné – la cherchait jour et nuit depuis lors. Cette passion frénétique ne l’aidait certes pas à retrouver ses esprits et ses imprécations devenaient même chaque jour de plus en plus inquiétantes lorsqu’il les déclamait avec sa voix forte, tel un vieil insensé hystérique enveloppé de sa peau de cerf…

    Les phénomènes bizarres continuaient de se produire ici et là, sans prévenir et n’importe quand. Le feu prenait subitement dans une ferme et la ravageait avant même qu’on puisse intervenir, ou mille autres faits qui rendaient l’atmosphère terriblement pesante. De plus en plus souvent on entendait au loin le chœur des jeunes filles entonnant ses tristes mélopées tandis que le vieux fou battait inlassablement la campagne à la recherche de sa bien aimée…

    octobre 7, 2010 à 22 h 29 min

  12. 120

    Ecrit par Marylène Patou-Mathis :

    (en attendant la suite du conte)

    « […] Le cerf, gibier de prédilection depuis que l’Homme chasse, apparaît dans la cosmogonie ou les mythologies de nombreux peuples où il a le plus souvent une valeur positive. Il est présent dans l’art dès le Paléolithique ; les Gaulois l’ont figuré sur des monnaies, des céramiques et parfois des bronzes. Sa ramure, « arbre miniature » qui se renouvelle chaque année, symbolisait la vie (renaissance et croissance).

    Dans un mythe nordique, quatre cerfs broutent à la cime de l’arbre du monde Yggdrasil dont les bourgeons incarnent les heures, les fleurs les jours et les rameaux les saisons. Chez les Celtes, leurs bois symbolisaient la régénération et la lumière céleste, signe de longévité et d’abondance. Ailleurs, sa ramure était identifiée aux rayons du soleil ; le cerf était le symbole de l’Est, de l’aube, du début de la vie à la création du monde.

    L’image du mari « cornu » (en réalité coiffé de bois) remonte à Byzance. L’empereur Andronic faisait poser des « cornes » (symbole de puissance) sur les maisons des femmes qui l’avaient honoré de leurs faveurs, donnant ainsi à leur mari le privilège suprême, le droit de chasse. Tradition qui se retrouve au XVe siècle, les hommes cocufiés par le duc milanais Galeas Sforza étaient promis à de grands honneurs. Aujourd’hui encore, les cocus portent virtuellement des « cornes ».

    Durant l’Antiquité et le Moyen-Age, le cerf était craint et admiré pour sa vélocité et sa force. En outre, selon la croyance populaire, sa viande et l’onguent que l’on tirait de sa moelle faisaient tomber la fièvre, quant à son os du coeur il était censé soulager les chagrins d’amour (peines de coeur).

    Il y eut quelques tentatives de domestication des cerfs, comme l’atteste la représentation de l’Age du Fer qui figure une tête étroitement harnachée, mais elles demeurèrent vaines.

    Les biches sont nettement moins présentes dans l’imaginaire occidental ; les croiser était un bon présage, surtout lorsqu’elles étaient blanches.

    En Asie, le cerf était aussi un animal porteur de valeurs symboliques fortes. Dans la Chine impériale, son nom ayant une analogie phonétique avec le mot richesse, il était symbole d’aisance, mais aussi de piété filiale et de la puissance de l’enseignement dans le bouddhisme. Le cerf d’or est une manifestation du Bouddha revenu parmi les hommes pour les délivrer de la force et de l’aliénation de leurs sentiments contradictoires et pour leur faire ainsi connaître la paix de l’âme propice à la méditation, à la sagesse et à la connaissance (Jâtaka bouddhiques). Chez les Indiens Nara, les cerfs, avec les daims, symbolisaient la pureté primordiale car ils posent leurs sabots postéreurs dans les empreintes des sabots antérieurs, montrant ainsi la voie à suivre, celle de Ancêtres. Cependant, dans d’autres régions, le cerf était porteur de valeurs négatives. Au Cambodge, par exemple, le cerf d’or était ici assimilé aux rayons meurtriers du soleil, symbole de sécheresse, il fallait donc le tuer pour bénéficier des bienfaits de la pluie. […] »

    (Mangeurs de viande, De la préhistoire à nos jours, Perrin, 2009)

    octobre 9, 2010 à 12 h 06 min

  13. J’aime beaucoup le mélange d’observation fine et de leçon déduite des Indiens Nara (cf. ci-dessus)

    octobre 9, 2010 à 12 h 10 min

  14. Isidore

    LA RAMURE DU CERF

    Or ce jour là, quelque chose de singulier se produisit à l’heure précise où chacun ne se préoccupe plus que de bonne chère et de conversations amicales. Les cloches venaient juste de sonner midi.

