"Aux explorateurs de l’inconnu qui aiment apprendre en faisant un pas en arrière sur le chemin des ancêtres." Pascale Arguedas

La cuisine paléolithique

Après avoir rencontré le personnage dans l’article intitulé Vivons-nous des temps cathares ?, revenons un peu sur le trop méconnu Joseph Delteil.

Rappelons qu’en 1937 l’écrivain se retire « en paléolithie » : au lieu-dit la Tuilerie de Massane, près de Montpellier. Loin de la civilisation, à l’écoute des sens, mi-poète, mi-vigneron, avec, au corps, la mémoire de ses aïeux magdaléniens qui vivaient, voilà vingt-cinq mille ans, des simples productions de la terre, il fait peau neuve et rêve de redevenir le premier homme. Nu. Innocent.

De là naîtra notamment sa provocante Cuisine paléolithique, hymne à la cuisine brute (comme il y a un art brut), au plat unique et aux recettes de grands-mères secrètement préservées, au plus loin, donc, des goûts sophistiqués de ses contemporains, dont je me délecte de copier ci-dessous un extrait de la préface (malicieusement intitulée Hors-d’oeuvre) :

« La cuisine paléolithique, c’est la cuisine naturelle, celle qui apparut dès le commencement par pur instinct, simple appétit entre l’homme et le monde.

La nature des choses.

Quant à moi, j’ai très délibérément entrepris de vivre une vie naturelle, une vie comme la vivaient les premiers  hommes, voire hominiens (mettons, s’il vous plaît, il y a cent mille ans).

Autant que possible, et à peine de mort près.

En esprit, sinon à la lettre.

Singulièrement dans le domaine de l’alimentation.

Au fronton de ma maison des champs, j’ai inscrit la formule de Confucius : VIVRE DE PEU

La civilisation moderne, voilà l’ennemi. C’est l’ère de la caricature, le triomphe de l’artifice. Une tentative pour remplacer l’homme en chair et en os par l’homme robot. Tout est falsifié, pollué, truqué, toute la nature dénaturée. […]

Il s’agit de faire front, de retrouver terre, de redevenir des sauvages, vierges de sens et d’esprit comme au premier matin… »

(La cuisine paléolithique, Arléa, 1990)

19 Réponses

  1. 120

    Ecrit par Joseph Delteil :

    PETIT CALENDRIER

    Janvier c’est le mois du porc avec toutes ses cochonailles, des fromages, de l’olive.

    Février le mois des belles viandes, des coquillages, des truffes.

    Mars sent la salade fraîche, le caneton, les poissons (d’ailleurs c’est le mois du Carême).

    Avril (et ses Pâques) amène les agneaux, le veau, le becfigue, la morille.

    Voici mai et les asperges, la fève, l’ortolan, le vanneau, l’omelette « à l’oeillet ».

    Juin le temps des cerises, le temps des adolescents, le bigarreau, le dindonneau.

    Juillet la caille dans sa feuille de vigne, la caille riche de voyages, mai à Naples, hiver au Maroc, juillet et ses moissons, juillet le mois du corps et de l’âme.

    Août tous les fruits (le melon, la pêche), les écrevisses.

    Septembre c’est la chasse (lièvre, perdreaux), la figue, le cèpe.

    Octobre le grand mois de la gastronomie (à la Saint-Rémy tous perdreaux sont perdrix), avec la bécasse et la langouste.
    Et le vin nouveau.

    Novembre chauds les marrons, et les bourriches d’huîtres, et le chapon à l’ail et la confiture de nèfles.

    Décembre et son pré-carême de l’Avent, encore la truffe, et le marron glacé, et Monseigneur le Réveillon.
    Tâte ta saucisse à la Sainte-Agathe,
    Et ton saucisson à Pâques fleuries !

    (La cuisine paléolithique, Arléa, 1990)

    novembre 10, 2008 à 1 h 30 min

  2. Vincent

    Dans la même lignée, me semble-t-il, on peut trouver aujourd’hui notamment Pierre Pelot dont la succulente Croque buissonnière a déjà été citée en commentaire de
    Mangez préhisto ! : http://www.partiprehistorique.fr/2008/03/16/mangez-prehisto/
    La cueillette des champignons : http://www.partiprehistorique.fr/2008/10/04/la-cueillette-des-champignons/

    novembre 10, 2008 à 1 h 38 min

  3. Vincent

    « En esprit », donc, les 14 recettes décrites par Delteil dans son ouvrage.

