Le feu en poésie
Place aux poètes et aux rêveurs ! (parce que le feu n’est pas qu’un objet scientifique, technique ou historique)
Place aux poètes et aux rêveurs ! (parce que le feu n’est pas qu’un objet scientifique, technique ou historique)
Cette entrée a été publiée le mars 2, 2008 par ourko. Classé dans poétique .
FEU ET CENDRES
Feu agile, cendres inertes. Feu grimaçant, cendres sereines. Feu simiesque, cendres félines. Feu qui grimpe de branche en branche, cendres qui descendent et s’amoncellent. Feu brillant, cendres mates. Feu sifflant, cendres muettes. Feu chaud, cendres froides. Feu contagieux, cendres préservatrices. Feu rouge, cendres grises. Feu coupable, cendres victimes. Feu grégeois, cendres sabines. Feu vainqueur, cendres vaincues. Feu craint, cendres plaintes. Feu hardi, cendres facilement dispersées. Feu indomptable, cendres qu’on peut balayer. Feu gamin, cendres sérieuses. Feu animal, cendres minérales. Feu irritable, cendres intimidables. Feu démolisseur, cendres maçonnes. Feu rouge et cendres grises toujours rapprochées : l’un des étendards favoris de la nature.
(Lyres, Gallimard, 1961)
mars 2, 2008 à 12 h 53 min
Quand le feu
Lécha
Le bois
Il vit qu’il léchait ses mains :
Des flammèches étaient devant lui.
*
Le feu grelotta
Il devint bleu
*
Le feu
Après avoir
Tout dévoré
Se regarda épouvanté.
Il savait
Qu’il allait
Se dévorer
Et que ce serait
Sa fin.
*
La flamme
C’est l’air
Flambant
Autour de son coeur
Froid.
*
Le feu
A force
De se fixer
S’éteignit.
*
Ne force
Pas
Le feu
Il devient froid.
*
La cendre
A terre
Se demandait
Où était passé
Le feu.
La fumée
Répondit :
« Tu l’as avalé. »
*
Le feu
Prit feu
Et devint
Un incendie
De couleurs.
*
Le tison
Comme un gros
Cigare
Fumait
Sa propre pipe
A l’autre bout.
*
Le feu
Avait pris
Froid
Et s’était mis
Une mantille
D’air humide.
*
La fumée
Fumait
Son ombre.
(Sens magique, 1957)
mars 2, 2008 à 13 h 04 min
LE FEU
Le feu fait un classement : d’abord toutes les flammes se dirigent en quelque sens…
(L’on ne peut comparer la marche du feu qu’à celle des animaux : il faut qu’il quitte un endroit pour en occuper un autre ; il marche à la fois comme une amibe et comme une girafe, bondit du col, rampe du pied)…
Puis, tandis que les masses contaminées avec méthode s’écroulent, les gaz qui s’échappent sont transformés à mesure en une seule rampe de papillons.
(Le parti pris des choses, Gallimard, 1942)
mars 2, 2008 à 13 h 07 min
Quand
On
Presse
Le ventre
Du feu
La lumière
Rit.
*
L’eau
Qu’on
Jetait
Dans
Le feu
Eut
Une
Convulsion.
*
Seul
Le feu
A
Le pouvoir
De
Se lécher
Les yeux.
*
Seul
Le
Feu
Peut
Lécher
Sa
Propre
Langue.
*
Si
Le feu
Se voyait
Personne
Ne
Le
Verrait.
*
Quand
Le feu
Se balance
L’ombre
Fleurit.
*
Le feu
Dans
L’incendie
Prenait
Des
Vitamines.
*
Le feu
Se lamentait
Que
Le bois
Ne le
Comprenait
Pas.
(Poèmes, 1958)
mars 2, 2008 à 13 h 13 min
FEU
La nuit est incalcinable et le soleil est sans cendre.
La cendre c’est la planète.
(Sens magique, 1957)
mars 2, 2008 à 13 h 15 min
J’ai été braise
disait la cendre,
je n’y comprends rien.
(Echos, Gallimard, 1991)
mars 2, 2008 à 13 h 19 min
L’eau et le feu
(…) La flamme nous fascine parce qu’elle manifeste la présence d’une âme. La vie vient de l’eau, mais le feu est la vie même, par sa chaleur, par sa lumière et aussi par sa fragilité. Le feu follet menant sa danse frêle et éphémère au-dessus des eaux noires du marécage nous semble le message émouvant d’une âme vivante.
On dirait que l’homme s’acharne, par cruauté ou perversion, à rapprocher ces dieux ennemis. Non content de faire bouillir de l’eau sur le feu dans les marmites de sa cuisine,il éteint le feu de camp le soir en versant un seau d’eau sur les braises. Mais c’est surtout le pompier, le grand organisateur du combat de l’hydre et du dragon, quand il dirige le jet de sa lance sur la base du brasier. Et là, il faut rappeler le proverbe espagnol si profondément pessimiste : « Dans la lutte de l’eau et du feu, c’est toujours le feu qui perd. » Pessimiste, oui, car le feu symbolise ici l’enthousiasme, l’esprit juvénile, l’ardeur entreprenante, et l’eau les tristes et décourageantes sujétions de la réalité.
