Automne
L’équinoxe — rare événement mondial — marque dans notre hémisphère la fin de l’été, le retour des nuits plus longues que les jours, bref… l’entrée dans l’automne.
Le calendrier républicain faisait de cette saison la première de l’année. Et vous, quelle place lui donnez-vous ?
Et puis, surtout, est-elle pour vous plutôt symbole de tristesse ou de sérénité ?
Le danseur est crevé
Il a tout donné cet été
Il s’extirpe, s’arrache
De ses costumes moulants
Qui lui retiennent
Quelques gouttes de sang
Blessé et exténué
Il part sans rien ranger
Il abandonne dans la gadouille
Tous ses outils inanimés
Griffés de rouille
Finis les artifices
On ne verra de l’édifice
Que l’armature
Sans fioritures
L’enfer du décor
Et l’arbre dénudé
Outragé
Dévoilera son grand secret :
La cachette discrète
De ce nid de fauvette
Qui en son sein battait
Mais malgré tout
Je reste debout
Enfin je peux trouver
La douce sérénité
Comme ce danseur
Je me repose
Je me retrouve
Soulagé
Libéré
septembre 21, 2008 à 23 h 22 min
Ecrit par Anna de Noailles :
AUTOMNE
Puisque le souvenir du noble été s’endort,
Automne, par quel âpre et lumineux effort,
— Déjà toute fanée, abattue et moisie, —
Portez-vous ce brûlant accent de poésie ?
Votre feuillage est las, meurtri, presque envolé.
C’est fini, la beauté des vignes et du blé ;
Le doux corps des étés en vous se décompose ;
Mais vous donnez ce soir une suprême rose.
— Ah ! comme l’ample éclat de ce dernier beau jour
Soudain réveille en moi le plus poignant amour !
Comme l’âme est par vous blessée et parfumée,
Triste Automne, couleur de nèfle et de fumée !…
septembre 21, 2008 à 23 h 32 min
Ecrit par Emile Verhaeren :
UNE HEURE DE SEPTEMBRE
Comme enfermés et secoués
En un sac invisible,
Une ronde de moucherons
Tourne dans le soleil.
L’après-midi finit : l’air est vermeil.
Ainsi que de longues glissoires d’or,
Des bandes de clarté obliques
Passent entre les troncs
Et s’étendent sur les gazons.
Dans un pli de terrain,
Un fin brouillard
Se lève ;
Et l’envol d’un oiseau
Courbant la branche d’un bouleau,
Deux feuilles mortes
Tombent dans l’eau.
(Les plaines
septembre 21, 2008 à 23 h 38 min
Ecrit par Eugène Guillevic :
AUTOMNE
Les sillons
Ramènent tout à eux-mêmes.
*
C’est ainsi
Que sur le toit la grive
S’est posée.
La voilà partie,
Elle sait pourquoi.
*
Les couleurs de l’automne
Jouent au coucou.
Vont tricher.
*
Participer à la cantate
Que le sol promet
A ses profondeurs.
*
Toujours en connivence
Avec les charrue.
*
Toutes les feuilles du hêtre
En rébellion
Contre l’annonce du froid.
*
C’est fini.
L’ajonc
S’est discrédité,
Pour au moins
Une année.
*
De l’air
Qui se voudrait tempête
A cause de sa mésailliance
Avec la plaine bourbeuse.
*
Le noisetier
S’est dénudé,
Maintenant
Qu’il aurait tant besoin
D’être vêtu.
*
Feuilles mortes,
S’il vous plaît
Un peu de discrétion.
Vous n’êtes pas les seules
A vous quitter.
*
Tu vois des chaumes
Et tu vis encore
Cette gloire qu’ils furent
En été
Quand les voici porteurs
De soleils et d’épis.
*
On enlève les fils télégraphiques
Aux hirondelles.
*
On laboure.
Le champ s’y fera.
*
Ce n’est pas l’époque
Du coucou.
Il triompherait.
*
De l’eau
Dans une ornière.
Elle ne connaît pas bien
Son histoire.
*
Le brin de paille
Au bord du chemin
Croit se souvenir
Que lui aussi
A été debout.
*
Tais-toi,
Lumière,
Crient les vers de terre
Remués par les labours.
On était bien,
Là-bas.
*
Malgré les siècles parcourus,
Les corbeaux
N’en savaient pas plus,
Criaient, peut-être,
A cause de ça.
*
L’hirondelle
Se pose
Dans un sillon
Que le soleil déclinant
Salue.
*
Que dites-vous
De la saison ?
Voilà que le ciel
Se permet
D’avoir des ailes.
(Relier, Gallimard, 2007)
septembre 22, 2008 à 0 h 00 min
Il a raison l’Eugène, on peut se demander pourquoi les noisetiers — et les autres plantes à feuilles caduques — se déshabillent à la saison où ils devraient au contraire rester couverts.
En même temps, on peut aussi considérer que les feuilles ne sont pas l’habit de la plante, mais plutôt son être même… qu’elle fait donc bien de rentrer à l’annonce des prochains frimas.
septembre 22, 2008 à 11 h 51 min
Mouais… On peut tout aussi bien considérer que les plantes sont simplement pas très futées. Savent-elles simplement lire les calendiers… ou comprendre un bulletin météo ?
septembre 22, 2008 à 11 h 53 min
Sinon, moi j’parie tout ce que vous voulez que cette année encore l’automne… ne passera pas l’hiver !
septembre 22, 2008 à 12 h 04 min
Ecrit par Sylvain Tesson :
En automne, la vigne vierge rougit face aux arbres qui se dénudent.
*
Le petit cul d’un champignon tout blanc prosterné au pied d’un arbre.
*
Au Music-hall de la Nature, on donne chaque année le strip-tease de l’automne avant que ne tombe le rideau de l’hiver.
*
Saisons : inconstances de la Nature.
*
Sous-bois d’automne : symphonie pour bois et cuivre.
(Aphorismes sous la lune et autres pensées savages, Equateurs parallèles, 2008)
septembre 22, 2008 à 12 h 10 min
Ecrit par François Jacqmin :
AUTOMNE
La lumière a trouvé d’autres
armes.
Après la lucidité violente
des lieux communs, voici l’effusion
tranquille d’un soleil
fort de sa pâleur.
A la stupeur de tous, les discussions
interminables de l’été n’ont suscité
aucune vérité.
Seuls les fruits ont émergé.
