"Aux explorateurs de l’inconnu qui aiment apprendre en faisant un pas en arrière sur le chemin des ancêtres." Pascale Arguedas

Sous les pavés… la sieste

Je me demande si le plus grand luxe ici-bas, mais surtout la plus grande résistance (subversion ?) à cette Modernité progressiste — qui vise toujours implicitement à « travailler plus pour gagner plus » — n’est pas tout simplement la paresse.

Ralentir le pas, donc, plutôt que sans cesse l’accélérer, contempler les choses, prendre le temps de les apprécier, au lieu de vouloir toujours a priori les transformer, bref s’abandonner au monde plutôt que de suivre l’injonction de Descartes et vouloir se rendre « comme maître et possesseur de la nature ».

Quelque chose me dit d’ailleurs que nos ancêtres « préhistos » devaient savoir à merveille se prélasser et préférer la douce rêverie (plus ou moins provoquée par l’usage de plantes adaptées), le mélange subtil de songe et de conscience de veille, plutôt que la rationalité lucide et volontaire qu’on valorise exclusivement aujourd’hui.

110 Réponses

  1. Vincent

    Se laisser même aller à une certaine bêtise (saine et « naturelle »), plutôt que de se vouloir (toujours un peu artificiellement) plus intelligent et moral que le monde.

    juin 1, 2008 à 9 h 50 min

  2. Ourko

    Là, pour ça, on avait remarqué que t’étais doué, Vincent !

    juin 1, 2008 à 10 h 24 min

  3. 120

    Ecrit par Robert Sabatier :

    « Je vais exécuter la statue de la Paresse ! » annonça le sculpteur. Et il s’endormit.

    *

    Que la paresse soit un des sept péchés capitaux nous fait douter des six autres.

    *

    La véritable motivation du travail est le repos.

    *

    Souvent, nous ne travaillons que par paresse d’imaginer autre chose.

    *

    La fête du Travail fut créée parce qu’on n’osait pas fêter la repos.

    *

    Ce qui gêne dans la bonne volonté, c’est qu’on se croit tenu d’en faire preuve.

    *

    Il existe pire que les incapables : ce sont les gens capables de tout.

    *

    La paresse a cette vertu d’empêcher bien des crimes.

    *

    Il faut se méfier des faibles. Ils sont redoutables. Pour se donner l’illusion de la force.

    *

    Il faut cultiver la distraction, cette présence d’esprit.

    *

    etc…

    (Le livre de la déraison souriante, Albin Michel, 1991)

    juin 1, 2008 à 11 h 50 min

  4. 120

    Ecrit par Jules Renard :

    « Paresse : habitude prise de se reposer avant la fatigue. »

    juin 1, 2008 à 11 h 57 min

  5. Vincent

    Les aphorismes, la pensée en fragments, éclatée, le patchwork baroque de citations singulières, etc. plutôt que le système idéologique solidement bâti.

    juin 1, 2008 à 12 h 00 min

  6. 120

    Ecrit par Daniel Herrero :

    La sieste

    Le repas de midi s’achève, et malgré le parasol sur la table, il fait encore très chaud. C’est l’été. On est repu. La dicussion s’éternise, avec son lot de nouvelles et de fermes opinions, mais on en perd peu à peu le fil. Passé le café et un dernier verre de rosé, la vigilance baisse, l’attention faiblit. Il ne sert plus à rien de prendre la parole. La dégringolade en apathie est entamée, l’oeil droit se ferme pour se rouvrir aussitôt… seulement à moitié. C’est vraiment l’heure.

    On se lève de sa chaise et on disparaît discrètement pendant que les autres s’agitent pour débarrasser la table. On va chercher un coin frais à l’intérieur de la maison. La radassière garnie de coussins moelleux fera parfaitement l’affaire. Là, il ne faut surtout pas bâcler son installation. La tête se cale entre deux gros coussins, les jambes s’allogent confortablement, et puis plus rien en bouge. La revue restée ouverte à la première page glisse par terre.

    On s’abandonne à ce sommeil délicieux qu’est la sieste, ce repos purement épicurien puisque, à la différence de la nuit, il n’est pas vital. Pendant un instant, on culpabilise d’avoir chapardé ce moment, et puis la mauvaise conscience est bien vite remplacée par le plaisir d’écouter son corps, de le laisser à sa guise reprendre un rythme animal. A cet instant, la culture du rendement s’incline devant la nature. La panse est pleine, le soleil haut, qu’y a-t-il de plus naturel qu’un petit somme en de pareilles circosntances ? On entend au loin, de plus en plus loin, les enfants qui jouent sur la terrasse, le chant des cigales… On est le lion avachi dans la savane, oisif et fier de l’être. C’est bon !

    Le générique niais des Feux de l’amour signale que la grand-mère s’est retirée à son tour dans la fraîcheur du salon pour soi-disant tricoter. Installée dans « son » fauteuil, la tête inclinée en arrière, elle dort en fait à poings fermés, la bouche entrouverte en « gobe-mouches », la respiration éraillée et le visage détendu. Le chien, qui vit dans l’ombre maigrichonne de sa maîtresse, rêve à ses pieds, le ventre à l’air, les oreilles agitées de petits soubresauts incontrôlés.

    De retour de l’établi ou du jardin, le grand-père bourru traverse la pièce en marcel, éteint la télévision en maugréant et traîne ses savates derrière le rideau de perles en plastique pour finalement regagner son lit. L’habitude lui vient de l’arsenal où, pendant trente ans, les ouvriers allaient s’assoupir dans la cale des bateaux après le casse-croûte du midi, et cela jusqu’à la pause-café.

    Dehors, le jardin est étrangement calme à présent. Quelques mouches picorent le dépôt de sucre au fond des tasses à café, la jolie belle-soeur se fait dorer les fesses sur la pelouse et, derrière les lavandes, à l’ombre du grand pin, son mari a déployé une fine couverture sur un matelas d’aiguilles au parfum de résine. C’est là sa place et il aime s’y allonger pour, dit-il, « réfléchir ». Ses ronflements résonnent dans tout le périmètre.

    Si quelqu’un venait à cet instant sonner à la porte, il devrait probablement insister longuement avant de sortir la maisonnée de sa torpeur. L’hypothèse est toutefois hautement improbable, les gens du Sud respectent trop al sieste.

    (Perds pas le sud, Plon, 2006)

    juin 1, 2008 à 13 h 02 min

  7. Ourko

    Moi aussi, j’aurais des trucs à dire sur le sujet, mais… j’ai la flemme !

    juin 1, 2008 à 13 h 03 min

  8. Isidore

    Faire l’apologie de la sieste, n’est-ce pas aussi une autre façon de se ré approprier le temps personnel, ce temps ouvert et extensible qui flirte avec l’ennui autant qu’avec le vaste sentiment océanique; ce temps subversif, cauchemar des forcenés de la gestion utilitariste de l’existence (mes plus féroces ennemis) et des horlogers suisses ?… Tiens, pour y méditer, je vais m’offrir un p’tit roupillon dans le jardin, bercé par le chant des merles…

    juin 1, 2008 à 18 h 53 min

  9. Vous me direz qu’à 18h53 il est vraiment temps d’y songer… Mais bon, la sieste c’est comme le bon vin, ça se déguste chambré…. (On croirait du Bardamu: juste la bonne dose de sibyllin)

    juin 1, 2008 à 18 h 59 min

  10. 120

    Ecrit par Denis Grozdanovitch :

    Dans ses Nuits de Paris, Restif de La Bretonne invective cette engeance d’inactifs, apparemment plus nombreuse à son époque qu’à la nôtre et qu’il nomme les « tueurs de temps ». Il décrit longuement ce qu’il considère comme leur déchéance et leur prescrit le travail en tant que roboratif, en tant qu’antidote à ce qu’il croit être leur mal de vivre. Cela dit, Restif, qui avait, soulignons-le, pas mal de raisons de prêcher la morale conventionnelle afin de faire oublier sa conduite libertine, n’aurait certainement pas pu imaginer, au temps de la Révolution française à laquelle il assista en spectateur et qu’il nous a décrite, que viendrait jamais une époque semblable à la nôtre ; une époque où, comme le dit excellement Julien Gracq (quelque part dans ses Lettrines), il y aurait tant de bras et de volontés tendus vers le bouleversement et la transformation du monde, et si peu de regards pour sa simple contemplation, qu’on en arriverait à décréter quelque chose comme « l’emminente dignité des paresseux ».

    Restif aurait-il d’ailleurs réagi comme il le fait, lui, le « flâneur des deux rives », s’il avait jamais pu prévoir ce que signifierait un jour l’industrialisation à outrance, la standardisation et l’uniformisation du travail, des moeurs et des consiences ?

    Et qui donc à son époque aurait pu prévoir que cette fameuse Révolution française aurait pour effet ultérieur de renforcer les valeurs qu’elle avait voulu combattre ? Qui donc aurait prédit la réapparition des souffrances rédemptrices chères à la chrétienté sous la forme du Travail élevé au rang de dogme intangible ? que ce travail lui-même, accéléré et propagé, point du tout diminué par les machines, connaîtrait une telle expansion, une telle vitesse incontrôlée, qu’il en deviendrait stérile, voire dangereux pour l’humanité ? que cette surproductivité développerait une agitation tellement privée de sens qu’une majorité d’hommes ne feraient plus, sous prétexte de travailler, que de sacrifier la plupart des heures de leur vie à un ennui annihilant et en échange de biens matériels de plus en plus douteux ? que la consommation de ces biens matériels surmultipliés deviendrait elle-même une sorte de tavail quasi obligatoire ? qu’enfin donc, la résistance consciente ou inconsciente à cet engrenage commencerait à devenir presque héroïque, ascétique — qu’au sens où Restif l’avait entendu à son époque ce seraient justement, par un extraordinaire renversement, les honnêtes travailleurs qui se transformeraient à leur insu en « tueurs de temps » ?…

    Oui, Restif — qui aimait à prendre le temps de fureter sur les quais de la Seine pour dénicher quelque nouveauté : livre, jeune servante accorte et pas trop farouche, vieillard vitupérateur ou bandes de « polissons » à morigéner — aurait-il jamais imaginé que nous deviendrions, nous autres, Parisiens du début du XXIe siècle, quasiment incapables d’éprouver encore la simple, toute simple, sensation d’exister — bêtement, béatement –, à l’instar des poissons qui, pour se maintenir dans le courant, n’ont d’autre effort à fournir qu’un « léger et exact coup de queue compensateur » ? que les rares rescapés à conserver une lueur de lucidité sur cette aliénation progressive finiraient eux-mêmes, généreusement emportés par leur désir de convaincre, à se livrer, pour nous prêcher l’insouciance, à de méthodiques et laborieuses argumentations ?