Mais le génie humain ne se contente pas d’opposer l’eau et le feu. Il a su les synthétiser dans un seul élément : l’alcool – que l’on appelle parfois l’eau de feu. L’alcool est eau et feu à la fois. (…)
(Le miroir des idées, traité, Mercure de France, 1994)
mars 2, 2008 à 14 h 09 min
(…) Ce feu comme une main ouverte auquel je renonce à donner un nom. (…)
(Le Moteur blanc)
mars 2, 2008 à 15 h 06 min
(…) Le feu est un phénomène privilégié qui peut tout expliquer. Si tout ce qui change lentement s’explique par la vie, tout ce qui change vite s’explique par le feu. Le feu est l’ultra-vivant. Le feu est intime et il est universel. Il vit dans notre coeur. Il vit dans le ciel. Il monte des profondeurs de la substance et s’offre comme un amour. Il redescend dans la matière et se cache, latent, contenu comme la haine et la vengeance. Parmi tous les phénomènes, il est vraiment le seul qui puisse recevoir aussi nettement les deux valorisations contraires : le bien et le mal. Il brille au Paradis. Il brûle à l’Enfer. Il est douceur et torture. Il est cuisine et apocalypse. Il est plaisir pour l’enfant assis sagement près du foyer ; il punit cependant de toute désobéissance quand on veut jouer de trop près avec ses flammes. Il est bien-être et il est respect. C’est un dieu tutélaire et terrible, bon et mauvais. Il peut se contredire : il est donc un des principes d’explication universelle. (…)
(La psychanalyse du feu, Gallimard, 1949)
mars 2, 2008 à 15 h 17 min
Dieu-le-Feu met la pâte au four
Satan-le-Feu brûle les orges
Dieu-le-Feu boute au coeur l’amour
Que Satan-le-Feu fond en forge
Dieu-le-Feu nourrit au soleil
Satan-le-Feu grille par gels
Dieu-le-Feu nous chauffe les membres
Satan-le-Feu les rêve en cendres
Dieu-le-Feu cuit la céramique
Satan-le-Feu l’éclate en briques
Quand Dieu-le-Feu tiédit les palmes
Satan-le-Feu songe au napalm
Dieu-le-Feu mijote à feu mou
Satan-le-Feu pète au grisou
Dieu-le-Feu s’arrête aux racines
Satant-le-Feu foudroie, calcine
Dieu-le-Feu couve à doux feu d’âme
Satant-le-Feu entre et tout crame
Dieu-le-Feu fait bien ce qu’il fait
Satant-le-Feu l’autodafé
Dieu-le-Feu conscience et lumière
Satan-le-Feu soufre et cancer
Dieu-le-Feu veille à la pression
Satan-le-Feu c’est l’explosion
Dieu-le-Feu la joie irradie
Satan-le-feu crime incendie
Dieu-le-Feu crée aime produit
Satan-le-Feu tue hait détruit
Le bien que tu veux
C’est Dieu-le-Feu
Satant-le-Feu
Remet tout en jeu
mars 2, 2008 à 15 h 43 min
Quelle activités humaine le feu favorise t il?quelle catastrophe le feu provoque t il ?pour le poète quel rôle le feu joue t il dans la vie des hommes?
octobre 2, 2013 à 7 h 59 min
Fascination du feu
Qui fuit ses flammes bleues
mars 3, 2008 à 11 h 05 min
Le feu qui ruisselle brûle plus ardemment.
mars 3, 2008 à 11 h 08 min
La flamme n’est qu’une allumeuse! Elle ondule, aguiche et séduit, mais mord dès qu’on tente une timide caresse.
mars 3, 2008 à 11 h 52 min
Si les flammes remuent autant, c’est que l’esprit du feu est insaisissable.
mars 3, 2008 à 11 h 54 min
Une fabuleuse danseuse, aussi.
Qui, tout en gardant les pieds sur terre (avec des sabots de bois), est d’une légèreté aérienne, d’une souplesse aquatique (et semble donc réunir les quatre éléments)
mars 3, 2008 à 11 h 56 min
Personne ne sait vraiment quelle musique elles entendent, mais quel rythme !
mars 3, 2008 à 11 h 58 min
Peut-être que ce sont les flammes qui incarnent le plus justement l’esprit de la danse : les pieds qui s’enfoncent dans la terre, le corps qui s’élance vers le ciel… et des mouvements lancinants et hypnotiques, qui vivent d’eux-mêmes, insensibles aux regards de leurs admirateurs.
mars 3, 2008 à 12 h 05 min
et en plus, elles chantent…
mars 3, 2008 à 12 h 06 min
Plongeant son regard dans le mien, le feu prit possession de mon esprit et le dansa devant moi.
mars 3, 2008 à 12 h 34 min
La flamme se consumait d’angoisse. Aussi fière paraissait-elle, aussi vivace, elle savait qu’elle mourrait de l’absence du bois, quand il viendrait à manquer.
mars 3, 2008 à 12 h 46 min
Mal nourri, il arrive que le feu ait des gaz.
mars 3, 2008 à 12 h 51 min
Il y a un côté « algue » dans la flamme, vous ne trouvez pas ?
mars 3, 2008 à 12 h 52 min
« (…) Ce qui ralentit la purification de l’idée du feu, c’est que le feu laisse des cendres. Les cendres sont souvent considérées comme de vétitables excréments. (…) »
(La psychanalyse du feu, Gallimard, 1949)
mars 3, 2008 à 12 h 53 min
Gaz… Excréments… Ca va, le feu vous inspire, on dirait !
mars 3, 2008 à 12 h 55 min
LE BRANDON
Il y a dans mon feu ce soir un joli gnome
A ceinture d’or qui cause d’amour fort tendre
A la mignonne salamandre qui s’endort.