*
La nature est fanatisée. Son
entendement en souffre.
Elle se complaît dans le résidu
des couleurs et les tristes
velléités des couchants.
Il est peut-être indécent
d’être en sa compagnie.
*
Le hêtre agite ses bras
enflammés.
Il célèbre la dernière
fête du feu.
Dans le lointain, les
fanes se consument dans
une odeur doucement impérieuse.
Ce qui ne participe pas devient
bruine.
*
La saison a dépensé son soleil.
Il va falloir goûter le temps
avec des papilles d’ombre.
Il faudra réapprendre le
savoir-vivre parcimonieux
des dormeurs.
*
La clarté achève de tromper.
La fabuleuse volupté du visible
a déjà perdu la futaie.
L’art d’aujoud’hui s’épuise
dans les douces immensités de
la fin.
*
Le déplaisir s’empare des
hirondelles.
Elles songent à un voyage dans
d’autres nuances du temps.
Elle affrètent la vapeur des
jours et s’en vont.
Il vaut mieux se nourrir
d’abandons que de pulpe qui
surit.
*
La forêt découvre qu’il n’est
pas nécessaire d’être aimée.
Elle sait que l’on peut être
belle sans le faste inquiet
de l’apoplexie.
La douceur de n’être rien pour
personne la dispense des ornements
de la passion.
*
L’arbre entre dans un
sommeil qui le vieillit.
Certes, la feuille lui
revienda, comme un
boomerang.
Mais quel sera, entre-temps,
l’autre appât
pour les ivrognes du réel ?
*
Les jours sont touchés par un
au-delà qui nie les bienfaits
de la matière.
Ils se complaisent dans une
sérénité peureuse.
L’introspection va gagner
les poires.
*
J’entends l’arbre exalter l’économie
de l’expression.
Pendant une saison, il va se
consacrer à parfaire sa
monotonie.
Son silence l’emporte déjà sur
la lutte de l’homme pour le mot
juste.
*
etc…
(Les saisons, Labor, 1988)
septembre 22, 2008 à 12 h 26 min
Vous ne trouvez pas qu’il mériterait d’être un peu mieux connu François Jacqmin ?
(… et que le texte de Verhaeren a des allures japonaises ?)
septembre 22, 2008 à 12 h 29 min
septembre 22, 2008 à 12 h 32 min
Ecrit par Jean-Marie Pelt :
L’automne n’est entré qu’assez récemment dans les subdivisions de l’année. Autrefois, on distinguait la printemps, l’été et l’hiver. Au temps de la vie pastorale, la « belle saison » se terminait avec la rentrée des troupeaux, marquant le brusque passage d’un mode d’existence à un autre, de l’été à l’hiver. L’automne tel que nous le connaissons est lié au développement de l’agriculture ; c’est en effet la saison la plus chargée pour les cultivateurs, avec la fin ds moissons, les vendanges, la récolte des regains et des fruits, enfin l’ensemencement des céréales d’hiver.
***
L’automne a marqué les débuts de l’ère républicaine : le calendrier républicain débuta le premier jour de l’automne 1792, an I de la République. Septembre devenait vendémiaire, octobre brumaire, novembre frimaire. Changement sans conséquences pour les amateurs d’huîtres qui conservaient ainsi leur tradition des mois en « r »…
Ces mois en « r » étaient précédés par les mois en « or » qui couvraient tout l’été, avec messidor pour juin, thermidor pour juillet, fructidor pour août, ce dernier mois évoquant les végétalines qui remplacent aujourd’hui si avantageusement le beurre… Mais le calendrier républicain dura ce que durent les feuilles d’automne : l’espace non point d’un matin, mais de treize ans, autant dire rien dans l’étendue infinie du temps.
(Fleurs, fêtes et sisons, Fayard, 1988)
septembre 22, 2008 à 20 h 00 min
Ecrit par Rudolf Steiner :
Tout entier l’été
A moi s’est donné
L’enchantement des sens s’estompe avec l’automne
Aux révélations de lumière se mêle
Un sourd voile de brume.
A moi-même aujourd’hui je puis appartenir.
L’esprit de l’univers poursuit alors son oeuvre
Des ténèbres de l’âme il fait alors surgir
Le fruit de volonté qui naît du sens du moi.
Mon être naturel vers le sommeil s’incline
Mais il faut que mon âme en ses profondeurs veille
Et veillant qu’elle porte une chaleur solaire
Au sein des flots glacés de la saison d’hiver
Ma vie intérieure à nouveau vivifiée
De mon être je puis mesurer l’étendue
Et consacrer la rayonnante ardeur de la pensée
Puissance de soleil en mon âme enfermée
A résoudre l’énigme de la vie
Donner à maint souhait sa réalisation
Alors que l’espérance déjà pliait les ailes
Cette clarté se fait en nous force et volonté
Et jette son éclat dans la nuit de nos sens
Des instincts de notre âme ainsi elle délie
La force de mûrir en des oeuvres humaines
Les pouvoirs créateurs.
(Le calendrier de l’âme)
septembre 22, 2008 à 20 h 20 min
Ecrit par Christian Laborde :
SEPTEMBRE
Août est out, voici septembre, « le mois le plus tendre, où l’on peut s’étendre bien seul, regardant la plaque des flots et des flaques que les soirées laquent d’argent », note Claude Nougaro, dans Île de Ré, chanson d’avant le pont, les bagnoles hargneuses et les serial killers.
Pau est une île, et septembre est tendre sur son rivage d’ombre retrouvée, de soleil apaisé, de feuilles souples. Fusant des pelouses en pente que le funiculaire gravit, les palmiers offrent leurs têtes ovales au vent sans vigueur. Les palmiers maigres du funiculaire ressemblent à des cotons-tiges et ceux, tout ronds, qui bordent le boulevard des Pyrénées, à des ananas.
Un vent sans vigueur, un bon vent. Dans la bouche qui fabrique les mots avec de l’air, du sang et de la salive, bon vin est le premier voisin de bon vent. Le vent se déguste. Il peut être vif ou fruité. A la terrasse des cafés, il se glisse comme une main sous les chemisiers transparents. Eole est un dieu malicieux.