    (Petit traité de désinvolture, José Corti, 2002)

    juin 1, 2008 à 22 h 54 min

  11. 120

    Ecrit par Milan Kundera :

    Pourquoi le plaisir de la lenteur a-t-il disparu ? Ah, où sont-ils, les flâneurs d’antan ? Où sont-ils, ces héros fainéants des chansons populaires, ces vagabonds qui traînent d’un moulin à l’autre et dorment à la belle étoile ? Ont-ils disparu avec les chemins champêtres, avec les prairies et les clairières, avec la nature ? Un proverbe tchèque définit leur douce oisiveté par une métaphore : ils contemplent les fenêtres du bon Dieu. Celui qui contemple les fenêtres du bon Dieu ne s’ennuie pas ; il est heureux. Dans notre monde, l’oisiveté s’est transformée en désoeuvrement, ce qui est tout aute chose : le désoeuvré est frustré, s’ennuie, est à la recherche constante du mouvement qui lui manque.

    (La lenteur, Gallimard, 1998)

    juin 2, 2008 à 0 h 57 min

  12. Vincent

    Des maîtres en sieste, en paresse, bref en sagesse : les chats !

    juin 2, 2008 à 1 h 07 min

  13. Ourko

    Dans la famille Marx, on demande donc plutôt… le gendre !

    juin 2, 2008 à 7 h 13 min

  14. Amélie

    isidore,
    Je crois qu’on était plusieurs, hier, à sombrer à la même heure !…

    J’avoue que j’ai beaucoup de mal avec la paresse. Difficile de vraiment prendre le temps de ne rien faire quand on a tant à faire. Difficile d’être sereins quand le temps libre est compté.
    La paresse est l’apanage d’une élite ! J’entends d’ici ceux qui me rétorqueront qu’au contraire, il s’agit d’une force de caractère, d’un mode de vie pleinement choisi et assumé. Certes, certes… mais je persiste à penser que les seuls qui puissent vraiment y goûter, de façon autre que très ponctuelle, sont ceux qui concentrent leur vie sur leur seule et unique personne, ceux qui ont fait le choix d’une vie parfaitement auto-centrée. Ceux là, c’est évident, ont un capital temps phénoménal, et comme toute richesse, ils peuvent le dépenser sans compter. En paressant notamment.

    juin 2, 2008 à 9 h 37 min

  15. Amélie

    Je connais pour ma part des moments de paralysie, et des moments de plaisir.De véritables moments de paresse ?… je ne sais pas; ils sont rares.

    La sieste est pour moi, soit une nécessité biologique, soit un tête à tête idyllique. Une nécessité biologique lorsque la fatigue me tire vers l’évanouissement et que je suis réellement obligée de me gifler ou de me pincer très fort, toutes les 5 minutes, pour rester éveillée. Dans ce cas, je profite de ce que mon bureau se vide le midi pour m’allonger sous ma table, directement sur la moquette et il n’est pas rare que je sombre alors immédiatement pendant une heure.
    En revanche, pour que la sieste soit un plaisir, je ne la conçois que partagée. Et pas -forcément – pour des raisons crapuleuses (quoi qu’il soit toujours difficile de garder ses mains à soi ! 🙂 ) : juste parce que s’endormir ensemble est un moment absolument délicieux ! Non ? A moins d’être malade de fatigue, je ne sieste qu’à deux !
    Hors ces deux cas de figure bien spécifiques, la sieste mange trop du peu de temps que j’ai.

    juin 2, 2008 à 9 h 47 min

  16. Amélie

    Les moments de « paralysie » sont des moments particulièrement étranges qui surviennent alors que je projette de faire un certain nombre de choses… bizarrement, au lieu d’entamer une tâche, je reste immobile, et je en fais strictement rien. Mon corps ne bouge plus, à demander s’il vit encore. Il attend patiemment que je revienne et le mette en mouvement.Retrospectivement, il y a toujours un fond de culpabilité qui me reproche ces moments de « paresse », alors qu’en fait, il s’agit d’une forme de paralysie.

    juin 2, 2008 à 10 h 00 min

  17. Amélie

    Ce que tu dis des préhistos, Vincent, me semble être de l’ordre du parfait fantasme ! 😉
    Ma propre vison des choses est que les tâches étaient mieux réparties à l’époque, de sorte qu’hommes et femmes répondaient équitablement aux besoins de leur famille. L’image moderne de l’homme qui se prélasse le week-end sur son fauteuil, le nez dans un magazine, en prenant parfois le temps de regarder passer les nuages( tandis que la femme range, lave, nettoie, cuisine, et gère les conflits entre enfants) n’avait à mon avis pas cours chez nos petits amis préhistos.
    Si les femmes devaient probablement s’occuper des très jeunes enfants, les hommes emmenaient sans doute partout avec eux les jeunes garçons afin de leur transmettre leur savoir. Si la chasse n’était pas une activité quotidienne, il fallait en revanche traiter les peaux, faire le cuir, consolider les habitations, travailler la pierre et le bois, cueillir les herbes, les tubercules et les fruits, faire sécher la viande, et profiter peut-être de ce que chaque jour apportait, sachant que rien n’était du et que les lendemains pouvaient être cruels.
    Mis à part les longues journées d’hiver qui les voyaient contraints à une inactivité forcée, je doute que nos préhistos aient eu le luxe d’être paresseux. Peut-on vraiment goûter la paresse quand on est dans une démarche de survie ? Est-ce que les deux choses sont compatibles ? Est-ce que répondre par l’affirmative ne serait pas juste une posture esthétique ?

    juin 2, 2008 à 10 h 19 min

  18. Amélie

    Quant au plaisir béat du simple moment, j’ai remarqué que quand on l’exprime, on provoque railleries et apitoiement dans son entourage proche. C’est pourtant (il me semble) une force singulière que de pouvoir contempler cet instant dans toute sa joie.

    juin 2, 2008 à 11 h 49 min

  19. Vincent

    Certes, il faut une bonne dose d’auto-centration — d’égoïsme, si tu préfères — pour résister à la pression sociale qui demande d’en faire toujours plus et à toute vitesse. Mais « ralentir le pas » est aussi le moyen de parvenir à prendre pleinement le temps de partager le peu de choses qu’on fait alors avec les gens qui acceptent de les faire au même rythme.

    Qui est le plus égoïste, dès lors (à supposer que ce soit une tare d’ailleurs), celui qui roule comme tous les autres en voiture sur l’autoroute, ou celui qui préfère aller moins loin, avec moins de personnes, mais… en marchant avec eux à pieds ?

    Quant à mes « fantasmes » sur les préhistos, j’admets sans souci en avoir vu que non seulement je ne suis pas spécialiste de la question mais en plus persisteront toujours de nombreuses inconnues sur leur mode de vie. Mais il me semble toutefois que l’idée que leur souci survie ne leur laissait pas le moindre temps à paresser me paraît encore plus illusoire (un mythe même construit par l’idéologie progressiste). Les moeurs des tribus dites « primitives » encore observables aujourd’hui ne prouvent-elles pas le contraire ?

    juin 2, 2008 à 12 h 37 min

  20. Amélie

    1/ quand je dis « auto-centré », je veux dire par exemple qu’on ne peut pas paresser pleinement quand on a charge d’enfants : ils imposent des corvées, un investissement personnel et un rythme. (à moins de décider de ne pas s’en occuper du tout)
    2/ C’est une question que je pose, effectivement : peut-on avoir l’esprit libre quand on est, chaque jour, confronté à une problématique de survie ? D’autant qu’en général, la problématique se pose en terme de groupe (et là ça rejoint l’idée du paresseux autocentré) : c’est de la nourriture pour le groupe qu’il faut assurer chaque jour. D’une part, on a bien remarqué que la cueillette était une activité assez chronophage, d’autre part, je pense qu’il faut avoir une sacrée tranquillité d’esprit pour trouver le temps de paresser dans ces circonstances.
    Dis m’en plus sur ces civilisations dont tu parles?

    juin 2, 2008 à 12 h 53 min

  21. 120

    Ecrit par Denis Grozdanovitch :

    A la fin du XIXe siècle, Robert Louis Stevenson, un des êtres les plus perspicaces sans doute jamais parus sur cette terre, avait humblement tenté de remontrer que les oisifs possédaient quelques droits, entre autres celui d’être tolérés et non point tracassés, persécutés, par ceux-là mêmes dont c’était, de toute façon et de toute évidence, la complexion propre, le tempérament indéfectible, que de s’activer et de produire. Ecoutons ce qu’il nous déclare au début de son Apologie des oisifs :

    « Aujourd’hui que tout le monde est contraint, sous peine d’une condamnation par défaut pour crime de lèse-respectabilité, d’embrasser quelque profession lucrative, et d’y travailler avec quelque chose qui ressemble à de l’enthousiasme, une plainte de la partie adverse, qui, elle, se satisfait de ce qu’elle a, et revendique de rester spectatrice en goûtant le temps qui passe, sent un peu la bravade, sinon la gasconnade. Pourtant, il ne devrait pas en être ainsi. L’oisiveté, ainsi qu’on l’appelle, qui ne consiste pas à ne rien faire mais à faire beaucoup de ce qui n’est pas reconnu dans les formlulaires dogmatiques de la classe dirigeante, a autant le droit de déclarer sa position que l’industrie elle-même. Il faut bien reconnaître que la présence de personnes qui refusent de participer à la grande course handicap pour le gain de pièces de « six pences » est tout à la fois une insulte et un désenchantement pour ceux qui s’y engagent. Un brave garçon (comme nous en voyons tant) prend son courage à deux mains, vote pour les « six pences » et, pour recourir à l’emphase d’un américanisme, « y va à fond ». Peut-il s’étonner de son ressentiment, tandis qu’il s’échine désespérément à casser des cailloux sur la route, s’il voit das les prairies, non loin, des personnes allongées au frais, un mouchoir sur les oreilles et un verre à portée de la main ? »

    Stevenson remarque à juste raison que les oisifs sont rarement inactifs, qu’ils se consacrent tout simplement à des activités que les autorités en place considèrent comme inutiles, voire nuisibles ; condamnation que la rédaction de ce texte encourt très certainement à son tour, j’en ai peur…