Il doit être épris certes de sa robe verte
Et de ses habits de naine fée, car il ôte
Comiquement sa toque couverte de rubis.
Il agite ses grelots vermeils, vite, vite,
Saute de bûche en bûche comme un sot derviche
Et la petite salamandre se réveille.
Elle admire son beau collier de sous percés,
Sa mantille rouge, bleue et rose d’émir,
Son haut-de-chausses tissé de pourpre dessous.
Elle admire ses espiègleries de jongleur
Qui escamote mille billes de couleurs,
Qui pleure et qui sourit sous sa hotte de fleurs.
Mais comme il fait encore deux ou trois pirouettes
A la crémaillère en lutin tout cousu d’or,
Prise enfin de peur, la frileuse salamandre
File en la cendre et le dernier brandon s’éteint.
mars 3, 2008 à 13 h 20 min
Tiens, je serais curieux de savoir un peu plus d’où vient l’origine de l’étrange association symbolique du feu… et de la salamandre. Quelqu’un le sait-il ?
mars 3, 2008 à 13 h 26 min
Oh comme c’est joli !
mars 3, 2008 à 13 h 26 min
Je l’ai su (forcément). Laisse moi me souvenir…
mars 3, 2008 à 13 h 27 min
La salamandre est un esprit du feu, comme l’ondine est un esprit élémentaire de l’Eau, le gnome un esprit élémentaire de la Terre, et le sylphe un esprit élémentaire de l’Air.
mars 3, 2008 à 13 h 35 min
Il me semble que la salamdre, qui brûle lorsque l’on touche l’acide que sa peau sécrète était considérée comme l’animal du diable.
Elle avait pour caractéristique, aux temps obscurs, de survivre au feu lorsqu’on la balançait dedans…
Pas mal de salamandre ont ainsi péri dans les flammes de l’ignorance…
mars 3, 2008 à 13 h 39 min
La mythologie accordait à la Salamandre le pouvoir de vivre dans le feu… c’est un peu exagéré : elle est effectivement protégées de la chaleur par une substance laiteuse sécrétée par des glandes placées sur le dos. Mais cette protection ne résiste pas à une chaleur trop intense, et oubliée dans le feu (quand elle hiberne par exemple), la salamandre meurt carbonisée.
Un autre élément biologique peut expliquer qu’on les associe au feu : lorsqu’on les touche, les liquide qu’elles sécrètent brule les doigts.
mars 3, 2008 à 13 h 40 min
Le feu des flammes
Fait des femmes
Préhistoriques
mars 3, 2008 à 20 h 02 min
C’est finalement (d’après ce que j’ai également lu) davantage un animal qui résiste au feu – voire qui peut l’éteindre – qu’un animal porteur de son « esprit ».
En tout cas, je ne sais pas vous, mais moi, si on m’avait demandé de choisir un animal symbole du feu, je n’aurais jamais eu l’idée de choisir la salamandre. J’aurais sans doute choisi, heu… peut-être le papillon (pour son côté éphémère, vivement coloré, virevoltant,…), le lion (pour sa crinière, sa force latente, la couleur de sa robe,…), le rouge-gorge ou le rouge-queue (pour leur couleur, leur affinité avec les branches, leur légèreté, leur chant…). Et vous ?
mars 3, 2008 à 20 h 06 min
Bravo BETTYLOU pour ton poème (et bienvenue sur ce blog) !
Tu peux nous en écrire un autre, s’il-te-plaît ?
mars 3, 2008 à 20 h 08 min
J’allume le feu avec des pierres
Les pierres sont en verre
Ca devient du vert.
mars 3, 2008 à 20 h 26 min
Quand le renard coupe du bois
Le feu s’allume dans ses yeux
mars 3, 2008 à 20 h 48 min
Le soleil se lève sur la forêt
Le feu s’armure de flammes
Sur les yeux
De la belle
mars 3, 2008 à 20 h 50 min
je vais me coucher parsece je vais a lécol de mun
mars 3, 2008 à 20 h 56 min
Tiens c’est drôle : je n’aurais jamais choisi les mêmes animaux que toi; ils me paraissent trop fragiles. Je n’aurais surtout pas choisi d’animaux à ailes. PLutôt le tigre; l’écureuil roux;le serpent doré…
mars 3, 2008 à 22 h 04 min
Les puces : ça sautille, c’est vif, et quand ça pique, ça brule affreusement !
mars 3, 2008 à 22 h 07 min
On brûle les chrysanthèmes fanés –
dans les flammes
la couleur des fleurs
mars 3, 2008 à 22 h 47 min
J’escalade le volcan –
les dieux allument un feu
dans les nuages lourds de neige
mars 3, 2008 à 22 h 51 min
Un charbon de bois
frotté contre un autre –
on mesure les ténèbres !
mars 3, 2008 à 22 h 54 min
Souvent le créateur du feu est un petit oiseau portant sur la queue une marque rouge qui est la trace du feu. (…) Dans beaucoup de cas, le feu est volé. Le complexe de Prométhée est dispersé sur tous les animaux de la création. Le voleur de feu est le plus souvent un oiseau, un roitelet, un rouge-gorge, un oiseau-mouche, donc un petit animal. Parfois, c’est un lapin, un blaireau, un renard qui emportent le feu au bout de la queue.