    Un cerf, énorme, puissant, majestueux sort de la forêt. Il est seul. D’un pas déterminé il prend la route des hommes et trotte ainsi à découvert, s’apprêtant à une rencontre inévitable et fatale.

    là-bas, un peu plus loin tout aussi déterminés, les yeux cruels injectés de sang et la mâchoire tremblante, une meute de chiens attend. Mais aucun ne s’avisera de bouger tant que le signal de la curée n’aura pas été donné.

    On sent cette excitation que donne le goût du sang, monter, se répandre et s’insinuer sournoisement jusque dans les moindres recoins de la forêt toute proche. Nul n’aurait plus l’idée de se trouver dans les parages à ce moment précis: la mort rôde!

    Le cerf avance fièrement, sans ralentir le pas. Même s’il ne peut humer leur présence, il sait qu’il est attendu là, au niveau des taillis tout proches. Son trot ne faiblit pas: il est prêt. Tout son corps tendu, il a décidé de faire face à la meute tandis que ses congénères, là bas, s’enfuiraient le plus loin possible et tenteraient ainsi d’échapper à la horde des chasseurs-brigands écumant la région depuis plusieurs lustres déjà…

    octobre 9, 2010 à 21 h 34 min

  15. LA RAMURE DU CERF

    Le signal est donné. Dans un hurlement sinistre la meute bondit sur le puissant animal qui oppose à cette furie de crocs et de sang toute la force de son encolure et de ses deux proéminences cornues pourtant si terriblement inefficaces dans ce combat titanesque. Mais qu’importe : il a décidé de faire face et il ne tremblera pas. Il luttera même le plus longtemps possible en pensant aux siens qui courent déjà là-bas… tant qu’il aura la force de résister…

    Au début de la mêlée apparaît alors, simple spectatrice surgie de nulle part, notre belle demoiselle qui, tournant la tête et le sang de notre pauvre lieutenant, le laissait vainement battre campagne à sa recherche. Elle se tient immobile, silencieuse et observe sans rien dire ni rien faire le combat qui se déroule devant elle. Les chasseurs ne la voient pas et harcèlent le cerf de leurs piques acérées tandis que les chiens s’acharnent et le déchirent de toute part.

    Subitement, une voix puissante surgie des sous-bois accompagne l’arrivée démente d’un hère à peau de bête, gesticulant et faisant tournoyer sa dague et son épée d’une manière folle et redoutable en se jetant dans la mêlée. C’était notre vieux fou reconnaissant la jeune fille et la croyant en danger de mort. Retrouvant aussitôt ses réflexes de cavalier il saute sur l’encolure du cerf en furie. Il parvient à se tenir fermement sur la tête de l’animal et déploie aussitôt dans une véritable tempête d’imprécations, le tourbillon insensé de ses deux bras armés, crachant, hurlant, les yeux jetant des éclairs fulgurants… Tant et si bien que malgré la férocité des chiens rendus fous par le sang et la sueur et s’acharnant sur le pauvre fou autant que sur sa monture, une véritable panique commence à saisir les chasseurs. Et lorsqu’ils entendent le hurlement sauvage de véritables harpies surgies de partout et de nulle part venant se mêler au combat ils s’enfuient aussitôt sans demander leur reste.

    Épuisé, le cerf s’écroule sur le sol, sa robe maculée de sang. On entend le halètement de son souffle cherchant l’air désespérément. Toujours accroché à son encolure, notre pauvre fou de lieutenant ne bouge plus. Il est en piètre état. Autour d’eux s’assemblent peu à peu les nombreuses jeunes femmes. Elles commencent à entonner une tendre mélopée tandis que la plus ravissante, celle qui avait su rendre notre vieux fou si amoureux d’elle, se penche à son côté et d’un geste d’une grande douceur lui ferme les yeux. Puis, ensemble, elles le portent sur un lit de feuilles mortes et de mousse et chantent une mélodie bouleversante dans le silence de la forêt.