    (ibidem)

    juin 2, 2008 à 12 h 53 min

  22. Vincent

    juin 2, 2008 à 12 h 56 min

  23. Amélie

    Correction :
    La garçon qui a voté pour le six pence enrage, non parce que d’autres sont allongés dans l’herbe, mais parce qu’eux, n’ont pas à trimer comme il le fait pour gouter à un bon verre de vin bien frais…

    juin 2, 2008 à 13 h 01 min

  24. Amélie

    ah ! justement, là ce n’est pa s de la paresse : il s’occupe de ses petiots. La vraie paresse ce serait de ne s’occuper de personne. La vraie paresse, c’est du temps « à soi », non ?

    juin 2, 2008 à 13 h 04 min

  25. Amélie

    NB : ce n’est pas à 120 que je parle, hein ? c’est à Vincent…

    juin 2, 2008 à 13 h 05 min

  26. Amélie

    120 baillonné, Vincent resterait-il muet ???? 😉
    Il me semble qu’on ne peut vraiment paresser que libéré de contraintes. Or, quand on vit dans un monde réel, et qui plus est social, on vit dans un quotidien assorti de tout un tas de contraintes. Il y a deux façons de s’en libérer : soit s’en débarrasser en en chargeant quelqu’un d’autre (la liberté qui s’exerce au détriment de celle de quelqu’un d’autre), soit en les ignorant (le « problème » de la responsabilité, développé par isidore dans un autre article je crois).

    juin 2, 2008 à 13 h 13 min

  27. J’ai encore pas d’enfants, j’ai le droit d’être paresseux ?

    juin 2, 2008 à 13 h 22 min

  28. Et pour le garçon qui cherche à obtenir des sioux, tu as jamais eu Vincent la satisfaction d’une tache accomplie ?

    La même qui te fait dire : « je suis content ca a avancé ! »

    Pas plus tard que la fois où tu as fait ton jardin ? 😛

    juin 2, 2008 à 13 h 26 min

  29. Ce genre de tache pour lequel tu attends une forme de reconnaissance d’autrui.

    Je dirai qu’il faut un peu de tout, pour savourer chaque chose ! 🙂

    Un peu de paresse, un peu de tâches à acommplir, un peu d’autres trucs

    juin 2, 2008 à 13 h 28 min

  30. Amélie

    Yatsé, je ne dis pas qu’on n’ait pas le droit d’être paresseux. Au contraire, bien sur qu’on a le droit. Je dis juste que c’est un luxe, que tout le monde ne peut pas se permettre, puisqu’il faut pour ça s’être libéré de toute contrainte. Notamment les contraintes de temps, de « trouver de quoi manger » etc.

    juin 2, 2008 à 13 h 30 min

  31. Amélie

    D’ailleurs, saurait-on apprécier la paresse, si elle n’était pas un luxe ? Ne deviendrait-elle pas de l’ennui ?

    juin 2, 2008 à 13 h 42 min

  32. 120

    Ecrit par Denis Grozdanovitch :

    Il semblerait que le paresseux — et cela, sous l’aspect où nous pouvons l’apercevoir de nos jours dans certaines parties de la forêt amazonienne — ait survécu à toutes les vicissitudes de la vie sauvage depuis les temps préhistoriques les plus reculés. Constatation qui paraîtrait infirmer de manière décisive la sacro-sainte théorie du « struggle for life ». Comment concilier celle-ci en effet avec la fabuleuse pérennité d’un animal aussi peu doué pour la compétition ?

    Il n’est d’ailleurs sans doute pas fortuit que ce soit précisément un chercheur américain, J. K. Summerville, qui ait consacré près de quinze ans de sa vie à guetter, au sein de son milieu naturel, les rares évolutions de cet insouciant réfractaire.

    Pour ce faire, et comme c’est devenu la mode depuis Konrad Lorenz qui, en son temps, a séjourné des mois entiers immergé jusqu’à la ceinture dans un étang boueux pour mieux s’intégrer à un groupe de palmipèdes sur lequel il avait jeté son dévolu, il semble que Summerville ait tenté de s’imprégner totalement des moeurs du paresseux — opération qui devait rapidement s’avérer beaucoup plus acrobatique et ascétique qu’il ne l’avait tout d’abord escompté, dans la mesure où l’animal reste parfois accroché jusqu’à dix jours de suite à la même branche sans manifester la moindre velléité de changer de position (à dormir ou à méditer ? cela reste incertain et les conclusions de K. K. ne sont pas formelles sur ce point), puis n’en descend que sous l’empire de l’extrême nécessité : la faim et la défécation (« pendant la petite et la grosse commission, assure J. K., il ferme les yeux avec une expression que nous oserons qualifier de plaisir tranquille ») ; que de surcroît, le paresseux, une fois qu’il est à terre, prend tout son temps, ne se déplaçant qu’à la vitesse de cinquante mètres à l’heure, tombant fréquemment dans d’étranges distractions au cours desquelles, oubliant visiblement son projet initial, il se prélasse dans l’herbe le ventre au soleil — dormant ou méditant de nouveau, plus ou moins indéfiniment… (Dans l’eau, le paresseux se montre plus à l’aise encore : étant le seul animal de la création à nager sur le dos, son énorme estomac faisant office de bouée et lui permettant de flotter, il n’a qu’à user de ses bras comme de petites rames pour se propulser indolémment sur les ondes…)

    Enfin — et nous touchons là au côté sublime des observations opérées sur cet animal –, à considérer les photos prises par Summerville, il apparaît que le paresseux, au cours des nonchalantes allées et venues ou méditations somnolentes qui composent ses habitudes, ne se départ jamais d’un sourire que nous pouvons décrire autrement que comme l’expression d’une complète béatitude. (« Le paresseux serait-il un bien-heureux ? » s’interrgoge le chercheur américain.)

    Mais le plus surprenant de ce qe nous rapporte Summerville reste les moeurs érotiques et sexuelles de l’animal : si les approches amoureuses traîent péniblement en longueur, une fois accouplés, et contre toute attente, les parteaires se déchaînent en une longue série de spasmes frénétiques sans la moindre pudeur ni la moindre inhibition — puis retombent épuisés mais toujours ravis, dans leur demi-léthargie coutumière. (J.K. avoue sa perplexité sur ce point : manifestent-ils un réel enthousiasme ou subissent-ils les lois de l’espèce ?)

    Quoi qu’il en soit, l’article où j’ai pu recueillir tous ces renseignements à propos des recherches de Summerville nous laisse entendre que, depuis son retour, l’illustre chercheur connaît certaines difficultés à retrouver le rythme de la « vie active ». Il semblerait que J. K. ne sorte plus que très rarement de chez lui, que ses éditeurs se plaignent amèrement de l’extrême lenteur avec laquelle il poursuit la rédaction de son ouvrage tant attendu Comprendre les paresseux et que sa femme ait toutes les peines du monde à la convaincre de bien vouloir s’extirper du hamac qu’il s’est installé sur la mezzanine et où il séjourne des journées entières… (A dormir ou à méditer ? les auteurs de l’article semblent ne pas être en mesure de le déterminer formellement.)

    (ibidem)

    juin 2, 2008 à 14 h 16 min

  33. Vincent

    Nan — du moins pour moi — la « vraie paresse », comme vous dites, ce n’est pas plus « ne rien faire » qu’être « égoïste » (ou « autiste »), mais simplement, autant qu’on peut, « ralentir », « prendre le temps » (notamment de (bien) faire les choses), « attendre le bon moment ».

    juin 2, 2008 à 14 h 22 min

  34. Amélie

    mdrrrr, 120, mais je te cafte à Grozda. y a abus là….

    juin 2, 2008 à 14 h 23 min

  35. Amélie

    mais, ça , Vincent, ce n’est pas de la paresse, c’est de l’art ! C’est pas du tout pareil !

    juin 2, 2008 à 14 h 24 min

  36. Amélie

    Plutôt que résister en imposant un ralentissement du pas, pourquoi pas juste s’extraire du flux et vivre au sien propre ? une journée, une semaine ? J’ai l’impression que « résister », ce serait déjà perdre. Mais un petit contretemps, un léger retard, un écho… pourquoi pas ?

    juin 2, 2008 à 16 h 46 min

  37. Enfin, comment expliquer toutes ces générations d’hommes partant à la pêche ??

    juin 2, 2008 à 17 h 30 min

  38. Barbarella

    Peut-être par toutes ces générations d’emmerdeuses ?!
    Pêcherais-tu, Yatsé ???? 😉

    juin 2, 2008 à 17 h 44 min

  39. j’aime pas la pêche, mais j’en conçois tout à fait le plaisir que l’on peut en tirer …
    Ptete même que nos préhisto allaient aussi à la pêche pour les mauvaises raisons…

    juin 2, 2008 à 17 h 47 min

  40. 120

    Ecrit par Denis Grozdanovitch sur les pêcheurs à la ligne, justement :

    En réalité, cette population d’excentriques et d’originaux, de dilettantes, de « tueurs de temps » ou de banalistes — irréductibles en elle-même — a toujours survécu un peu partout, quels que soient les régimes, les événements et les bouleversements sociaux — non pas loin de l’activité mais juste à côté, parallèlement à elle, pourrait-on dire ; doucement, mais opiniâtrement indifférente à ce qui ne concernait pas ses marottes.

    Mon père, quand j’étais adolescent et qu’il me voyait préoccupé par je ne sais quelle tournure prise par les événements, avait coutume de me répéter : « Dis-toi bien, fiston, qu’au cours de toutes les circonstances de l’histoire, il y a toujours eu des pêcheurs à la ligne. Or Jünger raconte, dans son journal d’occupation que j’ai lu beaucoup plus tard, qu’entrant dans Paris déserté par l’exode, juché sur un des chars de sa compagnie et passant sur le pont de la Concorde, il remarque, en contrebas des piles du pont, un type très paisible qui pêche tout en fumant tranquillement sa pipe.

    Pareillement, si nous entrons dans n’importe quel musée d’art asiatique ancien et que nous nous dirigeons vers les collections chinoises, nous tomberons certainement à un moment ou à un autre, faiblement éclairé derrière sa vitrine, sur l’un des grands rouleaux de parchemin exquisément peint par l’un de ces mystérieux artistes Tch’an des anciens temps, et que nous y verrons, probablement représentés dans leur uniforme rutilant et multicolore, les innombrables soudards redoutablement féroces de deux armées rivales — arborant de magnifiques bannières peinturlurées sur lesquelles des dragons crachent le feu — en train de se tailler généreusement en pièces dans des combats sans merci.