    « A la lettre », voir plutôt ce lien (parmi d’autres) :
    http://genre.homo.over-blog.com/article-5530708.html

    novembre 10, 2008 à 13 h 25 min

  4. Vincent

    Si, comme le dit le dernier lien, les premières recettes attestées sont des bouillons gras (de véritables « peaux-au-feu »), penchons-nous un peu sur les soupes.

    novembre 11, 2008 à 14 h 25 min

  5. 120

    Ecrit par Joseph Delteil :

    La soupe, comme on dit : la lièvre, c’est qu’il n’y en a qu’une au monde. C’est le terme générique — d’ailleurs il n’y aura guère ici que des termes génériques et de simples détails.

    Une seule en trois personnes : au printemps c’est la soupe aux fèves ; l’été la soupe aux baraquets (haricots verts) ; l’hiver la soupe aux choux. Aucune monotonie là-dedans ! Entre la première fève du 1er mai, par exemple, et la fève en robe prétexte, à ruban noir, quelle échelle de saveurs !

    PRINCIPE DE LA SOUPE

    Faire bouillir de l’eau dans un pot en terre rouge, le toupin.
    Dès que l’eau bout, en prélever la moitié et en ébouillanter le légume fondamental avant de le mettre dans le pot.
    Laisser cuire sur le feu environ demi-heure.
    Ajouter alors selon la saison et proportionnellement (jamais plus de dix pour cent au total) pommes de terre, carottes, navets, poireaux, céleri, etc.
    Laisser bouillir encore demi-heure.
    Et c’est l’heure du confit :
    Descendre le toupin au coin du feu, et ajouter un bon taillou.
    Saler.
    Encore demi-heure et il n’y a plus qu’à tremper la soupe dans la soupière, au pain rassis.
    Veiller à ce que l’eau ne cesse jamais de bouillir, à flots sur le feu, et tout doux au coin du feu.
    La soupe comporte trois services : le pain trempé, les légumes et la viande. Il y a de quoi…

    EXEMPLE DE SOUPE

    La soupe aux choux

    La soupe aux choux, avec tous ses détails typiques, outrecuidants :
    1. La marmite est en fonte, le chou aime la fonte ; et l’amour…
    2. A anse, car il faut la suspendre sur le feu, jamais sur le trépied, ni au coin du feu.
    3. Et assez corpulente, le choux aime à être à l’aise dans son pot, les coudées franches… « de l’air, de l’air ! », comme criait Goethe.
    4. Donc une crémaillère à crans dans la cheminée.
    5. Assaisonnement : le saïd qui est, tu le sais, la panne de porc roulée et fumée aux poutres.
    6. Cuire au trot, mais non au galop ; e, deux heures tout est fini.
    7. A la fin, il doit rester très peu de bouillon.
    8. Maintenant, si tu as l’estomac délicat, ta petite amie dans la marmite a mis un tesson d’assiette, ça enlève le goût fort.
    9. N’oublie pas la roussole : c’est une espèce de farci sérieusement roussi et stylisé dans la poêle (d’où roussole) et qu’on octroie à la soupe au choux, le vendredi, faute de porc.

    (La cuisine paléolithique, Alea, 1990)

    novembre 11, 2008 à 14 h 43 min

  6. Ourko

    Oulah, Joseph… Toi aussi — comme Friedrich — tu affirmes sans argumenter.
    Méfie-toi de la réaction (fat’waouh !) d’Amélie ! 😉

    novembre 11, 2008 à 14 h 47 min

  7. Pascale

    Croque buissonnière de Pelot, hum… c’est le moins bon bouquin dans cette excellente collection tenue par une amie! D’ailleurs, je lui ai dit: apprends-lui à écrire…

    novembre 11, 2008 à 15 h 02 min

  8. 120

    Ecrit par Pierre Pelot :

    La soupe se conçoit aussi bien en gourmandise et mise en bouche, entrée de repas ou repas lui-même, et ô combien repas complet. A l’égal d’une autre bectance de méchante réputation : le sandwich. Parce que sorti du jambon-beurre (généralement méchant jambon et méchant beurre dans méchant pain) le sandwich se peut royal et somptueux — mais ce n’est pas le propos. […]

    Qu’est-ce qu’une soupe ? En somme de l’eau avec des choses qui cuisent dedans, et quand c’est cuit on attend que retombe un poil la brûlance, et on mange. Dans l’eau on peut mettre du riz, des lentilles, des pâtes, du tapioca, des pois cassés, des grosses fèves, des haricots secs, des pois chiches, des… De tout. Des tubercules, des racines, des feuilles, des tiges, des graines, des farines, des semoules, de la viande, toutes sortes de viandes, des poissons, toutes sortes de poissons, des crustacés, des mollusques, des fruits, des machins, des trucs.