    Enfin s’inclinant une dernière fois tout près de son visage, la Demoiselle inspire longuement, et se dirigeant ensuite vers le cerf, elle lui souffle dans les naseaux. Aussitôt il se redresse et toutes les jeunes femmes rassemblées voient se déployer deux magnifiques parures de corne sur sa tête tandis que la belle demoiselle déclare: « Désormais tu porteras cette ramure que l’homme t’a offerte en échange de sa vie. Seules les femmes sauront à jamais ce pacte qui te lie dorénavant aux hommes. Mais pour honorer cette mémoire, chaque année tu déposeras quelque part dans la forêt, cette puissante ramure en hommage à son sacrifice et pour rappeler cette union qui aura su débarrasser la région de la horde de brigands l’infestant depuis trop longtemps. » Elle ramasse la peau de cerf du lieutenant de cavalerie, s’en enveloppe, puis après avoir recouvert le corps de terre, de mousse et de feuilles mortes, elle disparaît, comme engloutie par la forêt.

    « Ce devait être une fée ! », dit-on toujours, lorsque découvrant des bois de cerf au cours d’une promenade, on se remémore l’histoire … Et depuis lors, tous les cerfs portent la magnifique ramure que nous leur connaissons aujourd’hui sans jamais oublier d’honorer cette promesse.

    octobre 10, 2010 à 9 h 16 min

  16. Nawa !
    Que la légende circule maintenant.

    octobre 10, 2010 à 10 h 10 min

  17. Merci Isi. 😉

    octobre 10, 2010 à 10 h 12 min

  18. Ouf !.

    octobre 10, 2010 à 10 h 18 min

  19. Jacques

    Elle lui ferme les yeux, un lit de feuilles mortes, ça me rappelle quelque chose 🙂

    octobre 10, 2010 à 11 h 28 min

  20. Isidore

    Oh zut,alors, ce n’est donc pas passé inaperçu ? 😉

    octobre 10, 2010 à 11 h 51 min

  21. Jacques

    Pourquoi tu ne t’es pas inspiré plutôt de Yahvé punissant les Philistins ? Tu sais, c’est la culture européenne, ça aussi… Pourquoi cette distinction ? Ca me chagrine 🙂

    octobre 10, 2010 à 12 h 23 min

  22. Jacques

    Odyssée chant X (trad. Leconte de Lisle) :

    Mais, comme, déjà, j’étais près de ma nef, un Dieu qui, sans doute, eut compassion de me voir seul, envoya sur ma route un grand cerf au bois élevé qui descendait des pâturages de la forêt pour boire au fleuve, car la force de Hèlios le poussait. Et, comme il s’avançait, je le frappai au milieu de l’épine du dos, et la lame d’airain le traversa, et, en bramant, il tomba dans la poussière et son esprit s’envola. Je m’élançai, et je retirai la lance d’airain de la blessure. Je la laissai à terre, et, arrachant toute sorte de branches pliantes, j’en fis une corde tordue de la longueur d’une brasse, et j’en liai les pieds de l’énorme bête. Et, la portant à mon cou, je descendis vers ma nef, appuyé sur ma lance, car je n’aurais pu retenir un animal aussi grand, d’une seule main, sur mon épaule. Et je le jetai devant la nef, et je ranimai mes compagnons en adressant des paroles flatteuses à chacun d’eux :

    — O amis, bien que malheureux, nous ne descendrons point dans les demeures d’Aidés avant notre jour fatal. Allons, hors de la nef rapide, songeons à boire et à manger, et ne souffrons point de la faim.