    En approfondissant notre examen, nous finirons bientôt par découvrir dans un coin du rouleau, généralement dissimulé derrière un rideau d’arbres, un étang à moitié couvert de nénuphars où vient se jeter en bouillonnant joyeusement un torrent qui dévale de la montagne en gracieux zigzags. A la surface de cet étang, sous un saule vaporeux avoisinant d’autres arbres couronnés de fragiles fleurs blanches, non loin de quelques canards méditatifs qui se laissent dériver sur l’onde parmi des lambeaux de brume, repose une barque dans laquelle un petit personnage coiffé d’un chapeau de paille pêche sans se soucier de rien. Et, si nous avons encore la patience de déchiffrer les notes érudites qui accompagnent d’ordinaire ces peintures, nous apprenons que, pour les ermites du Tch’an, le pêcheur à la ligne (particulièrement s’il est un peu ivre de vin de riz) représente le plus parfaite symbole de la sagesse. (…)

    Lin Yu Tang, philosophe contemporain exilé en Amérique, dans son fameux livre L’Importance de vivre, nous déclare :

    « Après une longue exploration de la littérature et de la philosophie chinoises, j’arrive à la conclusion que leur plus haut idéal a toujours été un homme détaché (Ta Kuan) de la vie et sagement désenchanté. Cete sagesse engendre une certaine hauteur de caractère qui donne la possibilité à chacun d’avancer dans l’existence avec une ironie tolérante, d’échapper aux tentations de la gloire, de la richesse, des exploits, et finalement, d’accepter les événements. De ce détachement découlent aussi le sens de la liberté, l’amour du vagabondage, de l’orgueil, de la nonchalance. Car seul le sens de la liberté et de l’oisiveté permet d’atteindre la joie de vivre intensément. (…) La jouissance d’une vie oisive ne coûte pas cher. Le vrai goût de l’oisiveté s’est perdu dans les classes riches et ne se trouve plus que chez les gens qui ont un suprême mépris pour l’argent. Il provient d’une richesse intime de l’âme chez un homme qui aime la vie simple et qui s’impatiente de devoir la gagner. Il y aura toujours assez de vie pour en jouir, pour un homme qui est déterminé à le faire? »

    (ibid.)

    juin 2, 2008 à 19 h 18 min

  41. Vincent

    Amélie a peut-être raison, plutôt que de lutter frontalement contre le « toujours plus » en cherchant à en faire « encore moins », ne faut-il pas simplement chercher à faire « juste un peu mieux ». Et passer ainsi, autant que possible, du régime (moderne) de la quantité à celui (intemporel) de la qualité.

    juin 2, 2008 à 19 h 25 min

  42. Amélie

    Comme pour tout, il y a une paresse noble et une paresse vulgaire.
    La paresse noble qui est une réflexion (ou son absence justement), un positionnement sur le rapport qu’on entretient avec le monde, et la paresse vulgaire, celle des textos, des mots tronqués, symptomatiques d’un mode de pensée, qui n’est que nonchalance.

    juin 3, 2008 à 5 h 19 min

  43. 120

    Ecrit par Paul Lafargue :

    Convaincre le prolétariat que la parole qu’on lui a inoculé est perverse, que le travail effréné auquel il s’est livré dès le commencement du siècle est le plus terrible fléau qui ait jamais frappé l’humanité, que le travail ne deviendra un condiment de plaisir de la paresse, un exercice bienfaisant à l’organisme humain, une passion utile à l’organisme social que lorsqu’il sera sagement réglementé et limité à un maximum de trois heures par jour, est une tâche ardue au-dessus de mes forces ; seuls des physiologistes, des économistes communistes pourraient l’entreprendre. Dans les pages qui vont suivre, je me bornerai à démontrer qu’étant donné les moyens de production modernes et leur puissance reproductive illimitée, il faut mater la passion extravagante des ouvriers pour le travail.

    (Le droit à la paresse, 1880)

    juin 3, 2008 à 7 h 09 min

  44. Isidore

    « Tant que les tempéraments actifs continueront de manifester leur plus grande complaisance à la conception moderne du travail qui confond activité et productivité, fécondité et rentabilité, et ne verront dans le stress excessif induit qu’un inconvénient incontournable plutôt qu’un vice structurel rédhibitoire, et enfin ne commenceront pas à agir sérieusement pour transformer les choses, alors les tempéraments méditatifs qui ne trouveront jamais aucune contrepartie satisfaisante à cette forme dévoyée du « travail » (contrairement aux « actifs » qui savent se satisfaire de sa jubilation active) et ne pourront jamais y croire un seul instant, resteront les seuls à manifester une résistance effective et nécessaire à cette aberration de la modernité. Les hyper-actifs stressés, du haut de leur bonne conscience « d’hommoproductivus », quoique n’ayant de cesse de culpabiliser les hyper-méditatifs de leur parasitisme notoire, demeureront néanmoins aux yeux de ces derniers, que de tristes faiseurs tant qu’ils ne sauront manifester la moindre solidarité active dans ce combat vital ». (Manifeste pour le droit à la paresse de juin 2008)

    juin 3, 2008 à 8 h 43 min

  45. Barbarella

    Si Lafargue avait passé un peu plus de 3 heures par jour sur les bancs de l’école, il aurait peut-être écrit « inoculée » au lieu d' »inoculé »…!

    juin 3, 2008 à 11 h 25 min

  46. barbarella

    Isi, dans ton manifeste, où se situe l’homo procrastinatus ? Il a une position un peu ambiguë, non ??? hmmmm ? A la fois hyper stressé à la pensée de tout ce qu’il s’est assigné de faire, et en même temps plutôt improductif…;-)

    juin 3, 2008 à 17 h 13 min

  47. barbarella

    juin 3, 2008 à 17 h 36 min

  48. barbarella

    En cherchant des images, je me suis rendue compte qu’internet était la cause principale de l’épidémie de procrastination qui frappe nos pays occidentaux… évidemment !

    juin 3, 2008 à 17 h 40 min

  49. Isidore

    Ben… ça doit être un méditatif qui veut se persuader qu’il est un actif… ou alors un actif qui disjoncte… ou alors quelqu’un en bonne santé qui se demande si vraiment la vie « d’animals laborans » est aussi passionnante que ce qu’il est d’usage de croire… ou plutôt quelqu’un qui a franchement besoin de vacances… Non, ce doit être un pervers qui veut persuader son entourage qu’il bosse alors qu’il n’est en réalité qu’une sale feignasse (et fier de l’être en plus)… De toute façon, ton truc me paraît incurable, forcément avec un nom pareil.

    juin 3, 2008 à 19 h 39 min

  50. hommoproductivus ? 🙂
    on voit que vous ne courrez pas derrière la réalisation d’un chiffre d’affaires, vous ?

    Je commence de plus en plus à me joindre aux partisans de la thèse d’Amélie sur le luxe de la paresse.

    Quand la bise arrive, eh bien, dansez maintenant…

    juin 4, 2008 à 13 h 45 min

  51. Isidore

    C’est bien ce que je disais, Yatsé: Tant que les hommoproductivis n’agiront pas pour tenter de résister à ce qui veut apparaître comme une véritable fatalité, (le chiffre d’affaire par exemple), et se soumettront à cette loi (dictée par qui?) tout en s’en plaignant et en dénigrant les cigales qui sont là pour les distraire, alors on ne sortira pas d’un système absurde qui écrase les uns de trop de travail tandis que d’autres crèvent de ne pas en avoir (quand ils ne sont pas carrément criminalisés pour leur soit-disant paresse), avec au final du stress pour tout le monde et des bonnes affaires pour les labos pharmaceutiques et les vendeurs de chimères.

    juin 4, 2008 à 14 h 00 min

  52. Isidore

    Je te rassure quand même : loin de moi l’idée de vouloir enfermer qui que ce soit dans ce schéma simpliste qui n’a d’autre finalité que de rendre perceptible ce que j’essaie d’exprimer et qui concerne avant tout un système dans lequel nous évoluons, chacun comme il le peut.

    juin 4, 2008 à 14 h 40 min

  53. T’inquiète j’ai bien senti la caricature du propos auquel je m’appretais à répondre un : « tu vis dans un monde de bisounours sans pression ? » 😛

    mais justement existe-t-il des systèmes sans contraintes ?

    Je ne considère pas le nôtre comme une fatalité puisque je veux y être pleinement actif.

    Les paresseux, pourquoi pas ? ils ont d’ailleurs plus d’espace dans ce système que dans le système primitif où cela devait surement être « marche et crève ».

    Mais si le paresseux était radical dans sa façon de faire, il serait hors système, il n’existerait pas.

    juin 4, 2008 à 14 h 48 min

  54. Vincent

    Que l’idéologie actuellement dominante soit celle du travail, du progrès, du valeureux courage pour lutter contre les rudes contraintes de la nature (et de la condition humaine) ne me gêne pas en soi. Pourquoi pas : c’est une façon — comme une autre — de « lire » de monde.

    Mais pourquoi faut-il qu’elle laisse implicitement entendre que ça a été tout le temps le cas, que nos ancêtres, depuis le début, « marchent ou crèvent » sous la loi implacable d’une impitoyable « loi de la jungle » ?

    A-t-elle vraiment besoin de cette caution pseudo-scientifique (car, jusqu’à preuve du contraire, rien n’atteste la véracité de cette affirmation) pour justifier son bien-fondé ? N’y a-t-il pas finalement, dans cette fausse évidence qui revient toujours à un moment ou un autre lorsqu’elle tend à se justifier, un doute profond quant à la valeur de ses propres valeurs ?

    juin 4, 2008 à 17 h 15 min

  55. Vincent

    Pour le dire autement : ce sont les « pensées faibles » qui ont besoin de se persuader qu’il n’y a pas d’autres alternatives qu’elles-mêmes.

    Les « pensées fortes », elles, n’ont en effet pas peur de la concurrence, persuadées qu’elles ont les capacités de vaincre et convaincre.