(La psychanalyse du feu, Gallimard, 1949)
mars 4, 2008 à 0 h 31 min
Gaston… Gaston… tutututututututut…
Si le feu est « volé », c’est que le petit animal n’a fait que le « transporter », pas le « créer » ! fais un peu attention à ce que tu dis… C’est tellement peu rigoureux qu’on dirait un psychanalyste ! 🙂
mars 4, 2008 à 0 h 38 min
… d’ailleurs c’est étonnant que tu ne nous fasses pas une tirade sur « la queue en feu » de l’animal…
🙂 🙂 🙂
mars 4, 2008 à 0 h 40 min
Une légende australienne rappelle qu’un animal totémique, une certain euro, portait le feu dans son corps. Un homme le tua. « Il examina soigneusement le corps pour voir comment l’animal faisait du feu, d’où il venait ; il arracha l’organe génital mâle qui était très long, le fendit en deux et s’aperçut qu’il contenait un feu très rouge. » Comment une telle légende pourrait-elle se perpétuer si chaque génération n’avait pas de raisons intimes d’y croire ?
(opus cité)
mars 4, 2008 à 0 h 57 min
Suffisait de demander !;-)
mars 4, 2008 à 7 h 14 min
animal de feu : le lion ou le taureau en ce qui me concerne.
c’est fou, je me creuse pr trouver un poème sur le feu, et rien ne me viens…
je vois juste un feu de forêt qui brûle tout….
Bettylou is a real poétesse…
mars 4, 2008 à 9 h 39 min
Pr le feu ds l’organe mââââle…
je crois plutôt que c’est son frottement ac un autre organe qui donne le feu…
mars 4, 2008 à 9 h 41 min
A « real poétesse », yes !
(Pourvu que l’Education Nationale n’étouffe pas trop cette « magie » toute légère).
En tout cas, je trouve ses poésies bien plus fascinantes que les haïkus cités ensuite.
(J’espère ne pas trahir ce qui souhaitait rester secret en révélant à ceux qui ne la connaissent pas que BETTYLOU, fille d’Amélie, n’a que 6 ans)
mars 4, 2008 à 12 h 06 min
Comment elle s’appelait, déjà, la petite poétesse qui était devenue une « star » dans les années 50 (ou 60) ? La petite Drouet, je crois (je ne me souviens plus du préom). Barthes – Roland pas Fabien – en avait décrypté le phénomène dans ses Mythologies, si ma mémoire est bonne..
Pourvu, donc aussi, que Bettylou ne suive pas son chemin ! 😉
mars 4, 2008 à 12 h 11 min
« Mimi » Drouet, peut-être… (je vérifierai ce soir)
mars 4, 2008 à 12 h 56 min
Le mouvemet du feu est intermédiaire entre celui de l’air et de l’eau. Flamme dans le vent est un ruisseau volant.
*
Le feu répète tour à tour le bruit de la vague, le glouglou du ruisseau, le sifflement de l’air, le bruit en pomme d’arrosoir de la cataracte, et les zézayements enfantins du jet d’eau. A mi-chemin entre l’air et l’eau, le feu prend, pour s’exprimer, un peu de la voix des deux.
*
Le feu est un aérostat dont la nacelle, trop lourde, l’attache à la terre, et qui se gazéifie en fumée lorsqu’on lui coupe ses amarres. Le feu est un sédentaire toujours en train de faire les cent pas, mais dont les cent pas ne dépassent jamais le bout de son allée.
*
Le feu ne brûle pas de partout à la fois, quoique entouré d’air. Tantôt il s’appuiera des épaules contre le dos du vent pour lui dévorer la face, et tantôt il s’appuiera contre la face du vent pour lui dévorer le dos, tournant sur son axe pour frapper dans le vent, comme quelqu’un qui, se voyant entouré, se retournera successivement dans tous les sens pour parer les coups que lui porent de partout ses ennemis à la fois.
*
Le feu est une paupière enflammée qui ne regarde à plein qu’à distance. L’oeil du feu est d’autant plus vivant que vu au loin. Par le fait du prodigieux éloignement de son oeil télescopique, l’étoile a presque regard humain.
*
La fumée est une indigestion du feu ; les tisonnements, une colique. Feu qui claque de la langue par manque d’air, fait de l’espace entier son vomitoire. Flamme bleue sur les entrailles calcinées de la cendre : entérite.
*
Des couleurs, on arrive bien vite au maximum du poli – sauf le rouge qui, passé un certain point de flambée, abolit en lui toute notion de surface – pareil en cela à la flamme à laquelle on accorde la notion de volume, mais à qui on dénie toute notion de surface. Car le feu n’a pas de contenant, n’a pas de coque, et point de vêture. L’instrument à jauger l’ « âme » du feu ne sera jamais inventé.
*
L’eau, l’air, la stratosphère se sont laissés jusqu’ici chevaucher. Peut-être qu’un jour aussi l’éther aceptera un cavalier. Le feu seul, par contre, ne se laisse jamais monter. Image de l’Enfer, comme image de l’amour pur, il n’est d’idées ou de sensations qui ne soient traduisibles en termes du feu. Le feu est le Symbole des symboles, étant issu de la Source-Soleil, image-Dieu. Or puisque le symbole cavalcade sur tout et n’est chevauché par rien, comment le feu pourrait-il avoir jamais un cavalier ?…
(Sens plastique, Gallimard, 1948)
mars 4, 2008 à 13 h 18 min
(…) Cette flamme, ou larme inversée (…)
(Airs, Gallimard, 1967)
mars 5, 2008 à 12 h 31 min
(…) Ce monde n’est que la crête
d’un invisible incendie (…)
(Airs, Gallimard, 1967)
mars 5, 2008 à 12 h 32 min
Lorsque le feu
Lorque le feu monte comme un oiseau,
ma bouche boit cette flamme, mes yeux
s’ouvrent si grand que l’amour s’y engouffre,
je deviens lave en ce pays de gel.