    Je parlai ainsi, et ils obéirent à mes paroles, et ils descendirent sur le rivage de la mer, admirant le cerf, et combien il était grand. Et après qu’ils se furent réjouis de le regarder, s’étant lavé les mains, ils préparèrent un excellent repas. Ainsi, tout le jour, jusqu’à la chute de Hèlios, nous restâmes assis, mangeant les chairs en abondance et buvant le vin doux, Et quand Hèlios tomba et que les ombres survinrent, nous nous endormîmes sur le rivage de la mer.

    octobre 10, 2010 à 12 h 24 min

  23. J’adore la poésie de l’antiquité grecque et me suis régalé de la lecture de l’Odyssée (traduite évidemment mais dans une version plus moderne, celle de Frédéric Mugler 1991). J’ai même mis en musique la scène d’Ulysse avec les Sirènes selon l’esprit de la musique tel que je l’ai rencontré avec mon maître de chant qui se voulait aussi un « réhabilitateur » de l’antiquité grecque et celte. J’ai d’ailleurs des textes de la mythologie celte mis en musique par lui, tel « le combat des arbres » par exemple. Je connais donc avec mes tripes la force de cette poésie.

    Ne me vois donc pas comme un « pur » chrétien. Je connais et je pratique aussi d’autres mémoires européennes. Ce sont elles qui me permettent de vivre en relation avec des animaux et la nature et qui me rendent aussi familiers les coins perdus de campagne que de Paris ou d’autres grandes métropoles.

    Tout ça pour dire qu’en tant que européen d’aujourd’hui je me sens autant grec que romain, juif, celte que chrétien etc. C’est notre manière même de penser qui est le fruit de ce mélange. Pourquoi vouloir en renier ou en rejeter une part quelconque car c’est soi-même que l’on rejette dans ce cas là.

    Je préfère travailler intérieurement ( et extérieurement) à harmoniser tout ce qui me paraît à priori incompatible et opposé (la ville et la campagne, le dieu unique et les divinités multiples, le matérialisme et le spiritualisme, l’hypertechnique et le jardinage avec la traction animale, la médecine chimique et les médecines naturelles, le voyage en avion et la promenade en calèche tractée par un âne, le plaisir de l’ordinateur et celui d’écrire avec un stylo (ou une plume d’oie si tu préfères) etc.)

    Je suis tout à fait conscient de la difficulté à vivre toutes ces contradictions qui peuvent parfois faire naître intérieurement et extérieurement de véritables haines… mais je considère que mon travail d’humain consiste à ne pas céder à la tentation destructrice qui s’acharne à tout instant et d’inventer une harmonie possible entre ces irréductibilités apparentes…

    Mon expérience actuelle me montre que c’est non seulement possible mais indispensable pour faire naître le monde de demain. C’est mon service, en quelque sorte…

    octobre 10, 2010 à 13 h 14 min

  24. Pour en revenir à Victor Hugo et sa « Légende des siècles », voilà donc un auteur qui s’est proposé par cette oeuvre magistrale de créer une nouvelle mémoire possible pour tous ceux qui viendront après lui, de mettre en mot et en histoire la synthèse dont il a été capable de toutes ces mémoires européennes qui l’ont travaillé sa vie durant. Son oeuvre en est une harmonisation possible et elle nous ouvre le champ de ces mémoires, nous les rendant encore et toujours accessibles aujourd’hui.

    Tout est là dans cette légende, la poésie antique, le chant du barde gaulois, l’honneur chevaleresque, l’amour courtois, les horreurs de l’inquisition, la majesté des bâtisseurs de cathédrales, le conflit entre l’art gothique lunaire et l’art roman solaire tourné vers l’orient, la révolution et la naissance du peuple, le matérialisme de l’époque moderne, les conflits à venir et l’œuvre d’harmonie bâtie tout au long des siècles etc…

    Bref tant de tragédies et de merveilles côte à côte me laissent bien impuissant à vouloir porter le moindre jugement définitif sur ce qui est et a été. Tout reste possible et, comme disait mon père, la vie, c’est devant.

    octobre 10, 2010 à 13 h 34 min

  25. Isidore

    Harmoniser les contraires procède finalement d’un mode de raisonnement et d’une conception du monde plus antique que judaïque ou chrétienne. En ce sens il est difficile de m’enfermer dans une conception monolithique.

    D’autre part, harmoniser les antagonismes ne signifie pas favoriser l’un au détriment de l’autre, et surtout pas anéantir aucun des termes de l’opposition.