    C’est finalement assez amusant de pointer que la pensée qui prône sans cesse la saine (et indépassable) concurrence a peut-être, au fond, une grosse trouille — justement — de la concurrence.

    juin 4, 2008 à 17 h 28 min

  56. Eheh Vincent !

    Tu utilises un jargon qui ressemble à ceux à qui tu t’adresses, des paraboles qui leur (me) parlent, tu glisserais pas sur la pente facile de la démagogie ?? 😀

    Donc tu n’acceptes pas le postulat de la loi de la jungle, ok. Pour des raisons qui t’incombent, pourquoi pas ?

    hey le lion, arrête de te taper des gazelles, viens plutot blogguer par ici !! 😉

    Dans un contexte de survie, je connais peu de personnes capables de rester quelqu’un… (je doute en tout cas de mes capacités et ne pas douter c’est être malhonnête avec soi-même…)

    Faisons la projection jusqu’au bout, quelles alternatives proposes-tu ?

    Si tu n’en proposes pas, ton discours est sympa, mais reste pure rhétorique.

    juin 4, 2008 à 19 h 02 min

  57. Vincent

    Mon alternative est simple (et pas plus originale que ça) :

    Pendant sûrement des centaines de milliers d’années — voir plus — l’humain n’a pas vécu dans un état de survie, dans l’angoisse incessante du lendemain et des concurrents, dans l’irrépressible envie de « travailler » pour à tout prix changer le monde qui l’entoure (ou simplement pour gagner l’argent nécessaire à sa survie ou ses plaisirs), dans la volonté de s’émanciper, dans le mythe de la « liberté », bref… dans le regret anticipé de ne pas vivre encore dans le soi-disant confort moderne.

    Tout cela est pour moi une fable qu’on se raconte aujourd’hui (pour éviter de commencer à douter).

    C’est tout.

    Mais ce n’est pas pour ça qu’il faut à tout prix retourner en arrière, peut-être juste arrêter de « se la raconter »

    juin 4, 2008 à 20 h 45 min

  58. Barbarella

    J’ai bien essayé de m’allonger la bouche ouverte pour voir si un cuissot rôti tomberait dedans… j’attends toujours…

    juin 4, 2008 à 21 h 12 min

  59. Isidore

    C’est normal, tu t’es allongée sur le ventre… Faute de cuissot, un p’tit vers de terre…C’est déjà ça!

    juin 4, 2008 à 21 h 15 min

  60. Vincent

    Aujourd’hui, évidemment… avec près de 10 milliards de congénères, des espaces sauvages réduits à la portion congrue, une faune traquée, etc.

    Mais était-ce vraiment si difficile quand il n’y avait guère plus d’un million d’humains sur toute la planète et des forêts couvrant toute la zone tempérée ? Quand on savait non seulement manger sans sourciller des vers et autres limaces (il suffit de se baisser) mais aussi, depuis l’enfance, traquer et surprendre les plus grosses (et abondantes) proies, sans même évoquer les 1200 plantes comestibles dont la cueillette ne devait sûrement pas représenter un « travail » ?

    juin 4, 2008 à 21 h 27 min

  61. Barbarella

    Dès qu’il y a contrainte, il n’y a plus de paresse. Cueillir une tige de berce en passant, soit, masi suffisamment pur nourrir tout un clan… chaque jour… c’est pas de la contrainte, ça ?

    juin 4, 2008 à 21 h 51 min

  62. La fable dont tu parles est-elle plus irréaliste que celle de l’abondance de la préhistoire ?

    On ne peut que présumer des choses de cette période, mais franchement croire qu’ils avaient une vie facile …

    juin 4, 2008 à 23 h 54 min

  63. Vincent

    Pour tenter de clarifier le débat, il me semble que s’opposent sur le sujet trois thèses, que je résumerai (donc simplifierai) ainsi :

    1) La paresse est avant tout un tempérament. Il y a toujours eu, de tout temps, des actifs et des oisifs (thèse de Grozda)

    2) La paresse est un plaisir qui, de tout temps, n’a pu être accordé qu’à une minorité de privilégiés profitant abusivement des fruits du labeur de ceux qui sont contraints de se coltiner le « principe de réalité » (thèse d’Amélie et Yatsé)

    3) La paresse est une habitude prise par les millions d’années de « vie primitive » contre laquelle tente de lutter (à coup de culpabilisation et de « valeur travail ») la civilisation moderne issue du néolithique (thèse de Vincent, et peut-être aussi d’Isidore)

    Faut-il en rester là, garder chacun sa position (tout en reconnaissant évidemment à l’autre le droit de garder la sienne), ou tenter de faire la synthèse en partant du principe que la vérité est sûrement dans un mixte savant des trois ?

    juin 5, 2008 à 7 h 28 min

  64. Vincent

    Je ne dis pas forcément, Yasté, qu’ils avaient la vie « facile » (bref qu’ils vivaient au Paradis), mais qu’ils avaient davantage le souci de préserver la tradition que de transformer le monde. Du coup, ils fuyaient les difficultés de l’existence davantage dans les psychotropes (et la paresse qui s’en suit) que dans l’obsessionnel « travail ». Un autre rapport au monde, donc, simplement : plus « tragique » que « dramatique ».

    juin 5, 2008 à 7 h 34 min

  65. Vincent

    Plus « fataliste » dirait peut-être Isidore. Moi je préfère dire : moins arrogant, moins ambitieux, bref… plus humble en quelque sorte.

    juin 5, 2008 à 7 h 37 min

  66. Isidore

    Pourquoi y aurait-il une vérité unique? Chacun a sans doute raison selon le point de vue et l’expérience dont il fait part. Je ne vais tout de même pas essayer de convaincre Yatsé qui doit gérer son entreprise, d’appliquer mes règles de fonctionnement: il irait droit à la faillite. Inversement s’il me fallait suivre les règles de l’entreprise dans mon propre travail, autant dire qu’il y aurait belle lurette que je serais hors service. Amélie a sans aucun doute raison de considérer que l’oisiveté est un luxe de dilettante n’ayant pas toute une maisonnée à faire subsister et peut, à juste titre se sentir énervée par le parasitisme arrogant et prétentieux. Certes il existe… Toutefois ceci n’enlèvera rien au fait qu’il faille aussi, selon mon point de vue, résister à la conception moderne du travail productif et stressant car, pour ce qui me concerne, il est absolument antinomique et puissamment destructeur de ma propre activité. Cette résistance est suffisamment contraignante pour qu’elle sorte de la catégorie « paresse » selon les critères d’Amélie, mais elle n’en demeure pas moins fervente signataire du manifeste du droit à la paresse.

    juin 5, 2008 à 9 h 01 min

  67. Amélie

    J’ai du mal à comprendre d’où vient cette idée, présente depuis le début de l’article, selon laquelle ils usaient de psychotropes dans une optique de « loisirs », autre que rituelle et magique, puissante et dangereuse. D’où est-ce que ça vient, ça ?

    juin 5, 2008 à 10 h 06 min

  68. T’as bien raison de dire Isi qu’il n’y a pas une vérité consensuelle !

    Surtout de part la diversité de nos milieux 🙂

    juin 5, 2008 à 10 h 25 min

  69. Ourko

    On les emmerde tellement, de nos jours, les oisifs que le meilleur moyen qu’il leur reste pour être « tranquilles », c’est de se mettre à bosser comme des oufs !
    (Désolé, Yasté, de t’avoir démasqué 😉 )

    juin 5, 2008 à 13 h 16 min

  70. 😀
    Procrastination power !!

    juin 5, 2008 à 13 h 31 min

  71. 120

    Ecrit par Jacques A Bertrand :

    SAGESSE DE L’ECONOMIE D’ENERGIE

    Le Sage a dit :

    Les Amérindiens prétendent qu’après la Montagne, l’Arbre, l’Aigle et la Baleine, le cinquième grand miracle attendu sur la Terre — l’Homme — n’est toujours pas accompli.

    La nature est bien faite, mais l’homme n’est pas fini.

    Avant tout, il manque d’énergie. C’est qu’il en gaspille. Le grand fauve ne tue qu’à sa faim ; la pluie torrentielle ne dure pas toue la semaine ; la tempête s’apaise vers le soir : l’homme continue à se dépenser. La colonne de ses dépenses est trois fois plus longue que celle de ses recettes. Mauvais comptable, mauvais poète. Pourtant, la Tao-te-king, déjà, l’avait averti. Mais l’homme n’agit pas, il s’agite ; il a davantage de préoccupations que d’occupations. Il ne marche pas, il laisse des traces…

    (Le sage a dit, Julliard, 1997)

    juin 6, 2008 à 6 h 37 min

  72. 120

    Ecrit par Christian Bobin sur la paresse :

    J’ai toujours reconnu d’instinct ceux qui se lèvent avec le jour, même en vacances, et ceux qui restent pour des siècles au lit. J’ai immédiatement craint les premiers. J’ai toujours craint ceux qui partent à l’assaut de leur vie comme si rien n’était plus important que de faire des choses, vite, beaucoup. Ma mère était tellement aimée que ce n’était plus la peine d’occuper toutes les heures du jour. Le monde appartient, dit-on, à ceux qui se lèvent tôt. Ils le font bien sentir que ça leur appartient, lemonde, ils en sont assez fiers de leur remue-ménage. Mais quand on est aimée, on s’en fout du monde, on a beaucoup moins besoin d’y faire son tour. Ma mère baignait dans un flux d’amour. Ses parents l’avaient célébrée. Les hommes l’admiraient. Elle n’avait rien à prouver, à construire. Elle pouvait bien rester au lit à des heures déraisonnables. Elle ne croyait pas au monde, ma mère, et là-dessus je suis bien sa fille. Elle ne croyait qu’à l’amour et quand on ne croit qu’à l’amour, on n’a pos d’humeur matinale, on reste entre les draps parce que l’amour est là. Ou parce qu’il manque.

    (La folle allure, Gallimard, 1995)

    ***

    Dimanche 28 avril
    Des heures allongé sur un lit dans une chambre, à regarder les mouvements d’un rideau agité par le vent. Il y a mieux à faire ? C’est une occupation — si c’en est vraiment une — un peu triste ou, pour le moins mélancolique ? Pas du tout, pas du tout. Ce serait plutôt le contraire : cette immobilité du corps et ce frémissement d’un rideau forment une des figures les plus sûres de la joie. En regard de la plénitude de ces heures-là — oui, oui : plénitude — écrire est presque trop.

    Samedi 4 mai
    Ce qui fatigue c’est de n’avoir affaire qu’à soi.
    Ce qui fatigue c’est d’être à soi-même comme un sac, comme une pierre.
    La prières des fatigués commence ainsi : « Mon Dieu, délivrez-moi de moi. »
    Et cette prière, quand elle est réelle, est aussitôt exaucée.