A qui, soleils, le dire que j’émerge
de ces tréfonds où l’âme s’endormait ?
Si je vous offre une seule étincelle,
me rendrez-vous les époques du feu ?
Un destin d’ombre en ce coeur machinal,
l’attente vaine. Atroce était la nuit,
lorsque le feu nous dicta de ne croire
qu’en l’ascendance exquise du volcan.
Des enfants nus lèchent le crépuscule,
de jeunes morts sont vivants par mégarde,
la femme enfante et le cadavre rit.
Je fus l’un d’eux, je sais leurs lèvres froides,
je tends mes doigts comme des tisons vifs,
j’offre mon souffle à qui chérit le vent.
Si ma parole est chaude, qu’elle germe
et que ma flamme anime tous ces corps !
(Le smasques et les miroirs, Albin Michel, 1998)
mars 5, 2008 à 13 h 32 min
(…) D’après nous, manquer à la rêverie devant le feu, c’est perdre l’usage vraiment humain et premier du feu. Sans doute le feu réchauffe et réconforte. Mais on ne prend bien conscience de ce réconfort que dans une assez longue contemplation ; on ne reçoit le bien-être du feu que si l’on met les coudes aux genoux et la tête dans les mains. Cette attitude vient de loin. L’enfant près du feu la prend naturellement. Elle n’est pas pour rien l’attitude du Penseur. Elle détermine une attention très particulière, qui n’a rien de commun avec l’attention du guet ou de l’observation. Elle est très rarement utilisée pour une autre contemplation. Près du feu, il faut s’asseoir ; il faut se reposer sans dormir ; il faut accepter la rêverie objectivement spécifique.
(…)
Le feu est pour l’homme qui le contemple un exemple de prompt devenir et un exemple de devenir circonstancié. Moins monotone et moins abstrait que l’eau qui coule, plus prompt même à croître et à changer que l’oiseau au nid surveillé chaque jour au buisson, le feu suggère le désir de changer, de brusquer le temps, de porter toute la vie à son terme, à son au-delà. Alors la rêverie est vraiment prenante et dramatique ; elle amplifie le destin humain ; elle relie l epetit au grand, le foyer au volcan, la vie d’une bûche et la vie d’un monde. L’être fasciné entend l’appel du bûcher. Pour lui, la destruction est plus qu’un changement, c’est un renouvellement.
(…)
(La psychanalyse du feu, Gallimard, 1949)
mars 5, 2008 à 17 h 53 min
Ca, c’est clair, Tonton ! Jamais on ne verrait un enfant perdu dans la contemplation du feu, le dos bien droit et les main posées sagement sur ses genoux joints !
mars 5, 2008 à 18 h 18 min
Bachelard, ca rime avec triquard !
mars 5, 2008 à 18 h 27 min
Wouhouhouhouuuu
comme ça chauffe !!!
:o)
mars 5, 2008 à 18 h 40 min
Bon… Ce n’est pas « Mimi » mais « Minou » Drouet (la petite poétesse, devenue star, dont on se demandait si c’était bien elle qui écrivait.)
Voilà comment conclut Barthes le petit texte qu’il lui consacre dans ses Mythologies (je sais que ce n’est pas trop en rapport avec le sujet, mais bon…) :
« (…) Que la société ne se lamente pas hypocritement : c’est elle qui dévore Minou Drouet, c’est d’elle et d’elle seule que l’enfant est la victime. Victime propitiatoire sacrifiée pour que le monde soit clair, pour que la poésie, le génie et l’enfance, en un mot le désorde, soient apprivoisés à bon compte, et que la vraie révolte, lorsqu’elle paraît, trouve déjà la place prise dans les journaux, Minou Drouet est l’enfant martyr de l’adulte en mal de luxe poétique, c’est la séquestrée ou la kidnappée d’un ordre conformiste qui réduit la liberté au prodige. Elle est la gosse que la mendiante pousse devant elle quand, par-derrière, le grabat est plein de sous. Une petite larme pour Minou Drouet, un petit frisson pour la poésie, et nous voilà débarrassés de la littérature. »
Bon… Bettylou, avant de publier, tu réfléchiras un petit peu, ok ?
mars 5, 2008 à 19 h 15 min
Ben dis donc, vous n’l’appréciez guère l’Gaston, on dirait. Qu’est-ce qu’il vous a fait ? Vous êtes sûrs de ne pas vous méprendre sur le personnage ?
Regardez, déjà, sa bonne bouille :
Bon d’accord, il n’y a pas plus de « vertu de bonne bouille » que de « délit de sale gueule ».
Moi, en tout cas, je trouve que c’est un gars plutôt bien, vraiment.