A Pau, le vent de septembre laisse courir ses doigts sur la nuque des arbres, lissant les feuilles, pareilles à des confettis peu pressés d’atteindre le sol. Que leur chuchote-t-il, ce vent délicieux, semblable à la voix de Norah Jones susurrant Come away with me ? Il leur chuchote, leur répète : « Vous tomberez, vous tomberez ! » Mais la perspective de cette chute ne les effraie guère. Elle s’effectuera dans la douceur et les couleurs. Elles seront de minuscules Deltaplane, des Post-it jaunes ourlés de mauve et de bleu. Nous les foulerons, indifférents, en rejoignant nos bureaux. Peu rancunières, elles craqueront, mettant ainsi un peu de Brésil sous les semelles de nos Mephisto : Pau de Janeiro.
Septembre est le mois le plus tendre. Les écoles devraient demeurer fermées, perdre définitivement leur lourde consonne c. Ecole sans cette consonne devient Eole. La boucle est bouclée : olé !
(Percolenteur, Vingt-trois textes serrés, Panama, 2005)
septembre 22, 2008 à 22 h 32 min
Ecrit par François Jacqmin :
AUTOMNE (suite)
L’aube a la fraîcheur
des faïences.
Les vents brusques auront tôt
fait de ce vase en fibres de
brume.
L’image va se rompre en tessons
d’arbre.
*
La suavité est le patriarche
des poisons.
Son chef d’oeuvre consiste
en un fruit attentivement
mûri.
Elle l’éclaire d’une saveur
qui ouvre les portes tomenteuses
de la mort.
*
Les eaux verdissent.
Les feuilles mortes y meurent
Davantage.
Il leur est fait une sorte
d’apothéose visqueuse.
Les fonds glauques et
malhabiles sont refermés
sur les reflets.
*
La jaune transparence des
capucines est usée.
Trop de veilles solaires
ont épuisé leur provision
de panache.
Il ne reste plus qu’un peu
de safran au fond de leurs
yeux.
*
L’existant est séduction en
soi.
Lorsque le chêne allume son
four, l’apparence atteint
la pureté de l’émail.
En automne, le réel est cette
superbe rousseur que l’on
voit en filigrane entre la
pensée et l’espace.
*
L’eau qui faisait les délices
du printemps et l’abondance de
l’été n’inspire plus le jardin.
On l’évite comme une caresse
marécageuse.
C’est en vain que l’on tente de
réveiller l’excentricité de la
croissance.
*
On a jeté l’ancre de la
tristesse.
On attend sur une mer de
vapeurs songeuses.
Une perle immense et taciturne
roule sur l’horizon.
*
Les premières feuilles tombent
sur les dernières larmes de félicité.
Le soleil sourit encore aux géraniums.
La brume acquiert de la rondeur.
*
Une ivresse dont personne ne
se garde tue le coeur.
Elle l’entraîne dans une demeure
tapissée de feuilles d’or chaud
et de rumex rouillé.
Là règne une infaillible décadence.
La vérité y est inexorable
comme dans l’âme des lâches.
*
Dans le verger se tient un vieillard
dont le visage est éclairé
par le passé.
Il sourit à la pensée d’être
inconsolable.
Les passions d’autrefois lui ont
laissé une impérieuse immobilité.
Il s’enrichit de ses regrets.
*
etc…
(Les saisons, Labor, 1988)
septembre 22, 2008 à 22 h 48 min
« Et puis, surtout, est-elle pour vous plutôt symbole de tristesse ou de sérénité ? »
Symbole de beauté (saison où la nature m’émeut le plus) et de déprime (car en général il fait froid, il pleut et j’aime le chaud, le bleu).
septembre 23, 2008 à 18 h 02 min
Peux-tu préciser un petit peu, Pascale, ce qui t’émeut le plus dans la nature automnale ?
Sa réalisation (les fruits, donc, plutôt que les fleurs) ? Sa mort prochaine (ses derniers souffles de vie) ? Son dénuement ? Autre chose ?
septembre 23, 2008 à 18 h 55 min
La première chose, c’est la lumière, très douce, très belle et les couleurs, une palette extraordinaire de tons chauds en contraste avec le froid du dénuement, celui de la camarde que le déshabillage des arbres me rappellent…
septembre 23, 2008 à 19 h 06 min
Ecrit par Christian Laborde :
L’AUTOMNE
L’automne est une saison sans frime, ni fracas. […]
L’automne est une saison douce parce que son nom commence par « o ». Du « o », Rimbaud dit qu’il est bleu. L’automne est bel et bien une saison bleue, n’en déplaise aux feuilles qui s’efforcent en tombant de prouver qu’il n’en est rien, que d’autres teintes sont en jeu. Sur les toits les tuiles sont bleues, comme les noms sur les boîtes aux lettres. Ce « o » qui met automne au monde revient au milieu du mot. Mais ce retour n’est pas triomphant. Pas de « h » après de « o », aucun étonnement, juste un certain sourire […], un « m », un « n » qui agitent mollement les écailles nacrées de leurs queues.
L’automne est une saison bleue, le soleil cesse de mordre, lève le pied. La lune prend sa place, jetant sur les gouttières son encre orangée. Bleue comme une orange, c’est en automne que la terre l’est.
(Percolenteur, Vingt-trois textes serrés, Panama, 2005)
septembre 23, 2008 à 20 h 32 min
Ecrit par Charles Baudelaire :
CHANT D’AUTOMNE
Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres ;
Adieu, vive clarté de nos étés trop courts !
J’entends déjà tomber avec des chocs funèbres
Le bois retentissant sur le pavé des cours.
Tout l’hiver va rentrer dans mon être : colère,
Haine, frissons, horreur, labeur dur et forcé,
Et, comme le soleil dans son enfer polaire,
Mon coeur ne sera plus qu’un bloc rouge et glacé.
J’écoute en frémissant chaque bûche qui tombe ;
L’échafaud qu’on bâtit n’a pas d’écho plus sourd.
Mon esprit est pareil à la tour qui succombe
Sous les coups du bélier infatigable et lourd.
Il me semble, bercé par ce choc monotone,
Qu’on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.
Pour qui ? — C’était hier l’été ; voici l’automne !
Ce bruit mystérieux sonne comme un départ.
(Les fleurs du mal)
septembre 24, 2008 à 8 h 24 min
Bon… pour l’ami Charles au moins c’est clair : il n’aime pas l’automne !