    Mardi 21 mai
    Je suis au lit, mais je n’ai pas tout à fait quitté le corps du sommeil, un corps massif, argileux, sans forme. Je ne bouge pas, je garde les yeux clos et j’écoute la rumeur du monde par la fenêtre entrouverte. Dans le lointain, des voitures passent. Quand il pleut, l’air qu’elles déplacent fait le bruit d’une soie que l’on déchire lentement. Un peu plus près, les lambeaux d’une conversation entre deux promeneurs. Le vent brasse les phrases, coupe les mots. Au premier plan, des trilles d’oiseaux, nets, forts, comme si la serpillère de l’air était tordue d’une main ferme et qu’il en sortait ces notes-là, des gouttes de lumière. Cette perception matinale des bruits du monde me donne, depuis la petite enfance, une joie énorme. C’est par elle que je réapprends la grâce d’être vivant. Tout est là, rien ne manque. Je peux me lever dans quelques minutes. Je peux aussi bien rester au lit jusqu’au dernier de mes jours. Rien n’est encore décidé. Pour l’instant, je me contente d’écouter le bruit que fait le monde lorsque je n’y suis pas.

    Jeudi 23 mai
    J’aime si peu quitter ma chambre que c’en devient comique. Je me demande où j’ai pris goût à tant d’inertie. Depuis toujours sans doute. La maison s’est effondrée à ma naissance sur mon berceau,les années ont passé et j’ai continué à vivre là-dessous, sans penser à écarter les gravats, poutres, tuiles, papiers peints, plâtres qui me sont tombés dessus. J’arrive quand même à entrevoir un peu de ciel et ça me suffit pour être repu, ravi, comblé.

    (Autoportrait au radiateur, Gallimard, 1997)

    ***

    Albain procède plus sagement, même si la sagesse n’y est pour rien. La paresse est une explication plus sûre. J’aurais aimé trouver un mot plus noble pour dire le mouvement d’Albain, le mouvement calme et distrait de sa vie, de chacun de ses jours, que dis-je : de chacune de ses secondes. J’aurais aimé un mot plus distingué. Je ne vois que celui-là : paresse. La vie est comme le cours d’un fleuve. Albain n’est pas un bon nageur. Il ne cherche pas l’exploit et tout lui semblerait un exploit : travailler durement, respecter des horaires et penser à l’avenir — autant de source de migraine. Albain dans l’eau fuyante des jours ne nage même pas à contre-courant, à peine s’il nage, disons qu’il fait la planche — une feuille détachée de l’arbre, épousant chaque mouvement de l’eau, flottant, dansant. Regardant, écoutant, aimant. Ce qui est bon pour lui, c’est d’aller lentement.

    (Geai, Gallimard, 1998)

    *

    Un enfant qui s’ennuie n’est pas très loin du paradis : il est au bord de comprendre qu’aucune activité, même celle, lumineuse, du jeu, ne vaut qu’on y consacre toute son âme. L’ennui flaire un gibier angélique dans le buisson du temps : il y a peut-être autre chose à faire dans cette vie que de s’y éparpiller en actions, s’y pavaner en paroles ou s’y trémousser en danses. La regarder, simplement. La regarder en face, avec la candeur d’un enfant, le nez contre la vitre du ciel bleu derrière laquelle les anges, sur une échelle de feu, montent et descendent, descendent et montent.

    (Prisonnier au berceau, Mercure de France, 2005)

    ***

    Cette femme de ménage accoudée à sa fenêtre contemplait le presque rien des jours calmes. Un livre pieux se feuilletait alors dans son crâne. Il en allait de même pour ce maçon qui arrêtait une minute son travail pour regarder au fond du ciel ce qui était dans le secret de son coeur. La vie contemplative est la seule, chacun le sent, même ceux qui sont le plus enfoncés dans la veine de la vie matérielle.

    (Une bibliothèque de nuages, Lettres vives, 2006)

    juin 7, 2008 à 20 h 12 min

  73. Vincent

    Ce sont les textes de Jacques A Bertrand (sur l’économie d’énergie) et de Bobin (sur la danse assimilée aux bavardages et aux actions éparpillées) qui me le font voir : il y a parfois dans la paresse affichée un manque d’insouciance et de panache, un manque de folie et de joie gratuite que l’on retrouve dans les dépenses (les « parts maudites » dirait Bataille) que sont la danse, justement, le rire et le chant.
    Du coup, en comparaison, la paraît une chose bien raisonnable, morale, bref… bourgeoise.

    juin 7, 2008 à 22 h 31 min

  74. 120

    Ecrit par Christian Bobin :

    Chez nous pas de Bien, pas de Mal.

    Le Bien c’est un tabouret que vous glissez dessous vos pieds, pour vous élever.

    Le Mal c’est une hache que vous serrez entre vos mains, pour séparer, pour simplifier en séparant.

    Chez nous, pas de tabouret ni de hache : vitesse seulement, lenteur seulement.

    Vitesse et lenteur donnent la mesure de toutes choses. Vitesse et lenteur suffisent à tout.

    Norte vitesse et notre lenteur ne sont pas comme votre Bien et votre Mal : deux chiens plantant leurs crocs dans la même âme.

    La vitesse peut être parfois bonne, parfois mauvaise. La lenteur peut dire le vrai comme elle peut dire le faux. Cela dépend. Pour chaque chose et pour chaque geste, cela dépend.

    Bonne vitesse — la course du rire dans les yeux de l’enfant.

    Bonne lenteur — la croissance du brin d’herbe sous la neige.

    Mauvaise vitesse — l’éclair de l’envie sous le feuillage de l’âme.

    Mauvaise lenteur — la taupe d’une douleur dans les jardins du sang.

    Chez vous la vitesse est donnée par l’argent. C’est une vitesse bien plus grande que celle de la lumière. C’est la vitesse de l’ombre. Elle est chez vous souveraine.

    Chez nous chaque vie a son allure, son rythme propre qu’elle cherche au long des jours.

    La plupart hésitent, tâtonnent, trébuchent. Ils cherchent dans les livres, ils cherchent auprès d’une femme, ils cherchent auprès d’un dieu, partout ils cherchent ce qui n’est qu’en eux-mêmes, cette alliance de lenteur et de vitesse, de douceur et de force, cette cadence la plus profonde du coeur, ce mélange le plus secret de l’eau avec le vin — l’eau de la lenteur, le vin de la vitesse.

    Une seule expérience est commune. Un seul rythme est partagé par tous, celui de l’amour à son aurore.

    Car dans l’amour il n’y a ni lenteur ni vitesse, ni mouvement ni repos, ni Bien ni Mal.

    Car dans l’amour à son envol il n’y a rien que l’amour — grand aigle du songe qui plane et fond d’une seul coup sur la brebis du sang.

    (L’autre visage, Lettres vives, 1991)

    juin 7, 2008 à 23 h 52 min

  75. Vincent

    Quand on remet toujours le travail au lendemain, on parle de procrastination.
    Mais comment appelle-t-on l’habitude de repousser toujours la sieste (et toute autre forme de glandouille assumée) au lendemain ?

    juin 8, 2008 à 23 h 36 min

  76. 120

    Ecrit par Paul valéry :

    Il y a deux apparences de la paresse — L’une qui est attente. L’autre, détente.

    (Cahiers, Tome 1, Gallimard, 1974)

    juin 8, 2008 à 23 h 54 min

  77. 120

    Ecrit par Christian Bobin :

    La poésie Nella
    ce n’est rien que la vie
    et la vie n’est que du sommeil
    tourmenté par l’éveil déchiré par l’éveil
    Il y a un poète de votre pays
    j’ai oublié son nom
    Aïgui je crois
    qui a écrit de belles choses là-dessus
    J’ai vu une photo de lui
    assis sur une chaise dans un epièce vide
    vide et pauvre
    La légende sous la photo
    disait que celui-là dormait longtemps
    entre deux courts poèmes
    et ne faisait rien d’autre
    ah la belle vie que cette vie-là
    bien plus utile sans doute
    que la vie des affaires
    bien plus utile sans aucun doute
    Nous ne sommes pas sur terre
    pour acheter des choses pas même pour les faire
    Nous sommes sur terre
    pour dormir et de temps en temps nous éveiller
    et nous tendre les uns aux autres
    la main blanche d’une phrase
    C’est du moins ce que je crois
    et si je n’étais pas si paresseux
    j’écrirais un éloge de la paresse
    un court traité de l’immobile

    (La vie passante, Fata Morgana, 1990)

    juin 10, 2008 à 21 h 16 min

  78. 120

    Ecrit par Malcolm de Chazal :

    L’oisiveté met le coeur en poulie folle, ne laissant plus à l’âme qu’un sexe sans but pour baratter le vide, comme l’axe décoincé ne mord à rien.

    (Sens plastique, Gallimard, 1948)

    juin 10, 2008 à 21 h 31 min

  79. Ourko

    Ah ah ! Très drôle !
    Dis-nous, Vincent, toi aussi, donc, tu barattes le vide avec le sexe de ton âme quand tu paresses ?
    Tu ne t’en es pas vanté, on se demande bien pourquoi.

    juin 10, 2008 à 21 h 34 min

  80. Je retire ce que j’ai dit sur mon ami le lion ..

    juin 11, 2008 à 12 h 30 min

  81. Vincent

    N’oublions pas que nous sommes des primates et à ce titre — comme nous l’indique il me semble nos congénères — plus enclins à nous prélasser qu’à nous tuer à la tâche.

    juin 11, 2008 à 17 h 57 min

  82. Ourko

    Homo modernus ou la fable du grand singe qui voulait se faire aussi travailleur qu’une fourmi.

    juin 11, 2008 à 17 h 59 min

  83. Vincent

    Un bon enquêteur se demande toujours à qui profite le crime ?
    Qui donc a intérêt que chacun soit assigné à son labeur ?
    (J’ai bien peur que la réponse soit finalement : la victime elle-même)

    juin 11, 2008 à 18 h 02 min

  84. Vincent

    Un peu tard, certes, mais je m’en voudrais tout de même — en commentaire d’un article sur la paresse — de ne pas évoquer la mémoire d’un de ses plus grands maîtres qui vient de disparaître : le grand, le magnifique… ALBERT COSSERY !