Vous connaissez peut-être l’anecdote (je la cite, extraite de Le philosophe sort à cinq heures de Frédéric Pagès) :
« Dans les années 50, Bachelard fait passer un examen à une vieille dame. Il s’agissait d’admettre des candidats à des cours donnés à la Sorbonne spécialement pour des retraités. La dame ne dit pas un mot et se met à pleurer. Bachelard, le philosophe à la barbe blanche, le seul philosophe qui savait le poids d’une lettre en la palpant – il avait été facteur rural -, Bachelard à son tour se met à pleurer. A la fin de cet « entretien » muet, il se tourne vers son collègue Jean Guitton – qui raconte la scène – et lui dit : « Nous allons lui mettre dix et demi. C’est ce que nous méritons tous. »
Ca ne vous le rend pas un peu plus sympathique ?
mars 5, 2008 à 20 h 12 min
A mon avis, ce qu’on n’aime pas chez lui, c’est quand il joue au psychanalyste (il y a dans la psychanalyse un côté systématique qui manque cruellement de finesse, et d’autant plus enrageant qu’il « séduit » trop facilement).
Peut-être que si tu nous soumettais des textes un peu moins « faciles », on reviendrait sur notre jugement ???
mars 6, 2008 à 10 h 20 min
Ok.
Je suis justement en train de lire La flamme d’une chandelle qu’il a écrit plus tard (publié en 1961) et dont les extraits que je ne vais pas tarder à citer ici devraient donc davantage vous convenir (et correspondre au sujet) car il s’agit plus d’une « poétique » du feu que d’une « psychanalyse ».
Sinon, la grande réussite de Freud, il faut bien le dire, c’est d’être parvenu à donner l’impression que les interprétations en terme de libido sont, comme tu dis Amélie, « faciles » (alors qu’elles ont mis des siècles à parvenir à se conceptualiser et franchir les multiples censures, notamment morales, qui interdisaient carrément à l’imagination de s’aventurer dans ces « eaux »-là)
mars 6, 2008 à 10 h 34 min
Tu es juste en train de dire que Freud est fort parce qu’il a contré le sens moral de SON époque. Désolée, mais pour moi ça n’est pas un argument qui défende la « qualité » véritable de son propos. Et pour reprendre un peu ce que disait Sobelo, c’était il y a une éternité… il serait temps de bouger un peu…Je le trouve justement très poussiéreux et caricatural, au XXIème siècle. Et encore une fois, c’est l’application systématique de ses interprétations qui me font sauter au plafond. Si tu as déjà eu l’immense plaisir d’avoir ce que tu croyais être une discussion enlevée avec un psychanalyste, tu as du remarquer cette abominable propension à sauter sur le premier de tes mots pour t’enfermer dans un schéma, sans réellement écouter ce que tu dis. Curieusement, pour moi, ce qui caractérise la psychanalyse, c’est le manque d’écoute. Et fatalement, le manque de finesse.
mars 6, 2008 à 10 h 43 min
C’est vrai que je n’ai pas eu (ou provoqué) l’occasion de discuter avec des psychalystes, surtout d’affaires « perso », mais je n’ai jamais prétendu – ni même cru – que la psychanalyse était une garantie d’écoute et de finesse. Pas plus que tout autre idéologie d’ailleurs… mais pas moins non plus. J’ai en effet souvenir d’avoir rencontré (et quelque part aussi « discuté » avec) des auteurs de cette mouvance, ou qui s’y référaient, qui m’ont justement impressionné par ces qualités (Me viennent tout de suite à l’esprit Michel Schneider et Daniel Sibony mais je pourrais au besoin en citer d’autres). Sans être spécialiste de son oeuvre, il me semble que Bachelard fait plutôt partie de ce lot. Etre « philosophe scientifique rationaliste » et s’intéresser à la rêverie (notamment sur les 4 éléments : la terre, l’eau, l’air et le feu), en tant que tel, c’est déjà une belle preuve d’ouverture d’esprit, non ?
mars 6, 2008 à 12 h 15 min
ça oui, chuis d’accord
mars 6, 2008 à 12 h 19 min
Quant à l’interprétation psychanalyste en tant que telle – et plus particulièrement le regard souvent porté sur la libido – je dois avouer que j’y incline souvent… en grande partie parce que ça me fait rire (vraiment !).
Le « retour sur terre » que cela implique m’amuse en effet énormément, déjà parce qu’il coupe l’herbe sous le pied de toute tentation idéaliste(toujours trop nombriliste et prétentieuse pour être « vraie », selon moi)… et peut-être aussi – un peu – parce que ça choque toujours (et du coup quelque part désigne) les « belles âmes ».
Pourquoi une telle jubilation chez moi ? Y aurait-il là derrière, plus ou moins sourdement, une quelconque perversité ? Il faudrait, pour le savoir, demander l’avis… de la psychanalyse 😉 !
mars 6, 2008 à 12 h 28 min
Effectivement, ce serait intéressant de comprendre pourquoi tu penses que si on n’adhère pas aux interprétations libidineuse, c’est forcément parce qu’on est choqué. Y a aucune autre réaction possible selon toi que le rigide tandem : séduit/choqué ? Tu es pourtant beaucoup plus ouvert sur d’autres sujets…
😉
mars 6, 2008 à 12 h 43 min
quand on n’adhère pas, on peut aussi simplement être « irrité », « las », « indifférent » etc…
Quant à la « facilité » des interprétations libidineuses, elles ont la caractéristique de pouvoir s’appliquer à n’importe quoi, sans aucun discernement. Je crois que les détracteurs de la psychanalyse attendent quelque chose de plus fouillé, et de plus vivant aussi, dans le sens de qq chose de plus singulier, plus véritablement pensé.
mars 6, 2008 à 12 h 49 min
Si je dis « choqué(e) » c’est que les réactions me semblent souvent trop vives pour n’exprimer qu’un simple désaccord (souviens-toi du « Oh noooooon ! Surtout pas Freud !!! »).