    Dans cet immense choix de produits, ces innombrables façons de faire, il faut bien choisir. Poser notre regard et tremper notre cuiller. J’aurais sans doute une pétite préférence pour la soupe de légumes. En toute simlicité. Des pommes de terre, des poireaux, des courgettes épluchées et coupées en rondelles, une ou deux carottes rouges, un navet, un oignon, pas plus, coupés en morceaux, le tout revenu dans un soupçon de gras, par exemple un morceau de lard avec lequel vous aurez badigeonné la casserole, et puis on verse l’eau, on porte à ébullition, on réduit, on couvre à demi, on laisse cuire sans hâte une heure ou deux, pourquoi pas ? Saler sur la fin. Poivrer.

    On peut, la cuisson finie, mixer tout cela, en faire un liquide duquel rien ne dépasse. C’est une possibilité. On regrettera quand même la violence des couteaux hacheurs du mixer, et son bruit. Parce que le légume peut s’écraser manuellement, en grossiers morceaux, à la fourchette ou au presse-purée. C’est une de mes options favorites. Il peut aussi se laisser tel quel.

    A cette soupe de légumes basiques vous pouvez quasi tout ajouter, elle est de très bonne compagnie. Si le discret morceau de lard des débuts ne vous suffit pas, doublez la dose ! Allez-y de viande fumée, pourquoi pas de saucisse ? Pourquoi pas de pieds de porc, du temps que vous y êtes ? De veau ? Pourquoi pas ?

    La soupe ets de cette composition qui ne craint pas les réchauffements. Quatre ou cinq à la suite ne lui font pas peur, pour peu qu’entre chaque elle soit gardée au frais, au froid, ce qui est préférable notamment en été par temps orageux…

    J’ai des penchants aussi pour des soupes italiennes, tomates, courgettes, assaisonnements musclés, bonnes pâtes en guest stars, de la coquillette aux pennes et, même, tagliatelles.

    Les soupes à l’oignon, gratinées et brûlantes dans un creux de l’hiver.

    Soupe de grosses fèves, noire et épaisse, avec les grains aux enveloppes éclatées.

    Soupe de concombre, le concombre épluché, un ecuillerée de moutarde en fin de cuisson, un nuage de crème fraîche dans l’assiette…

    Soupes asiatiques, thaïes et chinoises, pâtes cuites à part, viande égalemùent ,la tranche de porc ajoutée au dernier moment, le bouillon versé, les épices, une soupe qu’on mange à la baguette et qu’il ne faut pas craindre d’aspirer bruyamment, et puis dont on boit le bouillon à même le bol. Et, là encore, c’est un repas.

    Soupe d’orties que pour a part je métisse de pois cassés.

    (La Croque buissonnière, Nil, 2008)

    novembre 11, 2008 à 15 h 45 min

  9. Vincent

    Moi j’aime bien cette écriture… vosgienne !

    novembre 11, 2008 à 15 h 47 min

  10. Pascale

    C’est ton droit! Pas moi.
    Pelot, c’est son pseudo; connais-tu son état civil ? Pierre Grosdemange, ça lui va bien je trouve, je ne comprends pas qu’il ait eu besoin de se déguiser… Moi j’assume mes sales prénom et nom, il ne faut pas fuir ce genre de choses sauf si on veut se vendre ;-).

    novembre 11, 2008 à 16 h 52 min

  11. Vincent

    Tu conseilles lesquels dans cette collection ?
    (Il n’y en a pas un que Denis va bientôt sortir ?)

    novembre 13, 2008 à 13 h 28 min

  12. Ourko

    Moi, en tout cas, je suis d’accord avec Pascale, car si 120 a bien copié fidèlement l’extrait du livre on trouve quand même des : pétite, la soupe ets, un ecuillerée, égalemùent, pour a part, etc.
    Il écrit vraiment mal Grospelot !!! 😉

    novembre 13, 2008 à 13 h 34 min

  13. Pascale

    J’en ai aimé trois, superbement écrits : celui de Claude Pujade-Renaud (Sous les mets les mots), Chantal Pelletier (Voyages en gourmandise) et Hubert Michel (Mes péchés bretons). Je les ai tous trois chroniqués en ligne chez moi.
    Denis en sortira un mais pas avant l’année prochaine.