    Il s’agit plutôt de créer un ordre supérieur qui dépasse nécessairement ces antagonismes apparents. La nature opère de cette façon là. L’estomac est bien capable de digérer de la viande sans se digérer lui même (sauf cas morbide). Notre corps est entièrement animé par des principes contradictoires et antagonistes. Déjà, si on considère l’action des 4 éléments fondamentaux (eau, terre, feu, air) on voit bien que leur rencontre n’est harmonieuse que dans certaines conditions et selon un équilibre déterminé. Sinon, la destruction mutuelle est assurée.

    Tout ça pour radoter la même chose, à savoir que les antagonismes de toutes sortes me paraissent inévitables et même nécessaires pour animer le principe qui anime l’univers. Et que pour évoluer dans un monde ainsi bâti, je préfère la logique de l’harmonisation à celle de la guerre, les deux étant possibles (et sans doute nécessaires même si cela ébranle tout ce que je viens de dire, d’une certaine manière: un paradoxe de plus, chouette alors!!! 🙂 )

    octobre 10, 2010 à 18 h 55 min

  26. Jacques

    Isidore, pour l’harmonisation des cultures contraires, dont je ne suis pas certain de voir le rapport avec le cerf, et dont tu notes de façon à mon avis auto-contradictoire qu’elle est plus antique que judaïque, je t’ai déjà dit mon point de vue : il faut distinguer le monde et les idées. Harmoniser les contraires dans le monde, c’est la pensée païenne. Mélanger les contradictions dans la pensée, c’est l’incohérence. Séduisant avec la lassitude que nous avons du « rationalisme occidental », mais en fait le naufrage de la pensée. Ensuite c’est vrai que artistiquement c’est un peu différent. Par exemple une pièce de théâtre peut mélanger des points de vue contradictoires. Mais c’est un cas très spécial. On en reparle dans un autre article ? En en respectant la thématique, il nous permettra peut-être, en variant légèremnet l’angle d’attaque, de dépasser notre opposition.

    Sinon je suis très intéressé par cette nouvelle traduction de Mugler. Oserais-je te demander de recopier ne serait-ce qu’une petite partie de l’extrait sur le cerf (pour rester dans le sujet) que j’ai donné en 23, afin de pouvoir comparer ? Si ce n’est pas trop ennuyeux je t’en serais reconnaissant.

    octobre 10, 2010 à 19 h 48 min

  27. Jacques

    PS : J’ai décidé (bien que Vincent n’en voie pas l’opportunité) de respecter en gros la thématique des articles, donc je suis coincé 🙂 Mais n’hésite pas à donner ta conclusion provisoire, ce n’est pas une technique pour avoir le dernier mot 😉

    octobre 10, 2010 à 21 h 11 min

  28. Petit aparté sur le respect des thématiques des articles : ça ne risque pas de donner trop d’importance — ou de responsabilité — à celui qui lance le plus souvent les sujets de discussion (qui sont souvent bien moins intéressants que ce qui surgit en discutant après) ?

    Et puis (sous un autre angle) : j’aimerais bien pouvoir plus souvent sortir des sujets qui me hantent (et dans lesquels je peux avoir parfois l’impression de tourner en rond).

    Bref : ok, si vous proposez aussi de temps en temps quelques articles. 😉

    octobre 10, 2010 à 22 h 40 min

  29. Autre aparté : le lit de feuilles morts, les yeux fermés… C’est inspiré de quoi, siouplé ?

    octobre 10, 2010 à 22 h 41 min

  30. Isidore

    @ Jacques 27

    Je ne comprends pas bien ton: auto-contradictoire. Ceci dit, bien d’accord avec toi dans le fait que « harmoniser les contraires » est une action dans le monde et que vouloir harmoniser des idées qui procèdent avant tout par opposition mutuelle (c’est notre mode de fonctionnement cérébral qui semble le vouloir) ne peut générer que de la confusion.

    Moralité: la meilleure façon d’échanger des idées dans une conversation consiste à admettre qu’elles sont diverses et souvent opposées et à ne surtout pas chercher à les harmoniser ni à trouver coûte que coûte un moyen terme acceptable, car là on génère de la confusion.

    On n’a guère d’autre choix que d’essayer de développer et d’approfondir un point de vue singulier qui peut devenir l’expression d’une pensée cohérente, mais surtout pas de tenter de convaincre qui que ce soit de l’universalité de ce point de vue. Car on est alors dans l’affrontement idéologique propre à l’action politique, loin de toute élaboration de pensée. Et sur ce terrain là, celui du monde, je préfère l’harmonisation des contraires. Ça te semble cohérent ?