    Les titre de ses livres (peu nombreux, car écrire, c’est du boulot !) sont en soi un roman, ou du moins la marque de son style : Mendiants et orgueilleux, La violence et la dérision, Les hommes oubliés de Dieu, les fainéants dans la vallée fertile…

    Vous connaissez ?

    juin 30, 2008 à 18 h 34 min

  85. C’est cool de déterrer les articles :
    alors à qui profite le crime du travail ?
    je pense aussi à la victime : l’homme en général a besoin d’être conditionné pour se sentir valorisé dans ce qu’il fait.

    juin 30, 2008 à 18 h 48 min

  86. Vincent

    …Besoin d’être « occupé » aussi, pour ne pas trop se poser de questions !

    juin 30, 2008 à 18 h 55 min

  87. Isidore

    Je ne suis pas sûr que tu aies choisi la meilleure photo pour nous présenter le grand homme car j’avoue, ne le connaissant ni d’Ève ni d’Adam, qu’il m’inspire, en l’état, plutôt une vision apocalyptique à la Jérôme Bosch. Remarque, rien n’empêche de cauchemarder durant la sieste… Mais quand même…

    juin 30, 2008 à 22 h 23 min

  88. Isidore

    L’article du Monde relatant le décès d’Albert Cossery le 22 Juin dernier me paraît tout à fait intéressant.
    http://www.lemonde.fr/carnet/article/2008/06/24/albert-cossery-ecrivain_1062213_3382.html

    Il est quand même fortiche pour être parvenu à une telle reconnaissance en affichant pourtant une vénération active pour la paresse et en défiant si ouvertement le culte du travail. J’avoue ne pas vraiment comprendre. Il doit s’agir d’un malentendu car on ne pardonne pas ordinairement ce genre de défi au tabou des tabous. Ou alors chapeau bas! mesdames, messieurs, on a vraiment à faire à un vrai, un dur, un incorruptible… Bravo!.. Et sans doute un grand malin.

    juin 30, 2008 à 23 h 04 min

  89. Vincent

    Faut dire que c’est dur de trouver une photo où il ne ressemble pas à un extra-terrestre.

    Si j’ai fait exprès de prendre celle-ci — où l’effet est encore plus marqué que sur d’autres — c’est que ce côté « venu d’ailleurs » me semble justement bien lui aller, ainsi que le contraste avec cette incroyable élégance désuète de dandy qu’il a semble-t-il maintenue jusqu’à son dernier jour.

    Quant à la reconnaissance, je ne suis pas certain qu’il ait vraiment obtenu celle qu’il mérite. On parle certes un peu de lui le jour de sa mort mais bon… qui l’a lu, ou le lit encore aujourd’hui ?

    juillet 1, 2008 à 16 h 36 min

  90. moi, moi, vincent !
    tu me prêtes un de ses livres ?

    juillet 1, 2008 à 16 h 59 min

  91. Amélie

    Eh Oh, Yatsé, attend ! Moi j’ai déjà fait une demande pour ce soir et j’ai pas encore eu de réponse alors tu prends u ticket et tu files au bout de la queue.

    juillet 1, 2008 à 17 h 20 min

  92. Vincent

    Hé bé… C’est la première fois qu’un auteur que je cite a autant de succès !

    juillet 2, 2008 à 0 h 12 min

  93. Vincent

    …mais je ne peux décemment pas répondre à votre requête. Yatsé, tu as une carrière à construire. Amélie, des enfants à nourrir. Or, lorsqu’on demandait à Cossery pourquoi il écrivait, il répondait : « Pour que celui qui vient de me lire n’aille pas travailler le lendemain. »
    Et le bougre est sacrément efficace !!!
    Non, je ne peux décemment pas vous prêter un de ses livres…

    juillet 2, 2008 à 8 h 26 min

  94. 120

    Ecrit par Bertrand Russel :

    Quand je suggère qu’il faudrait réduire à quatre le nombre d’heures de travail, je ne veux pas laisser entendre qu’il faille dissiper en pure frivolité tout le temps qui reste. Je veux dire qu’en travaillant quatre heures par jour, un homme devrait avoir droit aux choses qui sont essentielles pour vivre dans un minimum de confort, et qu’il devrait pouvoir disposer du reste de son temps comme bon lui semble. Dans un tel système social, il est indispensable que l’éducation soit poussée beaucoup plus loin qu’elle ne l’est actuellement pour la plupart des gens, et qu’elle vise, en partie, à développer des goûts qui puissent permettre à l’individu d’occuper ses loisirs intelligemment. Je ne pense pas principalement aux choses dites « pour intellos ». Les danses paysannes, par exemple, ont disparu, sauf au fin fond des campagnes, mais les impulsions qui ont commandé à leur développement doivent toujours exister dans la nature humaine. Les plaisirs des populations urbaines sont devenus essentiellement passifs : aller au cinéma, assister à des matchs de football, écouter la radio, etc. Cela tient au fait que leurs énergies actives sont complètement accaparées par le travail ; si ces populations avaient davantage de loisir, elles recommenceraient à goûter des plaisirs auxquels elles prenaient jadis une part active.

    (…) Dans un monde où personne n’est contraint de travailler plus de quatre heures par jour, tous ceux qu’anime la curiosité scientifique pourront lui donner libre cours, et tous les peintres pourront peindre sans pour autant vivre dans la misère en dépit de leur talent. Les jeunes auteurs ne seront pas obligés de se faire de la réclame en écrivant des livres alimentaires à sensation, en vue d’acquérir l’indépendance financière que nécessitent les oeuvres monumentales qu’ils auront perdu le goût et la capacité de créer quand ils seront enfin libres de s’y consacrer. Ceux qui, dans leur vie professionnelle, se sont pris d’intérêt pour telle ou telle phase de l’économie ou du gouvernement, pourront développer leurs idées sans s’astreindre au détachement qui est de mise chez les universitaires, dont les travaux en économie paraissent souvent quelque peu décollés de la réalité. Les médecins auront le temps de se tenir au courant des progrès de la médecine, les enseignants ne devront pas se démener, exaspérés, pour enseigner par des méthodes routinières des choses qu’ils ont apprises dans leur jeunesse et qui, dans l’intervalle, se sont peut-être révélées fausses.

    Surtout, le bonheur et la joie de vivre prendront la place de la fatigue nerveuse, de la lassitude et de la dyspepsie. Il y aura assez de travail à accomplir pour rendre le loisir délicieux, mais pas assez pour conduire à l’épuisement. Comme les gens ne seront pas trop fatigués dans leur temps libre, ils ne réclameront pas pour seuls amusements ceux qui sont passifs et insipides. Il y en aura bien 1% qui consacreront leur temps libre à des activités d’intérêt public, et, comme ils ne dépendront pas de ces travaux pour gagner leur vie, leur originalité ne sera pas entravée et ils ne seront pas obligés de se conformer aux critères établis par de vieux pontifes. Toutefois, ce n’est pas seulement dans ces cas exceptionnels que se manifesteront les avantages du loisir. Les hommes et les femmes ordinaires, ayant la possibilité de vivre une vie heureuse, deviendront plus enclins à la bienveillance qu’à la persécution et à la suspicion. Le goût pour la guerre disparaîtra, en partie pour la raison susdite, mais aussi parce que celle-ci exigera de tous un travail long et acharné. La bonté est, de toutes les qualités morales, celle dont le monde a le plus besoin, or la bonté est le produit de l’aisance et de la sécurité, non d’une vie de galérien. Les méthodes de production modernes nous ont donné la possibilité de permettre à tous de vivre dans l’aisance et la sécurité. Nous avons choisi, à la place, le surmenage pour les uns et la misère pour les autres : en cela, nous nous sommes montrés bien bêtes, mais il n’y a pas de raison pour persévérer dans notre bêtise indéfiniment.

    (Eloge de l’oisiveté, Alia, 2002)

    juillet 9, 2008 à 10 h 35 min

  95. Ourko

    Heu… Il ne serait pas un peu « universitaire », justement, l’Bertrand Russel ? Tout cela me semble en tout cas bien « décollé de la réalité ». De la réalité « humaine », notamment. Car laisser entendre que l’oisiveté amène à la bienveillance, c’est on ne peut plus méconnaître les sources instinctives (biologiques) de l’agressivité. Mais bon…

    juillet 9, 2008 à 10 h 39 min

  96. 120

    Ecrit par Jean Baudrillard :

    Il faudrait que le corps arrive à développer les figures du ralenti, du suspens, de l’arrêt, de la fixité, de la lenteur. Nous sommes experts dans celles de l’accélération mais inexperts à suspendre instantanément le mouvement, comme les bêtes savent le faire, ou encore les cérémonies (dans l’Opéra de Pékin, le mouvement ne meurt pas par inertie, il trouve toujours un arrêt parfait, un apogée parfait dans l’immobilité).
    Voyez la difficulté des gymnastes à maîtriser leur répetion au sol. Les meilleurs y échouent, or c’est là qu’on les attend, car faute de pouvoir culminer en apesanteur au sommet de sa voltige, le gymnaste doit pouvoir en donner l’équivalent au sol, dans l’extase de sa retombée. Le sol doit absorber toute son énergie (c’est le secret des chats). Ou bien on est capable d’un rebondissement total, ou bien on est capable de ne pas rebondir du tout, de délivrer toute son énergie inertielle et de s’immobiliser instantanément, tel un bruit absorbé sans écho (ce qui nous fascine dans la couleur noire, dans notre corps noir, c’est cette idée d’une absorption totale de la lumière, équivalent au vertige de l’immobilité pour le corps).
    Cet art d’absorber une énergie sans la rendre, de suspendre un mouvement sans retombée, d’échapper à ces prolongations qui font la disgrâce de nos processus corporels, c’est aussi celui du ralenti et de son effet tragique. Nous avons renoncé à cette lenteur pour les prestiges de l’accélération.

    *

    Tout nous pousse à l’impatience. Peut-être portons-nous le remords d’une vie trop longue au regard de l’espèce, pour ce que nous en faisons.