Mais bon… est-ce surprenant ? Il n’aime pas grand chose, le garçon. On ne peut vraiment pas dire qu’il incarne l’allégresse.
septembre 24, 2008 à 8 h 27 min
Ecrit par Francis Ponge :
LE CYCLE DES SAISONS
Las de s’être contractés tout l’hiver les arbres tout à coup se flattent d’être dupes. Ils ne peuvent plus y tenir : ils lâchent leurs paroles, un flot, un vomissement de vert. Ils tâchent d’aboutir à une feuillaison complète de paroles. Tant pis ! Cela s’ordonnera comme cela pourra ! Mais, en réalité, cela s’ordonne ! Aucune liberté dans la feuillaison… Ils lancent, du moins le croient-ils, n’importe quelles paroles, lancent des tiges pour y suspendre encore des paroles : nos troncs, pensent-ils, sont là pour tout assumer. Ils s’efforcent à se cacher, à se confondre les uns dans les autres. Ils croient pouvoir dire tout, recouvrir entièrement le monde des paroles variées : ils ne disent que « les arbres ». Incapables même de retenir les oiseaux qui repartent d’eux, alors qu’ils se réjouissaient d’avoir produit de si étranges fleurs. Toujours la même feuille, toujours le même mode de dépliement, et la même limite, toujours des feuilles symétriques à elles-mêmes, symétriquement suspendues ! Tente encore une feuille ! — La même ! Encore une autre ! La même ! Rien en somme ne saurait les arrêter que soudain cette remarque : « L’on ne sort pas des arbres par des moyens d’arbres. » Une nouvelle lassitude, et un nouveau retournement moral. « Laissons tout ça jaunir, et tomber. Vienne le taciturne état, le dépouillement, l’AUTOMNE. »
(La parti pris des choses, Gallimard, 1942)
septembre 24, 2008 à 9 h 41 min
Quand les choses meurent — après avoir bien vécu, s’être notamment pleinement accompli en réalisant de beaux fruits assurant la descendance — on peut ressentir en face une profonde sérénité.
C’est ce que nous procure la Nature en automne, il me semble. Une leçon de sagesse, en quelque sorte, incitant à en faire autant de nos vies.
septembre 24, 2008 à 9 h 52 min
Ecrit par François Jacqmin :
AUTOMNE (suite)
La fleur va enfin oublier
la folie qui crée le lendemain.
Elle ignore que mourir est
une autre manière de déguiser
le poids de la vie.
Il est, dans l’air, un mal
héréditaire qui empêche de
détruire ou de partir.
*
Fous d’ennui, les oiseaux s’en
vont comme des jets de fronde.
Mon intention était de partir
aussi, de suivre ce qui
conduit hors de l’être.
Il aurait fallu que je renouvelle
mon art d’abandonner.
*
J’envie rageusement ces frondaisons
pour qui la mort
semble suffire.
*
La feuille jongle avec l’air
et meurt de son art.
Ce qui était vaste devient
intime, c’est-à-dire intolérable.
Le plaisir se fait rare.
Il ne dure guère plus longtemps
que la chute d’un fruit.
*
Jamais absence ne fut autant
visible que dans les entrailles
du peuplier.
Ses branches sont vides de
tout commentaire.
Cette réalité dévitalisée
satisfait un aspect peu connu
des sens.
*
L’arbre savoure l’indescriptible
bonheur de perdre.
Il use de sa dépossession avec
cette précaution colorée qui
fait les bouquets inoubliables.
La joie du vide l’inonde comme
un vin dépouillé de son orgie.
*
Le bleu a perdu le secret
dubleu.
On erre dans l’espace pâle
à la recherche
d’une nuance qui adoucit
l’absence.
On redoute la transparence,
cette furie de l’abîme.
*
Le soleil se lève mourant.
Il s’appuie sur un coussin
de fougères et prononce
une phrase, un apophtegme
doré où l’intention est
colossale, mais la signification
diffuse.
Il se souvient à peine du
monde.
*
Rien n’est irrémédiable,
semble-t-il.
Pourtant, on aspire à
l’éternité une dernière
fois.
Tout est devenu très discret.
*
Le brouillard commence
à danser.
C’est une légèreté qui prend
corps pour dissimuler le passage
de la matière à l’invisible.
Nul encore ne dramatise.
*
etc…
(Les saisons, Labor, 1988)
septembre 24, 2008 à 10 h 06 min
Ecrit par Raymond Queneau
OCTOBRE, NOVEMBRE
Dans l’automne rougeâtre
pend une poire à l’espalier
il commence à faire frais le soir
c’est la rentrée des écoliers
il tombe des feuilles mortes
on chantonne mélancolique-
ment en balayant devant sa porte
on dirait même qu’il va pleuvoir
les hirondelles volent rase-mottes
de plus en plus de feuilles mortes
les dernières fleurs se sont éteintes
la poire prend brune teinte
puis elle choit non cueillie
poire blette poire pourrie
elle devient un peu de boue
les feuilles mortes couvrent tout
l’automne rougeâtre s’incline
devant la menace du temps
il fait doucement ses valises
doucement tout doucement
(Battre la campagne, Gallimard, 1968)
septembre 24, 2008 à 13 h 55 min
Ecrit par Anna de Noailles :
OCTOBRE ET SON ODEUR…
Octobre, et son odeur de vent, de brou de noix,
D’herbage, de fumée et de froides châtaignes,
Répand comme un torrent l’alerte désarroi
Du feuillage arraché et de sfleurs qui s’étaignent.
Dans l’éther frais et pur, et clair comme un couteau
Le soleil romanesque en hésitant arrive,
Et sa paille dorée est comme un clair chapeau
Dont les bords lumineux s’inclinent sur la rive…
— Automne, quelle est donc votre séduction ?
Pourquoi, plus que l’été, engagez-vous à vivre ?
Bacchante aux froides mains, de quelle région
Rapportez-vous la pomme au goût d’ambre et de givre ?
Dans votre air épuré, argentin, élagué,
On entend bourdonner une dernière abeille.
Le soleil, étourtdi et déjà fatigué,
Ne s’assied qu’un instant à l’ombre de la treille ;
Les rosiers, emmêlés aux rayons blancs du jour,
Les dahlias, voilés de gouttes d’eau pesantes,
Sont encore encerclés de guêpes bruissantes,
Maisla rouille du temps les gagne tour à tour.
(…)
septembre 24, 2008 à 20 h 30 min
La vie s’en va
Le courant cesse
L’eau s’évapore
Tout se dessèche
Le vert meurt
Faute de bleu
Reste le jaune
Reste le feu
Qui tourne au rouge
Au rouge sang
C’est la colère
De la matière
Atisée par le vent.