Après, je répète, c’est avant tout une référence qui m’amuse… donc je n’insiste généralement pas plus que ça (les plus courtes sont paraît-il les meilleures !) car j’admets que c’est vite « lourdingue » quand c’est non seulement systématique, mais surtout exclusif (et d’autant plus quand le sourire n’est apparemment pas « partagés ») !
Une chose encore : ça me fait rire… parce que ça me surprend (peut-être que je baigne moins que certains dans ces idées et n’en suis donc pas ecore lassé)
mars 6, 2008 à 12 h 55 min
« Les plus courtes sont les meilleures », dites-vous, Vincent ?
Voyons… A quoi faites-vous donc allusion ? Ne prenez vous pas votre cas pour une généralité ? Ou vos désirs pour la réalité ?
mars 6, 2008 à 12 h 58 min
ben voilà : « oh nooooon ! surtout pas freud ! »
Si tu le lis avec le ton, c’est vraiment l’expression d’une LASSITUDE !
mars 6, 2008 à 12 h 58 min
« (…) Entre toutes les images, les images de la flamme – les naïves comme les plus alambiquées, les sages comme les folles – portent un signe de poésie. Tout rêveur de flamme est un poète en puissance. Toute rêverie devant la flamme est une rêverie qui admire.Tout rêveur de flamme est en état de rêverie première. Cette admiration première est enracinée dans notre lointain passé. Nous avons pour la flamme une admiration naturelle, on ose dire : une admiration innée. La flamme détermine une accentuation du plaisir de voir, un au-delà du toujours vu. Elle nous force à regarder.
La flamme nous appelle à voir en première fois : nous en avons mille souvenirs, nous en rêvons tout à la personnalité d’une très vieille mémoire et cependant nous en rêvons comme tout le monde se souvient – alors, suivant une des lois les plus constantes de la rêverie devant la flamme, le rêveur vit dans un passé qui n’est plus uniquement le sien, dans le passé des premiers feux du monde.(…) »
(La flamme d’une chandelle, PUF, 1961)
mars 11, 2008 à 12 h 17 min
Les feux mouvants du bivouac
Eclairent des formes de rêve
Et le songe dans l’entrelacs
Des branches lentement s’élève
Voici les dédains du regret
Tout écorché comme une fraise
Le souvenir et le secret
Dont il ne reste que la braise
(Alcools, 1913)
mars 11, 2008 à 12 h 55 min
LE BOIS SEC
Brûler Je songe à ma cendre
Quand m’appellent des forêts
Ô feux Mais à leur voix tendre
répond votre chant secret
Je suis né pour cette fête
barbare ces rites purs
ce mortel assaut de bêtes
contre le défi des murs
J’aime la gloire soudaine
des flammes j’aime le bref
sursaut de passion de haine
du feu saluant son chef
Brûler Mon sang me calcine
Pas un coin de chair ombreux
Et si pourtant mes racines
Trouvaient un sol généreux
un peu d’eau et de sel Le sable
d’où je sors verrait des fruits
Non De cette paix durable
la fin seule me séduit
Je ne porte ni lumière
ni chaleur en mon corps mais
ce n’est qu’au centre des pierres
qu’on trouve un feu qui dormait
Verdoyez branches dociles
aux commandements des dieux
Je montre mon bois fossile
C’est lui qui flambe le mieux
(1960)
mars 11, 2008 à 13 h 01 min
« (…) Joubert, le raisonnable Joubert, écrit : « La flamme est un feu humide. » (…) Alors le lecteur des Pensées de Joubert se plaît, lui aussi, à imaginer. Il voit cette flamme humide, ce liquide ardent, couler vers le haut, vers le ciel, comme un ruisseau vertical. (…) »
(La flamme d’une chandelle, PUF, 1961)
mars 14, 2008 à 12 h 40 min
Tantôt semblable à l’onde et tantôt monstre ou tel
L’infatigable feu, ce vieux pasteur étrange
(Ainsi que nous l’apprend un ouvrage immortel)
Se muait. Comme lui, plus qu’à mon tour, je change.
Car je hais avant tout le stupide indiscret,
Car le seul juste point est un jeu de balance,
Qu’enfin dans mon esprit je conserve un secret
Qui remplirait d’effroi l’humaine nonchalance.
mars 14, 2008 à 12 h 43 min
Parmi les rêveries qui nous allègent, bien efficaces et simples sont les rêveries de la hauteur. Tous les objets droits désignent un zénith. Une forme droite s’élance et nous emporte en sa verticalité. Conquérir un sommet réel reste une prouesse sportive. Le rêve va plus haut, le rêve nous emporte en un au-delà de la verticalité. Bien des rêves de vol naissent dans une émulation de la verticalité devant les êtres droits et verticaux. Près des tours, près des arbres, un rêveur de hauteur rêve au ciel. Les rêveries de la hauteur nourrissent notre instinct de verticalité, instinct refoulé par les obligations de la vie commune, de la vie platement horizontale. La rêverie verticalisante est la plus libératrice des rêveries. Pas de plus sûr moyen de bien rêver que de rêver en un ailleurs. Mais le plus décisif des ailleurs, n’est-ce pas l’ailleurs qui est au-dessus ? Viennent des rêves ou l’au-dessus oublie, supprime l’en-dessous. Vivant au zénith de l’objet droit, accumulant les rêveries de verticalité nous connaissons une transcendance de l’être. Les images de la verticalité nous font entrer dans le règne des valeurs. Communiquer par l’imagination avec la verticalité d’un objet droit, c’est recevoir le bienfait de forces ascensionnelles, c’est participer au feu caché qui habite les belles formes, les formes assurées de leur verticalité.