    novembre 13, 2008 à 14 h 21 min

  14. Vincent

    Je ne sais pas combien de temps je vais mettre à le lire (vu le nombre de livres qui attendent aussi que je les prenne en main) mais je viens d’acquérir un prometteur Le Rat et l’Abeille, Court traité de gastronomie préhistorique de Raymond Dumay (Phébus, 1997) qui enrichira à coup sûr ce qui a commencé à se dire là. On aura bien entendu l’occasion d’en reparler.

    novembre 26, 2008 à 21 h 04 min

  15. 120

    Ecrit par Kenneth White :

    Delteil s’est dit paléolithique, on le sait. Qu’es aco ? Le paléolithique, c’est « la période de l’histoire où l’homme était nomade, bourlinguait par les forêts du matin au soir, vivait de la cueillette des fruits et des noisettes ». Etre paléolithique, c’est être casanier et cosmopolite à la fois : c’est rester tapi au fond d’une caverne pendant une saison, et pendant l’autre faire des voyages extravagants. Le paléolithique, c’est la danse de l’ours blanc dans la neige, les ébats de la baleine bleue dans l’océan, et un petit homme avec un grand cerveau (dont il ne sait trop que faire avant l’invention de la littérature) qui reste ébahi devant la splendeur terrible du monde. Et la paléolittérature ? C’est un panréalisme, plein de frémissements sensoriels et intellectuels, écrit dans un style coloré et avec une syntaxe qui a des seins. « Littérature adoncques ? yes, yes, littérature, littéralement. »

    Civilisé, Delteil ne peut que se sentir à l’étroit dans les cadres de la culture. Son énergie, son exubérance exigent autre chose. Il est comme son Napoléon qui, au-delà de l’Europe, vise l’Asie : « A travers l’Italie, à tavers l’Egypte, à tavers Moscou, ce sont les Indes qu’il convoite et qu’il poursuit. » Il faut à ce divagant un espace autrement plus vaste que « la culture française » par exemple, et une substance spirituelle autement plus juteuse que le régime maigre d’un rationalisme étriqué. Il va donc vivre parmi les paléohyperboréens, et s’il lui arrive d’emprunter au passage les images d’un catholocisme baroque italien ou espagnol, dans son cerveau vieux de cent mille ans, il neige une neige chamanique. Il n’y a pas eu de Méridional comme lui depuis Pythéas le Massiliote, celui qui quitta les rives de la Méditerranée pour s’aventurer vers le nord, dans les brumes, et les lumières apolloniennes.

    (La figure du dehors, Grasset, 1978)

    décembre 2, 2008 à 13 h 59 min

  16. Craô

    La danse de l’ours blanc dans la neige ?
    Les ébats de la baleine bleue dans l’océan ?
    Le petit homme avec un grand cerveau (dont il ne sait trop que faire avant l’invention de la littérature) qui reste ébahi devant la splendeur terrible du monde ?
    Plein de frémissements sensoriels et intellectuels ?
    Un style coloré ?
    Une syntaxe qui a des seins ?

    NAAAWAAAAAAAAAAA !!!

    décembre 2, 2008 à 14 h 03 min

  17. 120

    Ecrit par Joseph Delteil :

    J’ai des envies folles de rompre le Temps et l’Histoire et autres idiotes réalités pour entrer à pieds joints dans le Désir. Pourquoi la vie est-elle si régulière, si calendrière ? […] J’en ai marre d’être toujours prisonnier du mètre, de l’horloge, de la merde. Une folle aventure fourmillante, un entrechat, dites donc je ne sais quel déclic et nous y voilà ! Il y a bien d’autres mystérieux systèmes, de bien autres noces entre l’atome et les constellations, et des cavalcades inénarrables entre l’imagination et le vent. Il y a partout des mondes aux syllabes et aux rythmes passés au nombre d’or, et plus naturels que tous les événements. D’autres alliances et combinaisons diablement fertiles…

    (cité par Kenneth White dans La figure du dehors, Grasset, 1978)

    décembre 3, 2008 à 23 h 31 min

  18. c que du caca et du pipi ses casette de nomade

    janvier 6, 2010 à 16 h 51 min

  19. Bonjour Ramdani, et bienvenu(e). Je n’ai malheureusement pas bien compris le contenu de votre commentaire. Un peu plus de précision ?

    janvier 6, 2010 à 17 h 46 min

Répondre à 120 Annuler la réponse.