Tout se dessèche
L’eau s’évapore
Rentre chez elle
— Mission accomplie —
Mais par pitié
Fait un effort
Revient encore
Retombe en pluie
Et tente d’éteindre
Cet incendie
Bientôt
Il n’y aura plus que des cendres
Et l’eau
La vie, sauraont se faire atendre.
septembre 24, 2008 à 20 h 39 min
Ecrit par Eugène Guillevic :
PARFOIS, L’AUTOMNE
L’automne
Vient sur la plaine
Comme une bougie
Qui monterait du plancher.
*
Derrière de tendres couleurs
L’automne couve sa violence
Qui fait tomber les feuilles
Et grumeler l’espace.
*
L’automne est un félin
Qui fait patte de velours.
*
L’automne invente
Une autre transparence,
Celle d’une eau dormante
Qui va s’ébrouer.
*
Qu’est-ce qui arriverait
Si l’été
Tombait à pic
Dans l’hiver ?
*
N’ayez pas peur
Susurre l’automne,
Ce n’est que pour batifoler.
*
Parfois l’automne
Ne fait que jouer à la poupée,
Chante une berceuse
Pendant qu’en catimini
Monte le froid.
*
L’automne
Se débarrasse de son poids
Sur l’été,
Sur l’hiver.
(Relier, Gallimard, 2007)
septembre 24, 2008 à 20 h 52 min
Ecrit par François Jacqmin :
AUTOMNE (suite… et fin)
La rose n’attend plus rien
de son époque.
Les amants ne hantent plus
les lieux suscités
par son parfum.
Son infini est sans force.
La passion de la mort est
sans analogue chez ceux qui
ont aimé.
*
A la fin, l’arbre se ravise
et s’oriente au-delà des
couleurs.
Il voit que le ciel cesse
de nacrer le monde.
Il tend désormais vers
des certitudes sans prisme
ni formule.
*
Le soleil est las tel un violoniste
vieilli.
Sa chanterelle est pulpeuse.
L’instrument n’a plus cette
glotte de feu aigu qui embrasait
le taillis de l’ouïe.
D’ici peu, on sera réduit à
la gamme des gouttières.
*
La fleur s’attendait à
l’éternité.
Ce n’est plus qu’un moment
de couleur qui
s’amincit.
On lui demande de faire
épanouir un paradoxe :
vivre et témoigner de la
mort.
*
La nostalgie est l’enluminure
d’une existence qui ne fut
jamais vécue.
Celui qui contemple le désert
pourpre que laisse l’automne
baigne dans une clarté analogue.
Il est une teinte qui sied à
ceux qui aspirent à souffrir de
l’immensité.
*
La saison est réduite à un
jeu de lustre.
Le pigment dégradé flatte
l’impéritie des arbres.
Il y a complaisance à vouloir
décrire et affiner ce
qui meurt.
*
Le ciel s’éteint.
L’argument selon lequel on
peut vivre sans lumière
gagne du crédit, mais devient
douloureux.
Les lueurs qui résistent
avivent la fougère en pure
perte.
*
La fin se met à vivre.
On perçoit son souffle
dans le silence des
oiseaux.
On se donne à la fougue
naissante de la ruine.
L’arbre le plus frustre
est gagné par la distinction
déraisonnable du vide.
*
La beauté était une cruauté
remise à neuf.
La chair était un habit
rapiécé de framboises.
L’automne connaît sa
première déception.
*
La marche arme le bras de la
contemplation.
Dans les feuilles, mes pas
fomentent un fin ravage.
Je goûte ces aigres
applaudissements.
Ils m’accompanent durant
l’interminable saison du
reste de la vie.
(Les saisons, Labo, 1988)
septembre 25, 2008 à 12 h 19 min
Ecrit par Emile Verhaeren :
OCTOBRE
Dans les forêts qui s’étiolent
mille folles et babilardes folioles,
langues jaunes, jonchent le gazon vert :
l’été s’est tu, les brouillards l’ont couvert.
Par la dernière porte
qui bâillait claire entre deux nues
ses feux éteints et sans escorte,
l’été s’en est allé.
L’été s’en est allé vers l’aventure ;
et l’automne s’en est venue,
lourde de pourriture,
avec des oiseaux morts pendus à sa ceinture.
Automne ! automne !
Un âcre odeur sort du fourré
où le gibier s’assemble et s’est terré ;
Automne mûre ! automne lasse !
Un odeur fauve, une odeur grasse
circule au bois dès que tu passes.
Ecume et or, soie et velours ;
voici chevaux et cavaliers
battant les champs et les halliers
de galops lourds ;
voici venir leur rythmique tonnerre
et retentir l’écho et haleter la terre
et, comme un gong, vibrer et gronder l’air.
La chasse passe et c’est l’éclair :
et les feuilles, comme arrachées
et cravachées
par l’ouragan des chevauchées,
volent, en tourbillons
d’ailes mortes et de haillons :
c’est l’automne, l’automne ardente et enivrée,
les mains rouges de venaisons ;
l’automne molle et saturée
du sang qui coule aux horizons.
En bas, dans la vallée, auprès des eaux tranquilles,
fours et granges restent blottis ;
petits clochers et villages petits
en jeux de quilles.
Chaumes pauvres et pauvres gens,
frileux de vie et sans argent,
que l’automne en leur misère enlise,
et qui fêtent la Toussaint grise
et l’Octave des trépassés,
avec le vieux bourdon cassé
de leur église.
Automne ! Automne !
la chasse passe et c’est l’éclair.
En des buissons foulés et des mares pourries
saignent toutes les fleurs de la tuerie ;
la chasse passe et passe
pendue aux crins des étalons cabrés ;
la chasse roule et vole et puis bondit
avec des heurts, avec des cris,
en galops fous, vers l’incendie
rouge et fumant de la curée.
Dans la clairière, où résine et poix
allument un décor pourpre sous les ramures,
la bête meurt. Mais les gueules des chiens pantois
saignent autant que ses blessures ;
avec de grands frissons, son corps
en vain s’efforce à secouer la mort ;
sa langue bleue entre les dents se serre,
ses yeux fanés meurent, sous leurs paupières,
loin du soleil ;
le couteau luit, fixe et vermeil,
comme un arrêt planté dans la gorge fendue ;
en un dernier tressaut, le cou raidit
et puis s’affaisse, et puis s’abat, sans qu’un seul cri
émeuve encor les doux échos de l’étendue.