    D’accord avec toi Vincent quant à la vertu de diverger du sujet initial; j’aime ce chatoiement des idées diverses et souvent imprévues surgissant au fil de la conversation… Mais malheureusement je n’ai pas ton talent pour imaginer, lancer et animer des articles comme tu sais si bien le faire…

    octobre 11, 2010 à 7 h 51 min

  31. Isidore

    Quant à l’harmonisation des cultures, ceci me paraît aussi vain qu’illusoire. C’est la tentation de cette « culture mondiale » qu’on nous bassine à tort et à travers. Les cultures ne s’harmonisent pas, elles se fécondent mutuellement en faisant naître d’autres cultures, mais aussi et surtout en se transformant elles-même au fil de ces rencontres, à mon avis.

    Harmoniser les contraires, dans ce cas là, consiste simplement à accepter et reconnaître l’existence, la légitimité d’être d’autres cultures que la sienne, même et surtout s’il faut se battre pour la faire respecter…

    octobre 11, 2010 à 8 h 14 min

  32. Isidore

    Odyssée, Chant X (trd F. Mugler)

    J’étais sur le point d’arriver à ma nef bien galbée,
    Lorsqu’un dieu, me voyant tout seul, eut pitié de mon sort
    Et mit sur ma route un cerf à la haute ramure.
    Venant du pâtis des forêt, il allait boire au fleuve,
    Car déjà il sentait sur lui la force du soleil.
    Comme il sortait, je le frappai à l’échine, en plein dos,
    Et le perçai de part en part avec ma pique en bronze.
    Il roula dans la poussière en bramant et rendit l’âme.
    Je mis le pied sur lui et retirai de la blessure
    Ma pique en bronze, que je laissai là, couchée à terre.
    Puis, arrachant des joncs et des broussailles, j’en tordis
    De quoi faire une double tresse longue d’une brasse,
    Avec laquelle j’attachai les quatre pieds du monstre
    Et, cette charge au cou, j’allai, appuyé sur ma pique,
    Rejoindre mon vaisseau: le moyen de porter la bête
    D’une main sur mon dos? Elle était vraiment trop énorme.
    Je la jetai devant la nef, puis j’allai réveiller
    Mes gens et je leur dis ces mots pleins de douceur
    « Amis,quels que soient nos chagrins, nous n’iront pas encore
    Dans la maison d’Hadès; le jour fatal n’est pas venu.
    Allons ! tant qu’il nous reste ici de quoi faire un repas,
    Songeons à bien manger et à ne pas mourir de faim. »
    Je dis, et aussitôt ils obéirent à ma voix.
    Se découvrant le front, ils aperçurent le grand cerf
    Au bord des flots amers; c’était vraiment un monstre.
    Quand de leurs yeux ils l’eurent contemplé tout à loisir,
    On se lava les mains pour préparer un grand repas.
    Tout au long de ce jour, jusqu’au coucher du soleil,
    Nous restâmes à savourer bon vin et force viande.
    Le soleil une fois couché et l’ombre descendue,
    Chacun s’étendit pour dormir sur la grève de la mer.

    octobre 11, 2010 à 8 h 35 min

  33. Tout est versifié ainsi en vers de 14 pieds, et j’avoue que je trouve ça très heureux.

    octobre 11, 2010 à 8 h 40 min

  34. @ Vincent 30
    Je n’en ai aucune idée…

    octobre 11, 2010 à 9 h 05 min

  35. Jacques

    Vincent 29

    C’est juste une règle que je m’applique à moi-même, je ne prétends pas modifier vos usages.