    *

    Si des générations de paysans ont trimé toute leur vie, on leur doit bien d’escompter en oisiveté ce qu’ils ont dépensé de leurs forces.
    L’aïeul s’est arrêté de travailler quand il est mort : paysan. Le père s’est arrêté bien avant l’âge : fonctionnaire, retraite anticipée (il l’a payé d’une hypocondrie mortelle, mais il la fallait sans doute). Moi, je n’ai jamais commencé de travailler, ayant atteint très vite une situation marginale et sabbatique : universitaire. Quant aux enfants, ils n’ont pas fait d’enfants. Ainsi la chaîne continue jusqu’au stade ultime de la paresse.
    Cette paresse est d’essence rurale. Elle se fonde sur un sentiment de mérite et d’équilibre « naturels ». Il ne faut jamais en faire trop. C’est un principe de discrétion et de respect pour l’équivalence du travail et de la terre : le paysan donne, mais c’est à la terre, aux dieux de donner le reste — l’essentiel. Principe de respect pour ce qui ne vient pas du travail et n’en viendra jamais.
    Ce principe entraîne quelque inclinaison pour la fatalité. La paresse est une stratégie fatale, et la fatalité est une stratégie de paresse. C’est d’elle que je tire une vision à la fois extrémiste et paresseuse du monde. Je ne vais pas en changer, quel que soit le cours des choses. Je déteste l’activité frémissante de mes concitoyens, l’initiative, la responsabilité sociale, l’ambition, la concurrence. Ce sont des valeurs exogènes, urbaines, performantes, prétentieuses. Ce sont des qualités industrielles. La paresse, elle, est une énergie naturelle.

    (Cool Memories I et II, Galilée, 1987-1990)

    juillet 13, 2008 à 14 h 48 min

  97. 120

    Ecrit par Jean Baudrillard (suite) :

    J’aime bien perdre mon temps, mais non pas qu’on me le fasse perdre. Devant trop de lenteur calculée, parfaitement affectée même si les circonstances l’imposent, devant l’ennui distillé par certains de nos contemporains comme un virus intemporel, l’impatience se déchaîne — pour n’en tirer finalement que mauvaise conscience.

    *

    La stratégie de la paresse, c’est-à-dire la volonté farouche d’échapper au viol de notre temps par toutes sortes d’activités prédatrices et futiles, consiste à en procrastiner l’échéance, les espaçant afin de les exterminer une à une, comme dans les Horaces et les Curaces. L’autre forme de la paresse, c’est l’impatience, c’est d’en finir avant d’avoir commencé — ce qui est une façon de se retrouver libre de l’autre côté. Expectare diluere, suspendere humanum est…

    *

    La propension à la paresse, ou tout simplement à tourner le dos aux obligations ou complications en tout genre, est contrecarrée par un vice plus tenace encore : celui de répondre finalement à toute demande, comme d’arriver toujours à l’heure. Il serait tellement plus simple de n’être ni l’un ni l’autre : ni paresseux ni impatient. Mais l’obsession de l’échéance est toujours là : on voudrait à la fois que tout soit là d’emblée et que tout soit différé indéfiniment.

    *

    L’attente est comme une expiation anticipée, ce dont il faut payer le prix par anticipation (y compris l’attente de la mort ?). Contre cela se dresse l’impatience comme exigence immédiate de la fin.

    *

    La paresse se double toujours d’impatience, car c’est par paresse qu’on veut aller au terme le plus vite. Et la précipitation est une forme d’éjaculation précoce.

    *

    etc…

    (Cool Memories III, IV et V, 1995-2005)

    juillet 13, 2008 à 19 h 20 min

  98. Vincent

    Je ne sais plus qui disait — Alphonse Allais, je crois — que la preuve que l’homme n’était pas fait pour travailler, c’est que ça la fatiguait.
    (Une pensée à méditer, si possible, en se balançant dans un hamac)

    juillet 16, 2008 à 9 h 36 min

  99. 120

    Ecrit par Friedrich Nietzsche :

    En faveur des oisifs. — Signe de ce que le prix de la vie contemplative a baissé, les savants luttent aujourd’hui avec les gens d’action en un espace de jouissance hâtive, au point qu’ils semblent, eux aussi, priser plus haut cette façon de jouir que celle qui leur convient proprement et qui, en fait, est bien plus une jouissance. Les savants ont honte de l’otium. C’est pourtant une noble chose que le loisir et l’oisiveté. — Si l’oisiveté est véritablement le commencement de tous les vices, elle se trouve ainsi au moins dans le voisinage le plus proche de toutes les vertus ; l’homme oisif est toujours un homme meilleur encore que l’actif. — Vous ne pensez cependant pas que, par loisir et oisiveté, ce soit vous que vous que je désigne, ô paresseux ?…

    *

    L’inquiétude moderne. — A mesure qu’on va vers l’ouest, l’agitation moderne devient de plus en plus grand, si bien qu’aux yeux des Américains les habitants de l’Europe représentent un ensemble d’être amis du repos et du plaisir, tandis qu’en réalité ils vont croisant leur vol continuel comme des abeilles et des guêpes. Cette agitation est si grande que la culture supérieure n’a plus le temps de mûrir ses fruits : c’est comme si les saisons se succédaient trop rapidement. Par manque de repos notre civilisation court à une nouvelle barbarie. A aucune époque les gens actifs, c’est-à-dire les gens sans repos, n’ont été plus estimés. Il y a donc lieu de mettre au nombre des corrections nécessaires que l’on doit apporter au caractère de l’humanité, la tâche de fortifier dans une large mesure l’élément contemplatif. Mais dès à présent tout individu calme et constant de coeur et de tête a le droit de croire qu’il possède non seulement un bon tempérament, mais une vertu d’utilité générale et qu’en conservant cette vertu il remplit même un devoir fort élevé.

    (Humain, trop humain, un livre pour esprits libres, 1878-1879)

    juillet 16, 2008 à 10 h 53 min

  100. 120

    Ecrit par Jean Baudrillard :

    Le communisme avait réussi à arracher des générations entières à l’éthique du travail, à tuer en eux la moindre velléité de produire, à les rendre paresseux. Ce scandale historique va prendre fin. L’Europe entière va travailler de conserve. Mais la question reste posée : ne fallait-il pas préférer une certaine oisiveté forcée, liée à la servitude volontaire, un certain ethos aboulique et apathique à notre utopie forcenée de la performance ? A notre fébrilité suspecte ? Qui l’emportera d’ailleurs à long terme, de l’oisiveté forcée ou de l’activisme forcenée ?

    (Cool Memories II, Galilée, 1990)

    juillet 22, 2008 à 8 h 54 min

  101. 120

    Ecrit par Jean-Louis Chrétien :

    Je voudrais tout de même dire un mot des vacances. La division sociale entre temps public et temps privé, travail et loisir, est apparue tardivement, avec la révolution industrielle. Quand je travaille, je suis en quelque sorte privé de moi. Et quand je ne fais rien, je suis censé avoir accès à une vie plus authentique… Ce qui me désole, dans une telle conception des choses, c’est qu’elle rend les vacances très préoccupantes. Comment les programmer, les rentabiliser au mieux ? Nous avons affaire à une division aliénante. Je n’ai aucune nostalgie des sociétés anciennes, mais il est faux de croire qu’avant le Front populaire, les gens travaillaient 365 jours par an. Il y avait les fêtes religieuses, patronales, agraires, et si vous comptiez le nombre de jours chômés, c’était quand même très supporable. Mais ils étaient répartis tout au long de l’année, sans qu’il existe un temps supposé magique consacré aux vacances. C’est pourquoi, je suggère que nous ferions mieux d’enlever plus souvent le « s » à vacances. Moins de voyages organisés, et plus de vacance, c’est-à-dire de vide, de disponibilité à l’imprévu…

    (Le temps, de l’univers à l’intime, Philosophie magazine n° 21, Juillet-août 2008)

    juillet 22, 2008 à 9 h 30 min

  102. Amélie

    C’est vrai : les vacances sont devenues source de tension. Je me sens comme un coureur sur les starting blocks, au moment de descendre à la comptabilité pour arrêter définitivement mes dates de congés. Comment faire pour les rentabiliser au maximum. Quel jour est-il le plus judicieux de partir ? Sus capable de travailler une semaine de plus ou pas ? Combien de « crédit de jours de congés » faut-il que je garde en réserve pour les mois d’hiver ? etc etc… trop de pression…

    juillet 22, 2008 à 10 h 43 min

  103. 120

    Ecrit par Pierre Sansot :

    Pour ma part, je me suis promis de vivre lentement, religieusement, attentivement, toutes les saisons et les âges de mon existence.

    Le monde est allé de plus en plus vite : les penzerdivisions n’ont pas mis plus de quarante jours pour parcourir et occuper la France. Aujourd’hui, les hommes qui ne sont pas aptes à soutenir ce train d’enfer demeurent au bord de la route et souvent attendent en vain qui les dépannera et leur permettra de recoller au convoi. La raison veut-elle que nous nous inclinions devant un processus que l’on dit irréversible ou bien ne nous invite-t-elle pas plutôt à nous soustraire à une telle galopade quand rien ne la justifie ? Une simple remarque m’inciterait à emprunter la seconde voie. Les personnes si rapides devraient, en principe, accumuler une petite pelote honorable de temps libre où enfin elles vivraient pour elles-mêmes sans se soucier d’une tâche imposée. Or à l’évidence elles me semblent vivre misérablement dans une sorte de pénurie, étant toujours à la recherche de quelques instants où elles seraient délivrées d’un forcing épuisant.

    On aura compris que la lenteur dont je traiterai dans ce texte n’est pas un trait de caractère mais un choix de vie : il conviendrait de ne pas brusqer la durée et de ne pas nous laisser bousculer par elle — une tâche salubre, urgente, dans une société où l’on nous presse et où souvent nous nous soumettons de bon coeur à un tel harcèlement.

    (Du bon usage de la lenteur, Payot, 1998)

    juillet 23, 2008 à 12 h 26 min

  104. Ourko

    Et un point Godwin, un !

    (Le passage par les « penzerdivisions », en effet, était-il nécessaire ?

    juillet 23, 2008 à 12 h 29 min

  105. Barbarella

    … d’autant qu’on dit PAnzer, normalement,…

    juillet 23, 2008 à 12 h 36 min

  106. 120

    Erreur de copie : désolé !

    juillet 23, 2008 à 12 h 39 min

  107. Interlude paresseux

    novembre 5, 2008 à 12 h 58 min

  108. geste

    Lire à ce sujet : « les fainéants dans la vallée fertile » de Albert Cossery. Hymne à la paresse, drôle, attachant…

    mars 12, 2011 à 13 h 39 min

  109. Merci pour le conseil de lecture.
    On a d’ailleurs déjà un peu parlé du grand Cossery ici : http://www.partiprehistorique.fr/2008/08/27/albert-cossery-mendiants-et-orgueilleux-1955/

    mars 13, 2011 à 11 h 53 min

  110. Lire ?
    Rien que d’y penser… je baille et pars me recoucher ;-))

    mars 13, 2011 à 11 h 55 min

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