Et les cloches sonnent là-bas,
dans le village en deuil, leur glas ;
les cloches sonnent et sonnent
pour les défunts et pour l’automne,
les cloches sonnent,
avec leurs sons longs et discords
et sur les deuils et sur les fêtes,
et sur les gens et sur les bêtes,
et sur la vie et sur la mort.
(Les douze mois)
septembre 25, 2008 à 18 h 13 min
De Charles Baudelaire (pour conforter Vincent)
L’ENNEMI
Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage,
Traversé çà et là par de brillants soleils;
Le tonnerre et la pluie ont fait de tels ravages,
Qu’il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils?
Voilà que j’ai touché l’automne des idées,
Et qu’il faut employer la pelle et les râteaux
Pour rassembler à neuf les terres inondées,
Où l’eau creuse des trous grands comme des tombeaux.
Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve
Trouveront dans ce sol lavé comme une grève
Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ?
Ô douleur ! Ô douleur ! Le temps mange la vie,
Et l’obscur Ennemi qui nous ronge le cœur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie !
septembre 25, 2008 à 21 h 23 min
Ecrit par Christian Bobin :
L’automne est une saison tranquille. De la tolérance partout. La vie et la mort en bonne entente, bras dessus, bras dessous. Du rouge avec de l’ombre, du vert avec du gris.
(Tout le monde est occupé, Mercure de France, 1999)
septembre 27, 2008 à 8 h 22 min
Il languit, il soupire,
Il frémit, il frissonne
Mais il dit à celui
Qui passait en silence
Sous le faîte des grands arbres:
« Je suis la voix de l’ombre
Qu’un instant de lumière
Entrevue par hasard
A l’orée du grand bois,
A fait naître au désir
D’oublier cette nuit
Où mon âme désolée
Se languit, solitaire »
Et l’autre de répondre:
« Que sais-tu de ce jour
Qui t’invite sans détour ?
Connais-tu cet été
A la grâce suave
Dont nul ne conteste
La puissance souveraine ?
Ton monde ignore le sien
Et lui-même ne sait rien
De la profonde nuit
Qui nourrit ta tristesse.
Retourne dans ton antre
Sinistre et oublie donc
Cette triste chimère !
De rage et de dépit
L’ombre s’en retourna
Vers son amer destin;
Mais non sans toutefois
Laisser un peu de nuit
Se glisser furtivement,
Attirant peu à peu
Le jour si sûr de lui
Vers ce gouffre profond
D’une nuit sans répit
Que le cruel hiver
Tisse implacablement.
Le feu de sa colère
Ravageant sournoisement
La forêt incrédule
Il ne vit pourtant pas
Le bel été si fier,
Saisir avec panache
Un peu de sa fureur
Pour offrir à ses hôtes
La vision éblouie
D’une fête de couleurs
Comme ultime offrande
D’un tout dernier adieu.
septembre 27, 2008 à 23 h 04 min
Ecrit par Pascal Quignard :
A l’automne on met au rancard le chapeau de paille et les chemisettes d’été. On range au fond de l’armoire les méduses pour aller aux écrevisses. On remise au garage les crochets pour tirer les crabes des crevasses.
*
Cacher répond à une spontanéité énigmatique temporelle. A l’automne l’écureuil enfouit des graines ou des glands dans la terre trempée de pluie. Il monte à l’arbre, cueille la noix, redescend sur le sol, cherche le pied d’un arbre ou la trace d’un repère, creuse un trou, y dépose la noix, l’enfonce dans la terre en s’aidant du museau, rebouche le trou en s’aidant des pattes antérieures, achève son rite d’automne en piétinant son trésor — trésor dissimulé qui anticipe un froid qui n’est pas encore survenu.
Les écureuils qui constituent des réserves afin de survivre oublient l’emplacement de leur trésor. Ils n’oublient jamais la compulsion d’amasser.
(Sordidissimes, Grasset, 2005)
octobre 4, 2008 à 17 h 10 min
Ecrit par Maurice Coyaud :
AUTOMNE
[…] Saison triste : tout fuit ; les moindres bêtises appellent à de fort métaphysiques méditations, dont il n’y a pas grand chose à dire. Issa nous montre un chat essayant d’attraper des feuilles mortes qui voltigent. Oemaru nous dit simplement, d’un air à peine pensif : « J’ai rencontré la vache que j’avais vendue l’an dernier. » Des êtres inquiétants hantent les chemins…
Dans le champ près du portail
Agaçant le chat
Les feuilles mortes
Issa
J’ai rencontré la vache
Que j’avais vendue l’an dernier
Vent d’automne
Oemaru
L’automne est bien là
Ce qui me le fit comprendre
C’est l’éternuement
Buson
Soir d’automne
Au Jizô du carrefour
La bougie offerte
Buson
Froidure d’automne
Oh ! l’éclair de ces yeux !
Masque de démonne
Shiki
(Fourmis sans ombre, Le livre du haïku, Anthologie-promenade, Phébus, 1978)
octobre 4, 2008 à 19 h 28 min
Réalisé par Andy Goldsworthy :
octobre 5, 2008 à 21 h 50 min
Pour un peu mieux connaître le travail d’Andy Goldsworthy, ce petit film de 4 minutes sur ses « travaux d’automne » :
http://video.google.com/videoplay?docid=-288023216970768712&ei=9xzpSLqlDKf22gK81_WnCw&q=andy+goldsworthy
octobre 5, 2008 à 22 h 07 min
Ecrit par Malcolm de Chazal :
Feuilles d’automne qui tombent et dansent dans le vent marient la danse des genoux des sorciers nègres au roulement de hanches des houris, allient le ballet de jambes des sylphes de l’Opéra à la danse de la tête des prêtres hindous. Il n’est rien qui nous fasse autant danser le cerveau dans tous les sens comme la vue des feuilles qui tombent. Par effet superhypnotique, ceux qui longuement fixent les feuilles qui tombent et leurs mouvements totaux de danse oublient bien vite la vie elle-même, et, sous un effet de réincarnation inextricable, se sentent peu à peu comme si eux-mêmes étaient devenus feuilles, tel Narcisse s’oubliant au point de se croire l’eau qu’il contemple.
*
L’automne, c’est toutes les saisons en palimpseste.