    Vincent 30

    De la citation de l’Odyssée dans le fil d’à côté…

    Isidore 33

    Merci beaucoup. Intéressant le vers de 14 pieds, mais peut être un peu contraignant. C’est j’imagine ce qui explique par exemple « nef » au lieu de « navire » malgré le choix d’une langue simple et moderne…

    octobre 11, 2010 à 12 h 39 min

  36. Isidore

    Merci Jacques, je n’avais même pas repéré ce à quoi tu faisais référence… malgré mes fanfaronnades…

    octobre 11, 2010 à 13 h 51 min

  37. J’viens de saisir aussi. 😉
    Comme chaque fois dans ce genre de situation, la réponse était là, sous nos yeux, toute proche.
    Désolé Jacques.

    octobre 11, 2010 à 19 h 29 min

  38. Dans le 3e tome de L’Odyssée du dernier Neandertal de Klapczynski, le nom donné par la tribu sapiens au mégacéros est… Torg.
    Ca lui va bien, je trouve.

    octobre 26, 2010 à 10 h 40 min

  39. 120

    Ecrit par Eric Chevillard :

    Pourquoi faudrait-il prendre garde au cerf dessiné sur les panneaux signalétiques au bord des routes ? Voyez cette impulsion, cette trajectoire : il passe d’un bond allègre très largement au-dessus des voitures !

    (1046, http://l-autofictif.over-blog.com/ , 29 octobre 2010)

    octobre 30, 2010 à 8 h 25 min

  40. 120

    Ecrit par Eric Chevillard :

    Nous étions deux qui aimions Anne, quatre qui aimions Florence, trois qui aimions Susan ; afin de ne pas humilier mes rivaux, je me retirai à chaque fois de la compétition pour aller parfaire dans la forêt la plus proche cette imitation du brame du cerf qui me vaut de si beaux succès en société.

    (L’autofictif, L’arbre vengeur, 2009)

    novembre 1, 2010 à 23 h 05 min

  41. Tiens, un petit article pour apporter de l’eau au moulin de Chevillard :
    http://sexes.blogs.liberation.fr/agnes_giard/2010/09/crie-mon-ch%C3%A9ri-je-te-dirai-qui-tu-es.html
    (A cette heure-là, c’est autorisé)

    novembre 1, 2010 à 23 h 08 min

  42. Les cerfs de la forêt de chaux eussent-ils eu un effet aphrodisiaque, leur brâme en eut été plus beau !

    (ouais, mauvais plagiat… ! 🙂 )

    novembre 3, 2010 à 13 h 01 min

  43. Isidore

    Plagiat de qui, de quoi ?

    novembre 5, 2010 à 9 h 08 min

  44. le nez de cléopatre s’il eut été plus court…
    c’est Pascal ? chais plus…

    novembre 5, 2010 à 14 h 34 min

  45. Isidore

    Ouf, ça va mieux ! merci Barbarella.

    novembre 5, 2010 à 16 h 31 min

  46. 120

    Ecrit par Antoine Peillon :

    « Le cerf ! […] L’historien Jérémie Benoît en a suivi très finement la trace dans toute l’histoire du continent européen, des origines chamaniques indo-européennes et sibériennes jusuq’au Maoyen Âge chrétien.

    Selon lui, le cerf possède une ramure qui l’apparente au feu solaire qui brûlait sur la tête des guerriers. Dieu initiatique donc, symbole de la lumière, il rencontrait son complément avec la fée des eaux qui, comme Viviane et Mélusine, était seule susceptible d’éteindre sa vigueur, voire de l’épouser. Animal chassé, conducteur d’âmes, il était le grand dieu Cernunnos des Celtes, dieu du cycle de la nature dont la caducité des bois symbolisait la mort et la renaissance perpétuelles.

    Jérémie Benoît a cette belle formule synthétique : « Qui connaît l’esprit du cerf, qui parvient à se pénétrer de son esprit parvient en conséquence au sommet du savoir et entre en harmonie totale avec l’univers, comme cela est le cas pour les guerriers. » (Le Paganisme indo_européen ; Pérennité et métamorphose, L’Âge d’homme, 2001). Et il prolonge par une note : « Le phénomène est omniprésent chez les Celtes, et la littérature médiévale nous en a conservé la trace. C’est bien souvent en courant le cerf lors d’une chasse que les guerriers entrent dans un monde autre, celui des esprits, donc celui de la connaissance suprême… » Voici bien la fonction psychopompe du cerf, que l’on retrouve « dans de nombreux récits médiévaux, bretons en particulier » (Ibidem). […] »

    (L’esprit du cerf, La forêt au coeur de l’imaginaire occidental, Le bord de l’eau, 2011)

    août 17, 2011 à 12 h 36 min

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