*
La flamme est une verticalité habitée. Tout rêveur de flamme sait que la flamme est vivante. Elle garantit sa verticalité par de sensibles réflexes. Qu’un incident de combustion vienne troubler l’élan zénithal, aussitôt la flamme réagit. Un rêveur de volonté verticalisante qui prend sa leçon devant la flamme apprend qu’il doit se redresser. Il retrouve la volonté de brûler haut, d’aller, de toutes ses forces, au sommet de l’ardeur.
(La flamme d’une chandelle, PUF, 1961)
mars 14, 2008 à 12 h 55 min
Ecrit par : Paul Eluard
Je fis un feu, l’azur m’ayant abandonné,
Un feu pour être son ami,
Un feu pour m’introduire dans la nuit d’hiver,
Un feu pour vivre mieux.
Je lui donnai ce que le jour m’avait donné :
Les forêts, les buissons, les champs de blé, les vignes,
Les nids et leurs oiseaux, les maisons et leurs clés,
Les insectes, les fleurs, les fourrures, les fêtes.
Je vécus au seul bruit des flammes crépitantes,
Au seul parfum de leur chaleur ;
J’étais comme un bateau coulant dans l’eau fermée,
Comme un mort je n’avais qu’un unique élément.
mars 17, 2008 à 13 h 02 min
Ecrit par : Gaston Bachelard
Les flammes constituent l’être même de la vie animale. Et Novalis note inversement « la nature animale de la flamme ». La flamme est en quelque manière l’animalité à nu, une manière d’animal excessif. Elle est le glouton par excellence.
*
Chaque règne de la vie est un type de flamme particulier. Dans les fragments traduits par Maeterlinck on lit :
L’arbre ne peut devenir qu’une flamme fleurissante, l’homme qu’une flamme parlante, l’animal qu’une flamme errante. »
Paul Claudel, sans avoir lu ce texte de Novalis, semble-t-il, écrit des pages similaires. Pour lui, la vie est un feu. La vie prépare son combustible dans le végétal et s’enflamme dans l’animal : « Le végétal ou élaboration de la matière combustible. L’animal pourvoyant à sa propre alimentation », dit Claudel dans le résumé préparant son récit.
« Si le végétal peut se définir en tant que « la matière combustible », pour l’animal il est la matière allumée. »
*
Pour un rêveur novalisien des flammes animalisées, la flamme, puisqu’elle s’envole, est un oiseau.
Où prendrez-vous l’oiseau
Ailleurs que dans la flamme ?
demande un jeune poète.
*
Un rêveur novalisien acceptera aisément, comme un des axiomes de la poétique du monde végétal, cette formule : les fleurs, toutes les fleurs sont des flammes – des flammes qui veulent devenir de la lumière.
(La flamme d’une chadelle, PUF, 1961)
mars 17, 2008 à 18 h 47 min
Ecrit par: Eugène Guillevic
LA FLAMME
J’ai vu la flamme. Elle est partout,
Dans ce que je regarde
Quand pour de bon je le regarde.
Elle y demeure et bouge
A peine plus qu’un mot,
Dans le morceau de zinc, le panneau de l’armoire,
Le crayon, la pendule et le vin dans les verres,
Dans le pot de tabac, dans l’émail du réchaud,
Le papier sur la table et le linge lavé,
Dans le fer du marteau, dans la conduite en cuivre,
Dans ton genou plié, dans tes lieux plus cachés.
Parfois dans l’âtre la voilà
Qui se dévoile, se proclame
Et va périr.
Ailleurs, tout comme d’autres,
Elle cherche sa place,
Elle cherche son chant
Dans la chair du silence,
Brûle du temps qui vient,
Refuse le sommeil,
Fait son travail de flamme,
Nous sauve et veut sourire.
***
Ce n’est pas sans raison
Que nous avons tremblé
Devant la moindre flamme,
Que devant la bougie,
Devant le feu de bois,
Nos mains se recherchaient,
Sans savoir si c’était
Pour célébrer,
Pour conjurer.
(Sphère, Gallimard, 1963)
mars 19, 2008 à 18 h 15 min
Ecrit par Sylvain Tesson :
Rien de surprenant à ce que l’homme ait déifié le feu. Toute extase procède de l’engourdissement et rien n’est plus reposant ni plus hypnotisant que la gigue des flammes sur le tapis des braises. Le feu est la manifestation parfaite de la libération énergétique. Le soleil accumule sa force dans la nappe de gaz, le tronc de l’arbre, la bouse de yack. En quelques secondes, le feu dilapide cette patiente épargne, dévore la minutieuse cotisation des photons, libère la puissance hibernante. Il tranforme l’information chimique en chaleur et lumière. Le feu est force. Nul doute que dans l’immense mélancolie de ses soirées solitaires, assis devant son foyer, l’homo erectus sentait pareilles pensées cheminer en lui.
(Eloge de l’énergie vagabonde, Equateurs, 2007)
mars 5, 2009 à 10 h 43 min