(Sens plastique, Gallimard, 1947)
octobre 6, 2008 à 19 h 36 min
Parle nous un peu plus de ce plasticien qui semble attirer ton attention, et aussi de l’intérêt qu’il suscite chez toi, Vincent.
octobre 7, 2008 à 8 h 03 min
Bonne question :
A ce que j’en sais, Andy Goldsworthy est — avec notamment Nils Udo — une des figures majeures (je veux dire par là simplement « célèbres » notamment par ses ouvrages et les reportages qu’il a suscités) de ce qu’on appelle le Land Art, ce « mouvement » artistique qui se caractérise — en gros — par l’installation éphémère, en plein air et avec des éléments naturels.
Ces trois éléments attirent (sans que je sache trop pourquoi) mon attention, ainsi que les réalisations concrètes notamment de cet artiste qui non seulement est un des rares qui me donne envie d’acheter un « livre d’art » mais qui — surtout — me stimule au point de m’inciter à tenter d’en faire autant (aussi bien « pour moi » qu’avec mes élèves).
Peut-être est-ce la forme d’humilité de cette pratique artistique (toute relative… et discutable, évidemment) qui me plaît bien.
octobre 7, 2008 à 12 h 51 min
Ecrit par Mario Mercier :
Impressions d’octobre
Octobre ! Ce nom sonne comme un heurtoir à la porte déjà entrouverte de l’automne. La forêt fait une beauté de son déclin. Le peuple des feuilles se change en une monnaie de couleurs qui prend une valeur inoubliable pour les yeux du promeneur. Sur elles chuchotent mes pas.
Je marche,le coeur touché par un accent de tristesse. Mon bel Eté s’est envolé ! Pour le retrouver, l’année prochaine, et m’asseoir à sa Table de Fête, il faudra encore que je rompe une part de mon pain de vie.
L’automne ! C’est le temps des fumées des herbes que l’on brûle, des devoirs à rendre au monde. Tous les rêves s’intériorisent, c’est le temps de la réflexion. La lumière change de langage. L’automne ! C’est aussi le temps de la traque de ces bêtes dites sauvages que des-hommes-qui-n’ont-pas-faim vont tuer sans pitié.
[…] Les fougères ont pris des teintes de paille. Cà et là émergent des champignons : gnomes immobiles et songeurs.
L’espace est strié de veines d’humidité. Les ornières fument. Des escouades d’oiseaux migrateurs passent dans le ciel chargé de nuages lourds. S’obstinent encore quelques geais et merles. Une buse décrit au-dessus d’une clairière des ronds de froid. L’été s’est endormi avec sa réserve de soleil dans la terre.
Et pourtant qu’elle est belle cette saison ! Quelle richesse pour le fou de couleurs que je suis ! L’automne c’est de l’enfance rêvée à volonté.
Et je marche, je marche toujours. Suis-je le dernier pélerin de cette forêt ? Un pélerin qui a pour viatique toutes ses odeurs. Mes pieds et mes pensées sont chaussés de feuilles mortes.
Par ses ultimes sursauts de magie l’automne a le pouvoir de nous rendre plus présents dans le paysage. Et pourtant je ne suis qu’une silhouette sombre qui passe, tant le sujet que je suis est estompé par tout cet enchantement de couleurs…
Octobre ! Que de secrets à vivre au creux de soi-même !…
(Soleil d’arbre, Albin Michel, 1991)
octobre 9, 2008 à 18 h 47 min
Ecrit par Mario Rigoni Stern :
Fin septembre, les premières pluies lavent les scories de l’été, et le moindre brin d’herbe, le moindre rameau porte sa perle. Les cerfs et les chevreuils, immobiles dans la forêt, reçoivent avec plaisir cette pluie qui les lave et les débarrasse des insectes ailés si agaçants. Nous autres humains éprouvons aussi l’agréable libération d’aller sous la pluie, munis de bottes et d’une cape imperméable, vagabonder sans but : on rencontre, aussi surpris que nous, un écureuil qui nous fixe du haut de sa branche, ou les yeux d’un rouge-gorge immobile dans un buisson d’églantines chargé de baies rouges.
Vos pas se confondent avec le bruit des gouttes tombant sur les arbres et dans le sous-bois, où la résonance se fait plus forte. Par ce temps, les probabilités sont plus grandes d’approcher et de surprendre les animaux peu familiers avec l’homme ou qui le craignent par expérience. Comme le mythique grand tétras, ou le faisan de montagne qui, pour ne pas mouiller ses plumes — ce qui rend son envol pénible –, préfère aller sur ses pattes chercher sa pâture le long des sentiers ; il peut donc vous arriver de les voir marcher devant vous. Arrêtez-vous ; ne leur faites pas peur : laissez-les aller et pensez combien la sonnerie du téléphone vous agace au milieu d’un repas. Si vous surprenez un cerf ou un chevreuil, gardez-vous aussi de leur faire peur : ne bougez pas, et admirez-les ; après avoir poussé leur cri d’alarme, qui vous aura tant impressionné, ce sont eux qui s’éloigneront.
Pendant le déroulement des saisons, la nature peut enseigner tant de choses à ceux qui observent bien ! Mais c’est en automne que la forêt laisse lire en elle avec le plus de clarté la croissance annuelle des abres, la maturation des fruits et des drupes dans les sous-bois et, à l’occasion, les vilaines traces du passage d’hommes incivils.
[…] C’est la période où la forêt est magique, par ses silences, ses aubes brumeuses, ses couleurs qui s’estompent en une multitude de tons vert-brun-jaune que révèle par moments une lumière mystérieuse dans le sous-bois pré-hivernal. Parfois, on s’arrête pour écouter la clochette, et puis le trottinement du chien d’un chasseur solitaire qui passe, s’éloigne, et disparaît dans la forêt.
Parmi les différentes manières possibles de chasser, la chasse en automne — accompagnée de la pluie, et d’unchien, dans des endroits que l’on connaît bien, avec un fusil perçu comme le prolongement de soi, à une certaine heure dans la saison, quand les souvenirs vous reviennent — vous fait intensément participer à un monde que vous sentez exclusivemet vôtre. Il vous aide, alors, à comprendre les saisons de votre vie, que personne, jamais, ne pourra vous ôter.
(Saisons, La fosse aux ours, 2008)
octobre 10, 2008 à 13 h 05 min
Ecrit par Jean-Marie Pelt :
La quantité de chlorophylle présente dans une feuille est directement liée à la quantité de lumière qu’elle reçoit. En automne, précisément, celle-ci diminue en même temps que fléchit la longueur des jours. Les chlorophylles s’effacent alors, tandis que s’affirme dans un superbe (mais passager) flamboiement du feuillage la présence des xanthophylles jaunes et des carotènes rouges, en proportion variables salon les espèces et le degré d’avancement de la saison.
En même temps se forme sur le pétiole des feuilles ou le pédoncule des fruits une zone qui va jouer un rôle décisif dans le devenir des uns et des autres : la zone d’abscission. Dans cette zone peu épaisse, des cellules se différencient et recouvrent leurs parois de suber, c’est-à-dire de liège ; rigides et mal soudées les unes aux autres, elles créent une zone de fragilité, de sorte qu’au moindre souffle d’air, le pétiole se brise, entraînant la chute de la feuille.
La formation de cette zone d’abscission est retardée par la présence dans les feuilles, en quantité substantielle, de la plus importante des hormones végétales : l’auxine. Cette hormone, qui joue un rôle moteur dans la croissance des plantes, présente une structure chimique apparentée aux hormones du système nerveux central de l’homme et des animaux, en particulier du cerveau. Elle dérive en effet de la précieuse molécule de tryptophane, matériau de base pour la synthèse de très nombreuses molécules biologiques, en particulier de ces subtsances aberrantes produites par les végétaux et qui agissent intensément sur le cerveau comme drogues ou médicaments : la psylocybine des champignons hallucinogènes mexicains, le terrible L.S.D., les précieux alcaloïdes de l’ergot de seigle ou des pervenches appartiennent à ce groupe. Etrange corrélation chimique entre règnes végétal et animal !
On sait aujourd’hui que la diminution de la teneur en auxine de la feuille est consécutive au raccourcisseent des jours. Cette chute hormonale déclenche donc à son tour la formation et l’entrée en activité de la zone abscissique, qui aboutira à la chute des feuilles. On le voit d’ailleurs en milieu urbain, en observant le fréquent retard de la défoliation à proximité immédiate des lampadaires de l’éclairage public : les branches proches d’un puissant réverbère se défolient souvent plus tardivement que les autres, car leurs feuilles conervent plus longtemps une teneur non négligeable en auxine. A l’inverse, l’abscission est fortement activée par un gaz banal, l’éthylène, dont le taux s’élève dans la feuille vieillissante au fur et à mesure que s’abaisse le taux d’auxine. L’éthylène inhibe les divisions cellulaires dans la zone d’abscission et stimule la synthèse d’enzymes qui accélèrent le vieillissement des cellules et leur désagrégation.
Ce qui est vrai pour les feuilles l’est pour les fruits. On savait depuis le début des années 30 que des vapeurs d’éthylène favorisaient la maturation des fruits ; on ne s’aperçut que beaucoup plus tard que les fruits eux-mêmes dégagent des quantités impressionnantes d’éthylène au cours de leur maturation (à l’exception toutefois des agrumes). D’où l’explication fournie à un phénomène jusqu’alors inexplicable : des pommes en train de mûrir hâtent la maturation de bananes placées à leur voisinage ; en abaissant la température et en jouant sur l’aération, on parvient à réguler la diffusion de l’éthylène, donc la maturation collective de ces fruits.
(Fleurs, fêtes et saisons, Fayard, 1988)
octobre 19, 2008 à 11 h 22 min
Comme en témoigne
Ce ciel qui gronde
La belle blonde
S’essouffe, s’éloigne.
Elle se retire
A tout donné
Parfois
Entre deux nuages qui se déchirent
On voit
Encore sa chevelure vive traîner.
Ouf ! Le foisonnement s’est calmé
Le grand spectacle est terminé
Le lourd rideau rouge se referme
Les acteurs ôtent leurs costumes devenus ternes.
Derrière les troncs couverts de mousse
On sent monter
Comme une marée
La grande rousse
Elle bout marron
A gros bouillon
Dans les sillons
Et donne ses pluies dans un baiser
A la terre
Pour consoler
Celle qui s’enfonce dans l’hiver.
Notre oeil entend
Le rougissement
Le rugissement
De celle qui
Crinière au vent
Pousse un ultime soupir.
octobre 28, 2008 à 16 h 23 min
La nuit a rattrapé le jour, aujourd’hui : on bascule pour 6 mois dans le monde obscur !
septembre 23, 2010 à 12 h 16 min
Vous avez pas l’électricité en Franche-Comté ? 🙂
septembre 23, 2010 à 14 h 37 min
Pas à tous les étages, non tu as raison ! 😉
septembre 23, 2010 à 17 h 29 min
Ben nous, en Picardie, on en a juste dans la cave, pour ne pas marcher sur les araignées… et encore il faut pédaler pour que ça fonctionne. Mais on s’y fait. D’ailleurs ça ne me gêne pas plus que ça de faire de l’ordinateur à la cave en pédalant en même temps, ça fait un peu d’exercice physique, finalement. J’en parlais justement à mon voisin néanderthal tout fraichement installé. Il était tout à fait d’accord avec moi.
septembre 23, 2010 à 21 h 41 min
Salut Isidore 🙂
septembre 24, 2010 à 13 h 26 min
Salut, Jacques, ravi de te retrouver par là. Il paraît qu’on aurait pu se rencontrer à la Petite Échelle ? Dommage que ce ne put se faire. Une autre fois sans doute.
septembre 24, 2010 à 15 h 16 min
En effet, il ne s’en est pas fallu de beaucoup…
septembre 24, 2010 à 15 h 49 min
Ecrit par Eric Chevillard :
Ah ! l’automne déjà, les infusions de feuilles mortes dans les flaques – au nez la goutte qui fera déborder cette vase –, le crépuscule dès l’aube, la doublure criblée de pluie de l’imperméable, puis les premières neiges sitôt sales, la ville tout entière enclose dans le marché de Noël, le chapon en castrat du Vatican, puis le bourgeon abominablement poisseux du marronnier, l’atroce naissance du papillon, l’oisillon globuleux sous le suaire de sa paupière, puis encore le soleil fixe sur nos crânes, la soif insatiable, l’air rare dans la poussière… décidément, je n’aime pas cette saison.
(1015, http://l-autofictif.over-blog.com/, 28/09/10)
septembre 28, 2010 à 7 h 27 min